Mystère. Une image de fille aérienne, colorée et festive lui colle aux fesses, alors que ses deux premiers albums solos racontaient, sans refuser de parfois s’enfoncer dans la noirceur, les apprentissages que porte en leur creux le passage à l’âge adulte. N’était-il pas question sur Apprentie guerrière (2012) du deuil de relations que l’on croyait éternelles, puis sur Pan (2014), de la difficulté de laisser derrière soi de vieilles histoires ayant engendré des plaies mettant trop de temps à guérir ?

Liqueur serait-il en fait le premier véritable album de l’apaisement, pour Fanny Bloom ? Oui, sommes-nous tentés de conclure, alors que même face à la pluie qui s’éternise dans la tribale On s’aimera, la chanteuse ne demande qu’à croire que l’amour réel triomphera des plus violentes averses.

« J’imagine que l’âge a fini par produire son effet », confie-t-elle, un peu amusée par ce rôle de jeune vétérane, que lui permet de revendiquer un quatrième album post-Patère rose. Le hasard étant ce qu’il est – fascinant – Fanny Bloom célébrait son 32e anniversaire le jour de notre conversation.

« J’aurais bien aimé que ça se produise avant, cet apaisement, mais en même temps, fallait bien passer par tout ce chemin-là pour y arriver. Il y a beaucoup dans ce nouvel état d’esprit l’effet de la tournée et de l’album que j’ai faits en solo [Fanny Bloom, paru en 2016, des réinterprétations de ses plus belles chansons]. J’ai été obligée de me défendre seule, ça m’a boosté la confiance. Ça a été comme une sorte de refresh. »

Entourée dans son chalet de ses anciens compagnons de La Patère rose, Thomas Hébert et Julien Harbec (le duo TŌKINOISE), Fanny Bloom se prévaudra de cette salutaire page blanche afin de laisser pour de bon dans la marge de vieilles et tenaces angoisses.

« J’étais dans une énergie complètement différente qu’à l’habitude. Non seulement on était nonchalants; on avait envie d’être nonchalants. On n’avait pas l’ambition de révolutionner la pop. L’attitude, c’était plus: je bois ma bière, j’écris un texte, je le chante, pis on va avoir du fun. C’est peut-être spécial à dire, mais j’ai appris en créant Liqueur que ce n’est pas grave la musique. Il y avait une vie avant que les gens me connaissent, il y en aura une vie après. Avant, j’étais habitée par des ambitions d’être plus connue, de faire en sorte qu’à chaque album, ma musique rejoigne plus de gens, des réflexes qui deviennent très fatigants à longue, et sur lesquels j’ai vraiment lâché prise. »

Réjouissant paradoxe: Fanny Bloom n’a jamais aussi souvent été invitée sur des plateaux de télé, ou dans des studios de radio, que depuis la sortie de Petit bois, son ode à la fertilité créative de la campagne, qui annonçait Liqueur il y a quelques mois.

Elle en a écrit plusieurs, des chansons en apparence impudiques, cette Fanny Bloom qui se languissait beaucoup sur Pan que son amoureux la retrouve enfin sous les couvertures. Elle n’avait pourtant jamais écrit de chanson aussi intime que Lily, une lettre adressée à son chum au sujet de sa mère en-allée, dont l’arrangement très sobre tranche avec le reste de ce Liqueur, sur lequel règnent les rythmes électroniques et les sons synthétiques.

Fanny Bloom

« Parler de moi qui attend mon chum en bobettes [comme dans la chanson Pan], ça ne me gêne pas pantoute, ça fait partie du quotidien. À la rigueur, ça fait glousser quelques dames en spectacle. Parler de la mère de Thomas, c’est impliquant, parce que c’est précieux. Et c’était tellement intime que j’ai hésité à la mettre sur l’album. Je ne savais pas non plus si Thomas allait vouloir que je la mette. Ça avait tellement été tabou longtemps entre nous, la mort de sa mère. Maintenant, c’est comme si j’allais pour la première fois à la rencontre de cette femme que je n’ai pas connue. Et ça fait que je peux évoquer sa mère dans une conversation sans qu’il y ait de malaise. Le souvenir de sa mère n’est plus que douloureux. »

« Cache-nous le pire / Dis ce qu’il faut dire / Tu es trop sensible / Parce que tu es une fille », ironise-t-elle ailleurs, dans Au réveil, comme pour subvertir un discours avec lequel on l’aura trop longtemps confinée au rôle de la chanteuse à la voix de gamine, donc forcément impossible à prendre au sérieux.

Lui a-t-on souvent servi ce genre d’âneries ? Réponse sans équivoque: « Mon dieu seigneur ! Tellement ! On se le fait tellement dire qu’on est trop sensibles, les filles. Nos amis nous le disent, on se le dit même parfois entre nous. Et ça me gosse tellement quand je vis des émotions, qu’on les ridiculise. Ça me met en… ! Ça fait juste mettre de l’huile sur le feu ! Vos yeules ! »

Toujours aussi franche, mais franchement moins taciturne que dans le passé, Fanny Bloom n’aura jamais semblé aussi épanouie. Citons un fragment des paroles de Château fort : « Les étoiles éternelles / Se donnent beaucoup trop de mal / Pour qu’entre nous et elles / Leur lumière émane / C’est à croire qu’elles sont fidèles / Et que c’est plutôt normal / Leur goût irrationnel de briller / Et je me sens un peu comme elles / Éparpillée et loyale / Et j’ai l’envie réelle / De vivre mon âge. »

Vivre son âge, ça signifie quoi ? « Ben ça veut dire plein d’affaires en même temps. Ça veut dire de continuer de profiter au maximum de la vie, de vivre pour vrai, de ne pas vieillir trop vite dans ma tête. Je vois parfois des amis sur Facebook et je me dis « C’est quoi ça? » J’ai le goût de leur dire: « Profitez donc de la vie, seigneur! » Tout le monde a le droit de trouver son bonheur là où il le veut bien, évidemment, mais de voir des amis avec qui t’as grandi embrasser des clichés tellement intenses – le mariage, la grossesse, la maison neuve dans un domaine sans arbre, dans l’ordre ! – ça me donne le goût de rester jeune encore un peu. »

Voilà un judicieux pari, que de choisir le bonheur, sans choisir le conformisme.