« Aujourd’hui, ajoute Gaële, je sais les mots qui ne lui vont pas bien dans la bouche, mais ce n’était pas le cas au début. On procédait par essai-erreur. Il arrivait que je lui soumette des mots et qu’elle savait tout de suite que ça n’allait pas coller. Je me souviens d’une longue session de travail où je lui ai dit : on arrête, la musique est super-belle, laisse-moi partir avec un enregistrement de ta voix, laisse-moi triper un bout avec ça, je reviendrai avec les mots. Le plus beau là-dedans, pour moi, c’est d’arriver à écrire des mots sur mesure et que la personne se sente tellement bien dans ces mots que le texte lui appartienne », dit celle qui a aussi écrit pour Damien Robitaille, Alexandre Désilets, Jipé Dalpé et, tout récemment, en collaboration avec Gardy Fury pour sa chanson estivale Aller!

« Avec les années, l’inspiration vient plus vite parce qu’on se connaît mieux. » – Gaële


Pour Marie-Pierre et Gaële, le processus créatif ne se fait pas en vase clos, chacun dans son coin à travailler sur son bout de chanson. Il arrive même, explique Marie-Pierre, « que des mots de Gaële me poussent à changer mes mélodies. De plus en plus, même. Avant, j’arrivais avec un thème, une idée de mélodie, quelques mots, et [je lui signifiais] : arrange-toi avec ça! Aujourd’hui, on écrit vraiment à quatre mains. J’arrive avec des idées de sujets et de mélodies, des fois avec un couplet, et, let’s go, on part avec ça. »

Gaële : « C’est une question de confiance pour elle, qu’elle ait confiance en ses mots et à ce qu’elle veut dire. Moi, c’est sûr que je l’avais davantage, cette confiance, parce j’avais déjà plus écrit qu’elle, et écrit pour d’autres…

– C’est parce qu’elle est Française, elle a une couple de mots de plus dans son vocabulaire!, lance Marie-Pierre en riant. Ça peut être complexant de vouloir écrire des tounes quand t’entends de belles choses et que t’as envie de faire de même sans jamais l’avoir fait. C’est étourdissant.

Et quand la musique groove autant [que celle de Marie-Pierre], reprend Gaële, c’est un travail différent que lorsque quelqu’un te commande un texte sans que t’aies entendu la musique. Ici, on est dans un travail autrement structuré. C’est inspirant.

Le rythme de travail des deux musiciennes est à l’image de leur relation, détendu, qui se laisse porter par le moment. Elles travaillent généralement de jour, le temps qu’il faut pour que l’inspiration surgisse. « On se retrouve, on jase, on jase, ça peut être long en maudit faire une toune des fois », rigole Marie-Pierre.

MariePierreArthur_Gaele_ByLePigeon_InBody_2« Avec les années, l’inspiration vient plus vite parce qu’on se connaît mieux, ajoute Gaële. Après avoir parlé beaucoup, là j’ai des flashs, et parfois, ça déboule. Je me souviens de Fil de soie. C’était beau comme processus, parce qu’elle avait envie d’une chanson pour rassurer son fils, mais en même temps, elle n’en était pas encore à le chanter au « je ». Marie-Pierre se sentait parfois coupable de devoir laisser son bébé pour aller donner des concerts et ne savait comment traduire ça en chanson. »

« Elle m’a raconté tout ça, poursuit Gaële. Je me suis dit : on essaie, je vais l’écrire en me mettant dans la peau de la nounou qui réconforte l’enfant. Ça a marché. C’est pour moi un exemple d’une chanson qui est sortie d’un coup, rapidement. Je lui ai envoyé le texte, qui devait aller sur une musique, mais elle collait plutôt parfaitement à une autre. »

Quels sont leurs modèles de chanson bien écrite, bien composée? Gaële répond que son côté romantique la pousse vers l’histoire de Jenny de Richard Desjardins. « On a envie d’être tous les personnages de la chanson, j’ai envie d’être la Jenny de Desjardins. Dans les mots, la mélodie très simple, la sobriété, et un propos d’une grande profondeur. Parole, musique, interprétation, c’est parfait. Je suis émue à chaque fois que je l’entends. »

« Moi, Desjardins, je suis incapable de rendre ça. Ça me saisit », avoue Marie-Pierre, qui admire le travail de composition du défunt Beatles John Lennon. « À cause de la construction de ses chansons. Juste une phrase qui passe et qui te prend. Dans son œuvre solo, il a une manière de simplifier ses chansons qui te donnent l’impression de savoir exactement ce qu’il veut dire. Ça me vire à l’envers. »

mariepierrearthur.com/
gaele.net/



La rumeur veut qu’un synthétiseur en vente sur Kijiji soit à l’origine du groupe Le Couleur. Laurence Giroux-Do, chanteuse, confirme : « On s’est retrouvés chez le gars qui le vendait et on a tripé tous les trois sur le son de l’instrument. Alors on a tiré au sort pour savoir qui repartirait avec. Steeven (Chouinard, batterie) et moi on est en couple; on s’est dit qu »on avait plus de chances, mais on a perdu. On a échangé nos numéros de téléphone avec Patrick (Gosselin, guitares et clavier) et on a fini par aller prendre un verre… C’est ainsi que Le Couleur est né. »

« C’est plus naturel pour nous de jouer à Berlin qu’à Chicoutimi. » – Laurence Giroux-Do de Le Couleur

C’est lors d’un bref passage comme claviériste de la formation Plaza Musique que Laurence, qui a étudié le piano classique à Vincent-d’Indy, a goûté à la pop. « Au début, je me suis dit « Ok, si c’est ça faire de la musique pop, c’est pas pour moi. » Mais au fil des répétitions, à force de jouer et d’écouter, j’ai apprivoisé le genre et je me suis mise à aimer ça au point d’avoir envie de fonder mon propre projet. Pour différentes raisons, j’ai quitté Plaza. Et c’est à ce moment-là que j’ai vu le synthé en vente sur Internet. »

Le Couleur a fait paraître en février dernier un EP au titre suave, un brin kitsch : Dolce Désir. Club italien, la première chanson, est inspirée des cafés de la Petite Italie à Montréal où des hommes passent leurs journées à discuter, boire des expressos et regarder le soccer à la télé. « J’aimerais tellement savoir de quoi  parlent ces hommes. » Sur cinq titres, seuls Club italien et Autovariation #64 sont des nouveautés. Les autres ont été revisités, parfois inspirés des remixes ou de leur évolution en concert. Le contraste entre les versions planantes, léchées de l’album et leur incarnation plus disco sur scène est marqué. « On tripe fort sur l’approche live du Norvégien Todd Terje. Ses perfos sont hallucinantes! Steeven a étudié en batterie et en pop à l’UQAM. En show, il joue fort, ça propulse nos chansons. Le tempo monte graduellement, on transite par différentes ambiances, mais une constante demeure : la basse martelée. C »est un enchaînement qui fonctionne bien pour nous et c »est ce type de spectacle qu »on va présenter aux FrancoFolies le 18 juin. »

Enjamber les frontières

Il y a dans la musique électro-disco-pop de Le Couleur, un potentiel d »exploitation internationale sur lequel l’étiquette Lisbon Lux Records a eu la bonne idée de miser. La voix aérienne de Laurence rappelle celles de Charlotte Gainsbourg et de Mylène Farmer. Le son du trio évoque aussi bien la french touch que l’euro-dance scandinave ou la pop sexy d »un groupe comme Chromeo, une facture sonore qui s’exporte bien. Le groupe rentre d’une petite tournée française. Les marchés travaillés par le jeune label bien réseauté incluent l’Europe francophone, l’Allemagne et l’Autriche, les grandes villes américaines et même l’Asie. « Ça fonctionne bien pour nous en Europe, la plupart de nos influences proviennent de là. C »est plus naturel pour nous de jouer à Berlin qu »à Chicoutimi. On trouve inspirante la trajectoire de Peter Peter; on aimerait suivre sa trace, aller s’installer trois, quatre mois en France pour approfondir nos démarches. »

Un décloisonnement qui s’observe également dans la façon dont Le Couleur propose sa musique. Le groupe privilégie la forme brève du EP, logique dans un contexte où les ventes d »albums sont en déclin et l’offre musicale, constamment renouvelée. Le groupe propose de nombreux remixes, sans non plus tourner le dos à l’objet vinyle. Cette approche polymorphe, très DIY, adaptée à l’éclatement des formats, ne nuit pas au groupe, bien au contraire. « On suit nos impulsions et envies du moment. Notre maison de disque ne nous impose pas de contraintes d »industrie. On fait de la musique, c »est tout. »

« Fille ou garçon, on se pose la question / Une robe ou un pantalon », chante Laurence dans Télé-Jeans. Ce jeu sur la transgression des frontières rejoint la question des genres. « En français, les mots sont genrés. J’ai eu envie de m »amuser avec ça, de voir comment on pouvait jouer avec la règle et la contourner – d’où notre nom de groupe. Et sur une note plus légère, je trouve ça sexy quand les Anglos disent « le couleur! »

Le Couleur et Les Marinellis
Dans le cadre des Rendez-vous Pros des Francos
Présenté par la SOCAN
Le 18 juin, 17h au Pub Rickard »s, Montréal



Chaque projet pour le cinéma ou la télévision que les compositeurs Amin Bhatia et Ari Posner entreprennent est pour eux une occasion d’apprendre l’un de l’autre et de relever de nouveaux défis qui leur fournissent de nouveaux outils tant sur le plan individuel que collectif.

« J’adore le fait qu’après 15 ans de collaboration, nous essayons encore de nous améliorer et de nous surprendre mutuellement », confie Amin Bhatia. « C’est très sain d’avoir un collaborateur de longue date en qui vous avez confiance et qui vous lance constamment de nouveaux défis. Vous savez, le meilleur compliment que nous pouvons nous faire mutuellement lorsque nous écoutons le travail de l’autre », poursuit-il alors qu’Ari Posner éclate de rire, sachant très bien ce qui va suivre, « c’est “je te déteste”. Lorsque l’un de nous travaille sur un truc et l’envoie à l’autre pour avoir son opinion, nous écrivons “Alors, tu me détestes?” et si on aime, on répond “Félicitations. Je te déteste.” »

« C’est très sain d’avoir un collaborateur de longue date en qui vous avez confiance et qui vous lance constamment de nouveaux défis. » – Amin Bhatia

Leur plus récent projet, pour la série télé de la CBC X Company, ne fait pas exception à la règle. Cette série raconte l’histoire d’un groupe fictif d’agents spéciaux entraînés dans une base secrète située en Ontario, bien réelle celle-là, nommée Camp X et dont la mission est de saper les opérations nazies en Europe durant la Deuxième Guerre mondiale. Et bien que la paire soit familière avec les grandes lignes de l’histoire de cette guerre, aucun d’eux ne connaissait l’existence de ce camp d’entraînement. « Cet aspect du projet était vraiment cool », raconte Bhatia, « et lorsque les producteurs de la série nous ont demandé de libérer notre agenda, nous avons dit “OK, on va voir ce qu’on peut faire”, mais en réalité nous sautions de joie. »

X Company est une création de Mark Ellis et Stephanie Morgenstern, les créateurs d’une autre série télé très populaire intitulée Flashpoint, qui avait également été mise en musique par le duo Bhatia-Posner, sans doute leur travail le plus connu et qui a été largement salué. D’ailleurs, à ce chapitre, ils ont reçu trois SOCAN Film & TV Awards au long des cinq années qu’a durée la série, en plus d’un Prix Écrans Canadiens pour la meilleure musique dans une série. Ils collaborent toutefois depuis bien plus longtemps, s’étant rencontrés en 1999, et ont notamment travaillé sur Get Ed, la série animée de Disney qui leur a valu une nomination aux prix Emmy.

Cela ne les empêche tout de même pas d’avoir des carrières individuelles très prolifiques. Parmi les réalisations auxquelles Posner a contribué, on retrouve notamment All the Wrong Reasons et My Awkward Sexual Adventure au cinéma, ainsi que des séries télé telles que 24 Hour Rental. Quant à Bhatia, sa discographie remonte à 1987 avec son premier album The Interstellar Suite et dont la suite – Virtuality – n’est venue que 21 plus tard. Au cinéma on l’a entendu dans les films Once a Thief et Iron Eagle II de John Woo, ainsi que dans des séries télé telles que Kung Fu et Queer as Folk, pour ne nommer que celles-là.

Bien qu’ils n’aient aucun arrangement contractuel formel, Bhatia nous explique que « de temps à autre un projet se présente et nous savons immédiatement que c’est un projet sur lequel nous devrions collaborer, et nous sommes toujours aussi excités lorsque se présente une telle occasion. »

De toute évidence, puisqu’ils avaient déjà travaillé pour Ellis et Morgenstern, X Company était l’occasion idéale d’une nouvelle collaboration. « Mark et Stephanie nous ont dit “On ne pourrait imaginer travailler avec quiconque d’autre” », raconte Posner, avant d’ajouter qu’il était néanmoins essentiel pour tout le monde que les compositions pour X Company soient substantiellement différentes de celles écrites pour Flashpoint. Car la possibilité est bien réelle qu’un client potentiel vous associe tellement à votre travail précédent qu’il ne parvienne pas à voir au-delà de celui-ci. « En tant que compositeurs, nous nous devons d’être des caméléons, alors c’était très satisfaisant pour nous de voir que Mark et Stephanie tenaient à travailler avec nous. »

Produit par Temple Street Productions pour la CBC, X Company a été tourné en Hongrie et a pris l’antenne en février 2015, tandis que le tournage de la saison 2 débutera en juillet de la même année. Posner et Bhatia avaient toutefois déjà entrepris le travail de composition avant même que le tournage de la première saison soit entrepris. « C’est la nouvelle tendance », explique Bhatia. « C’est une façon, pour les producteurs, de trouver la signature sonore d’une production. C’est plus fréquent dans le domaine du cinéma que de la télé. »

En fin de compte, le résultat de leur travail de composition a pris la forme d’une librairie d’idées et de mélodies qui a permis de cimenter l’approche musicale et l’habillage sonore de la série. « Stephanie et Mark ont joué un rôle-clé dans l’élaboration d’une direction qui convienne à tout le monde », poursuit Bhatia. « De plus, avec la collaboration de nos monteuses Lisa Grootenboer et Teresa Deluca, ainsi que de toute l’équipe de production sonore chez Technicolor Toronto, nous avons proposé des idées musicales et sonores qui ont carrément changé le montage de la série. »

Bien que X Company soit une série historique, sa musique est volontairement très moderne, comme l’explique Posner. « D’entrée de jeu, on nous a dit “ça se passe durant la Deuxième Guerre mondiale, mais on veut donner l’impression que ça se passe maintenant” – l’intention étant que les auditeurs plus jeunes puissent tout de même s’identifier aux personnages. Il y a des moments où la musique doit être un peu plus traditionnelle afin de refléter l’époque, et il est vrai que parfois nous allions un peu trop loin dans le modernisme, mais c’est comme ça que nous avons réussi à trouver l’équilibre parfait. »

« En fin de compte, nous sommes parvenus à créer une ambiance musicale qui plaisait à tout le monde », conclut Bhatia.