La musique de TOBi a le don de s’adresser directement à l’époque où nous vivons.

Plus tôt en 2020, cet artiste hip-hop de 27 ans originaire de Brampton, en Ontario, lançait un remix de sa chanson « 24 », mettant en vedette les poids lourds Shad, Haviah Mighty et Jazz Cartier dans une critique inconditionnelle du racisme systémique, des stéréotypes et du profilage racial. Sorti au début de mai avec un vidéoclip puissant conçu pour faire réfléchir, l’enregistrement est arrivé quelques semaines à peine avant que le monde soit secoué par la mort brutale du Noir George Floyd sous les genoux d’un agent de Minneapolis. Cette exploration lyrique de la précarité de la vie des Noirs est un rappel qui fait réfléchir à une réalité généralisée.

Dans la même veine, la plus récente parution de TOBi, ELEMENTS Vol. 1, un projet de mixtape de 10 pistes lancé le 21 octobre 2020, est d’une urgence et d’une pertinence tout aussi manifestes dans la foulée du lancement de la version de luxe de son tout premier enregistrement, STILL (2019), qui exprimait la dissonance culturelle qu’il avait éprouvée après avoir quitté le Nigeria pour vivre au Canada pendant son enfance. (Le remix du projet, STILL+,  a atteint un total combiné de 17 millions diffusions sur toutes les plates-formes de musique en continu.)

« [ELEMENTS Vol 1] a davantage à voir avec ma façon de m’exprimer sur le plan artistique, avec l’exploration de divers sons et celle de la profondeur de ma créativité », explique TOBi sans aller jusqu’à considérer ce projet comme son deuxième album – mais en le comparant plutôt, avec respect, à la série de mixtapes Dedication de Lil Wayne. « Tandis que STILL est autobiographique du début à la fin. Voilà! Et [ELEMENTS] est davantage, genre, l’expression d’une ambiance, d’une musique, d’un désir de découvrir divers aspects [de moi-même] et de voir ce que ça pouvait donner. »

La démarche vaguement exploratoire suivie sur ELEMENTS Vol. 1 ne fait que souligner la polyvalence et l’adaptabilité étonnantes de la voix de TOBi, qui va et vient entre le chant et le rap avec une superbe facilité mélodique, et dont les paroles s’inspirent des poèmes et des réflexions qu’il inscrit dans son journal avant de mobiliser le moindre accompagnement musical. TOBi a compté sur des collaborateurs torontois comme le réalisateur Harrison et la chanteuse Loony sur ce projet, mais sa connexion avec des réalisateurs comme Juls, établi à Londres, sur « Dollars and Cents » est davantage révélatrice de la façon dont le son de ce projet se rattache à la diaspora Noire mondiale.

« J’avais ces chansons-là depuis quelque temps, et je voulais les sortir, mais pas sous la forme d’un album traditionnel parce qu’elles sont plus expérimentales, tu sais, j’essaie des trucs différents là-dessus » explique TOBi. « Tu sais, il y a l’enregistrement grime, l’enregistrement Afrobeats. Il y a aussi des joints R&B plus contemporains là-dedans. Mais, tu sais, le thème primordial du projet est la joie de vivre Noire comme forme de résistance. Ça a été une année mouvementée pour tout le monde, mais je pense surtout que les luttes des gens de race Noire ont été plutôt évidentes cette année. En plus de la COVID, il y a eu les protestations [liées à la mort de George Floyd], et avec les protestations du Nigeria [#EndSARS], ça finit par faire pas mal de choses en même temps. Et j’étais juste comme, genre, il faut que je fasse quelque chose. J’ai enregistré tellement de chansons au cours des derniers mois, garder ça juste pour moi n’avait aucun sens. ».

« On veut changer le discours sans être des martyrs »

« Made Me Everything » cristallise la résilience dont parle TOBi. Cette chanson d’une énergie contagieuse accompagnée d’un vidéoclip effervescent qui en met plein la vue a comme toile de fond la persévérance qui permet de surmonter le désespoir.

« J’ai définitivement écouté très attentivement l’échantillon au départ », admet TOBi en se référant à la piste soul vintage de 1971 de Words of Wisdom – Truth Revue, “You Made Me Everything”, qui sert de base à la piste. « Dans la chanson, [le chanteur principal] se plaint, mais c’est quelque chose de tellement spirituel que ça me transporte hors du temps et de l’espace », explique TOBi. « C’était une réflexion sur mon rapport à la douleur, sur le fait que je ne la laisse pas m’abattre, que je reconnais qu’elle est là, mais en prenant mieux soin de moi et des gens qui m’entourent et en envisageant un avenir meilleur. C’est de tout ça qu’il s’agit. »

Aussi intensément personnelle qu’elle soit, la musique de TOBi a une large résonance. Les vers  Well-spoken for a Black man / That’s how you serve a compliment with your back hand [une allusion aux compliments équivoques faits aux Noirs], sur lesquels débute de deuxième verset de « Made Me Everything », en est un parfait exemple.

« On dirait que chaque fois que je parle avec un homme Noir qui a entendu cette chanson, il me rappelle ces vers, parce qu’il s’agit d’un phénomène tellement intéressant qu’on ne peut tout simplement pas y échapper. Tu sais ce que je veux dire », explique TOBi. « Le fait que tant de gens l’aient vécue, ça veut simplement dire que c’est une chose à laquelle on ne peut pas échapper, c’est-à-dire la suprématie blanche… C’est exactement ça. Et, parfois, quand je mets des paroles comme ça dans une chanson, je n’essaie même pas de prouver quoi que ce soit. J’exprime honnêtement ce qui se passe et ce que je ressens. Et ce que je ressens, c’est que s’il y a autant de monde qui peuvent se reconnaître là-dedans, il faut que ce soit quelque chose de réel, non? Je n’invente rien. »

La démarche de TOBi témoigne d’un objectif plus vaste au sein de son activité créatrice. Il cherche non seulement à faire une musique actuelle, mais à faire en même temps une musique intemporelle. « Je l’ai écrite [“Made Me Everything”] en 2019 avant que les protestations de cette année s’emballent vraiment, après tout.  Que je l’aie écrite en 2019, ou 1996, ou, genre, 1984, le sentiment serait toujours le même, tu sais, il traverse le temps », conclut TOBi.

« Je pense que, comme tant d’autres personnes dans le monde, nous sommes, genre, tannés d’entendre les mêmes tropes, les mêmes discours, et qu’on veut changer ça sans être des martyrs, et sans sacrifier notre propre paix intérieure ni le caractère sacré de nos vies par la même occasion. Donc, c’est, ce sont vraiment les sentiments que m’inspire cette chanson. Elle me motive, elle m’autonomise, elle me valorise. Et je pense que bien des gens se sentent valorisés par certaines paroles de la chanson. C’est ce qu’on appelle la force, man. Comme, je suis reconnaissant pour ce qui va bien, et pour ce qui est sous mon contrôle. »