Au moins, ils n’ont pas eu à sauter à travers des cerceaux pour participer à la production.

Grâce à la participation de Wracket Music Supervision Inc., Everton « Big Easy » Lewis Jr. et plusieurs jeunes rappeurs canadiens prometteurs ont pu placer leurs productions dans Anyone’s Game, une série documentaire de six épisodes de 30 minutes présentée par la CBC au sujet de l’un des pipelines de talents les plus prometteurs pour la NBA : The Athlete Institute.

Everton Lewis Jr.

Everton Lewis Jr. (Photo: Will Selviz)

Basé à Orangeville, Ontario, l’institut construit son équipe Orangeville Prep alors que les joueurs cherchent à obtenir une bourse de la division 1 de la NCAA et, espèrent-ils, un éventuel contrat professionnel. Le documentaire met également en vedette le talent de rappeurs prometteurs tels que Patrik, originaire de Montréal et torontois d’adoption, Friyie (prononcé. FREE-yay, un rappeur d’origine ghanéenne et canadienne), et le collectif de MC du Grand Toronto Lunch Room Poetz.

Lewis Jr., qui a été directeur musical pour Vice Canada pendant trois ans explique que la CBC l’a mandaté d’utiliser de la musique canadienne, et il a pris la décision de faire appel à de nouvelles recrues plutôt qu’à des vedettes établies. Certains des placements étaient des artistes que Lewis Jr. connaissait déjà ou dont il avait auparavant utilisé la musique dans des productions de Vice.

« Ces gars-là, surtout Patrik, sont vraiment en train de créer un “buzz” », dit-il. « J’ai été régisseur de plateau pour lui durant la Canadian Music Week il y a quelques années, et il travaillait vraiment fort pour gravir les échelons. Sa chanson “High End” a été retenue par TikTok Canada pour sa campagne musicale, et c’est aussi une des chansons que j’ai licenciée pour l’émission. Je trouvais approprié de l’inclure pour donner plus de visibilité à son son tout en profitant de sa notoriété grandissante. »

Patrik

Patrik (Photo: Laizlo)

Lewis Jr. a également travaillé avec Friyie sur le documentaire 6ix Rising : Toronto’s Rap Ascendance et c’est sa chanson « Money Team » qui était la chanson thème du boxeur professionnel Floyd Mayweather lorsqu’il a confronté Conor McGregor lors d’une conférence de presse. Quant aux Lunch Room Poetz, il les connaît par l’entremise de son ami de longue date, Phil « Philly Regs » Rego qui fait partie du quintette.

« Ils sont issus de l’underground et de la forme artistique brute et véritable du hip-hop », explique Lewis Jr. « J’ai toujours pensé que c’était vraiment important, parce qu’une grande partie de la trame du basketball n’a pas commencé avec ce nouvel âge musical — elle a commencé avec l’influence d’artistes comme KRS-One ou Nas, à l’époque. Lunch Room Poetz, c’est cinq “battle MC” et ils sont féroces ! Je voulais que ce son cru Toronto-New York ressorte tout au long de Anyone’s Game. »

Évidemment, les artistes invités sont reconnaissants pour cette opportunité.

« Ça représente beaucoup pour moi de faire partie de la culture du basketball au Canada », confirme Patrik. « J’ai joué au basketball dans ma jeunesse et j’aspirais à jouer dans une ligue, à l’université, c’est agréable d’être dans cette atmosphère… L’implication de ma musique me fait sentir comme une extension de l’histoire de ce qui se passe à Orangeville. »

Lunch Room Poetz

Lunch Room Poetz (Photo: Kenzo Ferrari)

Pour Patrik, lorsqu’il crée des « flows » comme « High End », c’est le rythme qui vient avant tout. « Tout commence par un “beat” », explique-t-il. « Je ne suis ni producteur ni “beat maker”, alors j’ai l’habitude de travailler avec plusieurs producteurs et “beat makers” afin de trouver la bonne “vibe” pour mon état d’esprit. Quant à l’écriture [des textes]… Je commence par prier et demander de la compréhension et de la sagesse, ou la bonne formulation pour exprimer ce que je vis. »

Dans le cas de Lunch Room Poetz — Young Stich, B1 The Architect, Lotus James, KP et Philly Regs — leur chanson « The Grind » était toute désignée pour un épisode de Anyone’s Game également intitulé « The Grind ». « C’était parfait, man », dit B1 The Architect. « Ça parle de tout ce qu’il faut faire pour réussir et c’est quelque chose qui ressemble beaucoup [à notre expérience] dans notre groupe. C’est pas facile d’être un label indépendant et d’essayer de lancer ses propres productions, tout comme c’est pas facile d’être un joueur de basketball indépendant qui essaie d’être reconnu et de se rendre à la NBA ou à la NCAA. »

La clé de la créativité des Lunch Room Poetz est d’arriver en studio avec plein de « “beats”. “L’un d’entre nous va lancer le bal avec un couplet et ensuite on écrit ensemble et on essaie de s’en tenir à un concept”, explique B1 The Architect. Tant Philly Regs et B1 sont convaincus que la présence du groupe dans Anyone’s Game contribuera à une plus grande crédibilité. “Ça donne au groupe un peu plus de notoriété dans la communauté rap, parce que prouver que tu peux accomplir un truc comme ça, c’est majeur”, dit Philly Regs.

Friyie

Friyie (Photo: Ennrick Thevadasa)

Friyie entretient toujours une relation professionnelle avec Mayweather qu’il appelle un “mentor” et un “grand frère”. Il dit que le placement de sa chanson “Pushin’” est “une excellente opportunité pour ma musique d’être présentée seule, parce qu’en tant qu’artiste, on essaie d’obtenir le plus de placements possible. J’ai joué au basketball au secondaire et je suis un vrai fan du sport, alors c’est évident que c’est une réussite, pour moi.”

Friyie — qui a travaillé avec le rappeur Tory Lanez et Roddy Ricch sur son premier album ANF (Ain’t Nothing Free) — dit qu’il commence ses créations par le freestyle. “Je dis simplement à l’ingénieur de commencer à m’enregistrer dès que j’entre dans la cabine”, dit-il. “Je commence sur une page blanche parce que je n’aime pas trop réfléchir aux chansons… Je vais écouter le rythme pendant quelques secondes, et je commence à faire du freestyle, j’enregistre la chanson deux ou trois fois, en sortant tout ce qui me passe par la tête. Ensuite, je l’écoute et je choisis les parties qui constitueront la base de la pièce et je bâtis sur cette base.”

Aucun doute que Anyone’s Game donnera un bon coup de pouce à Friyie, Lunch Room Poetz et Patrik et, qui sait, peut-être est-ce l’occasion qui les lancera dans l’œil du public.



Quand l’auteur-compositeur et producteur Rob Wells explique sa préférence pour les collaborations plutôt que la création solo, c’est vers les analogies sportives qu’il se tourne. « Une coécriture, c’est comme découvrir comment jouer au tennis », explique-t-il. « On commence par jouer seul en frappant la balle contre un mur. On finit par comprendre comment la balle reviendra vers nous », poursuit-il. « Mais quand on commence à jouer avec quelqu’un d’autre, on n’a aucun moyen de savoir comment la balle nous reviendra. Aucune idée si elle ira vars la gauche, la droite, le haut, le bas ou dans le filet », conclut-il.

Wells a remporté trois Prix No. 1 SOCAN :

* « All About Me », interprétée par Matt Dusk en 2006
* « Comme Avant », interprétée par Marie-Mai en 2011
* « Un coup sur mon cœur » interprétée par Marc Dupré en 2013

Nous l’avons joint chez lui à Pickering, ON, où il est en confinement avec sa famille de cinq enfants et il poursuit son explication. « C’est lorsque j’ai commencé à collaborer avec d’autres gens et beaucoup de gens différents que j’ai commencé à vraiment trouver la joie de la création et de la production musicale. »

Cette joie s’est accompagnée de plusieurs prix et distinctions, dont trois Prix #1 SOCAN, plusieurs certifications de ventes multi-Platine, Platine et Or, et une discographie qui inclut des succès pour une cavalcade de vedettes internationales et canadiennes et une variété impressionnante de styles musicaux : Justin Bieber, Ariana Grande, Corey Hart, Randy Bachman, The Backstreet Boys, Serena Ryder et Selena Gomez.

Wells se tourne de nouveau vers le sport lorsque vient le temps de donner des conseils aux débutants. Il compare le processus d’un auteur-compositeur à celui d’un culturiste. « Le premier jour où vous allez au gym, vous soulevez des poids d’un kilo et ça vous semble vraiment ridicule et stupide, mais après une demi-heure vous réalisez que “Wow, mes bras deviennent un peu douloureux”. Vous augmentez les poids au fil du temps jusqu’à ce que, après quelques années, vous vous retrouvez sur le banc à faire des haltères de 115 kilos. C’est un processus qui prend du temps, il n’y a pas de raccourci entre le point A et le point B. »

Vous travaillez sur cette première chanson, comme il le dit, « en trouvant une mélodie, des accords, des paroles simples, et puis vous ne vous attardez pas sur cette chanson, mais vous passez à l’écriture d’une autre. Termine ça en une journée, puis passe à une autre et une autre. Au bout d’un an, tu vas regarder en arrière et te dire “Wow, j’en reviens pas comme ces vieilles chansons sont pourries, mais écoutes ce que je fais maintenant !” La qualité de ton travail augmente exponentiellement quand tu commences à collaborer avec d’autres artistes. » Et si vous travaillez comme Wells, les « Wows » seront nombreux.

« La qualité de ton travail augmente exponentiellement quand tu commences à collaborer avec d’autres artistes »

Inévitablement, vous aurez envie de pousser le contrôle que vous avez sur le produit fini en commençant à produire vous-même. « À mes débuts, j’écrivais des chansons et c’est l’interprète qui choisissait son producteur. Très souvent. Et j’étais très déçu quand j’entendais le résultat. Rien à voir avec l’ego. C’est juste que pour moi, la musique et tellement émotionnelle et communicative. En étant responsable de la production de mes chansons, je suis en mesure de communiquer exactement l’émotion que je cherche à transmettre. »

Même lorsqu’il a son chapeau de producteur, Wells place toujours la chanson à l’avant-plan. « Je ne pense pas à la production tant que la chanson n’est pas terminée », dit-il. « Une fois la chanson écrite, je me concentre sur le refrain. Le refrain est la partie la plus importante de la production, j’essaie de le rendre le plus imposant possible avec le moins d’instrumentation possible. Comme ça, tu pars d’un refrain qui sonne comme une tonne de briques sans tomber dans le piège de la sur-production, et tu rebrousses chemin en simplifiant les choses pour ton prérefrain, en simplifiant encore plus pour tes couplets et en simplifiant vraiment beaucoup pour ton intro. »

« Si tu travailles dans l’autre direction, en commençant par l’intro et en ajoutant plus d’instruments pour le couplet, encore plus pour le prérefrain, quand t’arrives au refrain, c’est presque cacophonique et assurément sur-produit. »

Wells a enseigné à l’Institut Harris et à la Lakefield College School, mais les producteurs et compositeurs débutants peuvent en apprendre plus directement de lui grâce à sa série de tutoriels sur YouTube (comme le premier, intégré dans cet article).



La pochette de l’album Soleil ’96 de Vanille semble davantage sortie de 1968 que de 1996. Certes, la jeune Rachel Leblanc derrière le projet Vanille peut se targuer d’être née au milieu des années 90, mais on lui collera sans broncher l’étiquette de la « vieille âme », passionnée par ce que le passé peut encore aujourd’hui déployer comme richesse stylistique. Voyage dans le temps à bord du véhicule 96.

Vanille, Rachel Leblanc« J’ai toujours pensé que je n’étais pas née à la bonne époque, confirme d’ores et déjà Rachel Leblanc, le soleil dans la voix. Par contre, romancer le passé, c’est vraiment plaisant et c’est même mieux parce que je peux aller creuser dans tellement d’époques différentes. Tout ce qu’on a pu acquérir dans l’histoire de la musique, je l’ai dans ma sacoche. »

Paru en janvier, Soleil ’96 est un premier long jeu en français qui suit la parution, il y a trois ans, d’un EP en anglais : My Grandfather Think I’m Going to Hell. Depuis, Rachel a évidemment évité l’enfer et le soleil s’est plutôt dessiné sur la pochette de son album, mais l’été n’est pas la seule saison qu’évoque cet album. « Chaque saison a laissé sa marque, dit Rachel. On parle surtout du temps qu’il nous faut pour se remettre des choses. La pièce Les jours manqués, qui vient clore l’album, ça nous dit que oui, l’amour est déchu, mais on passe à autre chose. Il y a une progression, un peu comme avec le temps qu’il fait et les saisons qui passent. »

Emmanuel Ethier (Pierre Lapointe, Corridor, Peter Peter, Chocolat) a vu Rachel sur scène à la Brasserie Beaubien en 2019 et il lui a écrit le lendemain pour lui dire qu’il pouvait l’aider à peaufiner son matériel. « C’est une belle leçon de persévérance cet album-là, rigole-t-il en se rappelant à quel point il a dû jongler entre plusieurs de ses propres projets pour également travailler sur celui de Rachel. Elle aurait pu abandonner ou changer de réalisateur. C’était long. » Or, le réalisateur perçoit également dans le projet Vanille une volonté de ne pas faire avancer les choses sur des coups de tête.

Le syndrome de l’imposteur se laisse sentir des deux côtés. Si Rachel est consciente qu’elle est encore jeune et que son entourage a beaucoup à lui apprendre, Emmanuel, qui cumule les accomplissements n’a pas l’impression qu’il « fait quelque chose de spécial ». « Je ne fais jamais de la musique pour moi quand je travaille avec un artiste pour son projet, précise-t-il. Ma job, en réalisation, c’était de me mettre dans la tête de Rachel. Si j’en viens à imposer quoi que ce soit, éthiquement, je trouve qu’il y a un problème. »

Si Rachel a d’abord été tétanisée lorsqu’elle a vu Emmanuel Ethier à son show à la Brasserie Beaubien, elle a tout de suite saisi l’opportunité offerte par ce dernier. « Il m’a permis de me botter le cul, lance-t-elle. Je me suis dit que si j’avais droit à cette opportunité, je ne pouvais pas la laisser passer. »

Et les chansons étaient déjà là, presque prêtes, écrites et composées d’un seul jet. « J’écris toujours seule dans ma chambre à la guitare et je passe quelques heures à me dire que c’est pas bon et finalement, après un peu de travail, j’aime ça, rigole-t-elle. Et je laisse la chanson telle qu’elle est. Ça garde un aspect déconstruit qui me représente bien. »

Les influences 60’s sont bien palpables. Avant même qu’on écoute le disque, le visuel nous amène là. Les influences de Rachel se retrouvent à cet endroit, mais aussi au cœur des années 90 qui l’ont vu naître, un souffle rock garage auquel on colle une voix mélancolique jamais triste. « Je nomme souvent Karo comme influence, mais c’est vraiment ça. Et Stereolab aussi, la musique britannique d’il y a trente ans, ça me parle », confie Rachel Leblanc. « On a beaucoup écouté et parlé de ses références, se rappelle pour sa part Emmanuel Ethier. Je voulais capter ce côté yéyé et sa volonté d’être dans le renouveau psychédélique anglais. »

Dans l’entourage de Rachel, le running gag, c’est qu’elle n’écoute que des albums issus de 1968. « Je sais, c’est précis », s’amuse Emmanuel. Et si cette époque révolue avait encore des choses à nous apprendre? Peut-être que tout a droit à une seconde vie et le projet musical Vanille embrasse le mandat.

« Mon deuxième album va être complètement dans la philosophie hippie, la nature, conclut Rachel. La pandémie a affecté mon moral et je veux parler de toutes les façons dont je me suis évadée grâce à la forêt. »