Reuben Bullock n’a jamais rêvé de devenir musicien. Déjà enfant, il était convaincu d’être incapable de chanter. « J’ai décidé que je n’avais pas de voix quand j’étais tout jeune », admet-il. « Je n’accompagnais pas la radio et je ne chantais pas autour des feux de camp. »

Cela ne l’a toutefois pas empêché, lui qui est désormais le visage du groupe alt-rock adoré de la critique Reuben and the Dark, de trouver sa voie comme auteur. Dès l’adolescence, il écrit de la poésie avec ferveur, s’empressant de coucher toutes ces idées sur papier — mais, ici encore, il ne ressent aucune urgence de partager son œuvre avec un public.

« J’ai eu toutes sortes de petits boulots désagréables et je prenais constamment des pauses pour aller à la salle de bain, m’asseoir avec mon carnet de notes et extérioriser tout ça », se souvient-il. « J’étais tout le temps habité par ce sentiment de “pourquoi je fais ça?? Suis-je censé partager ça??” J’étais très confus. »

À l’âge de 21 ans, son grand frère lui a fait don d’une guitare. Bullock a appris de manière autodidacte au cours d’un séjour en Thaïlande où il enseignait l’anglais. Il a appris 2 accords et, en un rien de temps, il avait écrit 20 chansons. « Ça y est », se souvient-il s’être dit. « C’est à ça que sont destinés tous ces mots. »

« Il y a beaucoup de ma vie dans ces chansons… Beaucoup de choses refoulées rattachées au fait d’être jeune. »

C’est également à ce moment qu’il a réalisé qu’il devrait apprendre à chanter s’il voulait rendre justice à ses mots. Il décrit ses premières tentatives comme étant « éthérées et douces », mais il se souvient très bien aussi d’un moment charnière où il s’est enfin décidé à chanter de toute sa voix. « Ç’a été très libérateur », dit-il tout simplement.

Fils d’un prédicateur, Bullock n’est pas le genre à vivre dans le passé ou à tenter de comprendre pourquoi il a réprimé sa voix. Sa jeunesse, il l’a passé entre deux villes un peu partout en Amérique du Nord, ce qui l’a ultimement et sans surprise mené à une rébellion contre la religion, bien qu’il fasse allusion à celle-ci comme une source d’inspiration.

« Il y a beaucoup de ma vie dans ces chansons… Beaucoup de choses refoulées rattachées au fait d’être jeune », confie-t-il. « Mais c’est sûr qu’il y a eu des périodes troublantes. »

D’une certaine manière, donc, chanter est également devenu une façon de se rebeller contre l’ancien Reuben, de la même manière que le skateboard, où il a atteint un niveau de compétition semi-professionnel, l’a été avant qu’il se tourne vers la musique. Déterminé à surmonter sa peur de chanter ou jouer devant public, Reuben a passé deux années à peaufiner son talent, parfois cinq soirs par semaine, dans des soirées ouvertes aux amateurs un peu partout dans Calgary, la ville qu’il considère désormais son « chez lui ». « Je répétais et répétais jusqu’à ce que ça commence à venir tout seul », raconte l’auteur-compositeur. « Mais c’était une source d’anxiété incroyable. »

Ruben Bullock explique qu’il y avait essentiellement deux raisons pour lesquelles à a assemblé un groupe de musique pour l’accompagner lors de l’enregistrement de son premier album solo, Pulling Up Arrows, en 2009 : premièrement parce qu’il se sentait plus à l’aise sur scène lorsque d’autres gens s’y trouvaient avec lui et, deuxièmement, parce qu’il a réalisé qu’il désirait cr.er quelque chose de plus grand que lui, musicalement, pas simplement « un gars qui chante une chanson qu’il a écrite. »

En 2012, il lance son second album solo, Man Made Lakes, où il est accompagné du groupe formé de son frère Distance Bullock aux percussions et au violoncelle, du multiinstrumentiste Shea Alain et du bassiste Scott Munro, groupe qui deviendra Reuben and the Dark et qui a connu de nombreuses incarnations depuis.

C’est cet album qui a attiré l’attention de Mairead Nash, l’imprésario du populaire groupe indie-rock britannique Florence and the Machine. Nash se trouvait au Mexique et est entré dans un café où un ami de Bullock travaillait. « Il faisait jouer mon CD et elle a aimé ce qu’elle a entendu et a demandé à mon ami ce qui jouait. »

C’est grâce à ce plus pur des hasard que Bullock est entré en contact avec Chris Hayden, le batteur de Florence and the Machine. Ensemble, ils ont donné une série « de concerts très rigolos dans des clubs » au Mexique et sont devenus très proches. Peu de temps après, Bullock s’est rendu à Londres pour travailler avec Hayden sur des chansons qui allaient ultimement se retrouver sur Funeral Sky, qui a été produit par Hayden avec des contributions des auteurs-compositeurs professionnels Stephen Kozmeniuk (Madonna, Nicki Minaj) et Jim Abiss (Arctic Monkeys, Adele). Cet album, le premier lancé sous le nom de Reuben and the Dark, est paru sur étiquette Arts & Crafts en mai 2014.

Et même si son ascension a été relativement rapide, Bullock prend bien soin de ne rien tenir pour acquis. « J’essaie d’être reconnaissant en tout temps », dit-il du chemin parcouru jusqu’à maintenant. Aujourd’hui âgé de 30 ans, il admet qu’il trouve encore quelque peu surréel de monter sur scène et d’entendre l’auditoire chanter ses paroles. « Chaque fois que ça se produit, je ne parviens pas à chanter la chanson sans sourire, à plus forte raison si j’établis un contact visuel avec une personne dans l’auditoire », explique-t-il en riant. « Une partie de moi a juste envie de sauter en bas de la scène et d’aller leur faire un immense câlin. »

« Les chansons doivent vous émouvoir si vous espérez qu’elles émeuvent quelqu’un d’autre. »

Reuben Bullock, dont on a depuis entendu la musique de dans une publicité de Travel Alberta, en 2015, ainsi que dans un épisode de la série Between diffusée par Netflix, explique qu’il se fait un point d’honneur de prendre le temps de rencontrer ses fans après ses spectacles. « C’est ça qui me motive à continuer », affirme l’artiste. « Être un musicien en tournée, c’est une vie épuisante, surtout si on ne s’accorde pas ce genre de récompense. Je me sens vraiment privilégié d’avoir le genre de réaction que nous avons. »

Mais peu importent les défis de la vie en tournée, elle est nul doute beaucoup plus facile du fait que Kaelen Ohm, l’épouse de Reuben, fait partie du groupe où elle joue de la guitare, des claviers et chante. Sans surprise, donc, il affirme que son épouse est celle qui le prépare mentalement à chanter devant des auditoires de plus en plus imposants, comme tout récemment au Massey Hall de Toronto où le groupe assurait la première partie de la tournée de nord américaine l’auteur-compositeur australien Vance Joy.

« J’ai adopté une nouvelle philosophie que m’a transmise mon amoureuse : présumer que les gens vous aiment avant qu’ils vous donnent une raison de penser autrement », confie Bullock. « Présumez que l’auditoire veut vous entendre. Avant, je montais sur scène en présumant que je devais faire mes preuves avec mes chansons. Maintenant, je monte sur scène en me disant que les gens veulent écouter et que je désire chanter. »

L’approche semble porter ses fruits. Son plus récent simple, « Heart in Two », lui vaudra sans aucun doute de nouveaux fans — rappelons-nous ici que Funeral Sky était inscrit sur la liste des albums préférés du nouveau premier ministre Justin Trudeau durant la campagne électorale —, mais la priorité de Bullock, qui s’est temporairement installé à Toronto pour élargir son réseau, demeure d’être présent pour son auditoire et de continuer à parfaire son art.

« J’essaie très fort de comprendre comment écrire les chansons que je suis censé écrire », explique-t-il de manière très introspective tandis qu’il se prépare pour un voyage de dernière minute au Mexique afin de s’y reposer. « Parce que je sais ce que je veux vraiment faire — j’ai au moins compris ça. C’est là, juste devant moi. C’est une guitare dans ma main. »

Mais peu importe la suite des choses, Bullock affirme qu’il continuera de créer des chansons qui semblent porteuses de sens pour lui comme pour les autres. « Les chansons doivent vous émouvoir si vous espérez qu’elles émeuvent quelqu’un d’autre », croit-il le plus simplement du monde. « Mon but, pour l’instant, c’est de me concentrer sur ça et d’aller jusqu’au bout. Tout ça a été un véritable cadeau du ciel. »