Carol Ryan, lauréate 2016 du prix Christopher J-Reed remis annuellement par l’APEM (Association des professionnels de l’édition musicale), semble surprise par la nouvelle. « J’opère dans un milieu qui ne ressemble pas beaucoup à celui de mes compatriotes », s’excuse-t-elle. Pourtant, celle qui est aujourd’hui directrice de la gestion des droits musicaux pour le Cirque du Soleil présente une feuille de route impressionnante. Alors que Ryan fait ses débuts chez les disques PolyGram à la fin des années 70, elle s’initie à l’univers de l’édition en travaillant au service des membres à la SDE, ancêtre de la SOCAN. « Ce fut pour moi un passage déterminant. J’ai beaucoup appris. Ces connaissances, tout ce bagage théorique, m’ont ensuite permise d’avoir en main les outils nécessaires pour travailler au Cirque du Soleil. »

À son arrivée au Cirque à la fin des années 90, Carole Ryan relève de nombreux défis, dont la mise en place de Créations Méandres, une équipe et structure de gestion de droits musicaux. Ce travail, qui se réalise dans un milieu atypique, met en lumière la singularité du parcours de Carol Ryan. « Travailler les droits musicaux au sein d’une entreprise, c’est en marge de tous les éditeurs indépendants qui opèrent au Québec et qui m’ont sélectionnée pour ce prix. Cela me touche d’autant plus. Les réalités sont différentes. Je ne travaille pas avec des vedettes. Et la musique n’est pas au coeur des activités du Cirque, non plus. Oui, nous sommes un élément important, mais nous ne sommes pas au centre de tout. »

« Comment réussit-on à gagner sa vie si l’équation marchande se transforme autant ? Où trouvera-t-on les revenus ? »

Carol Ryan n’a qu’à exposer la liste de ses intervenants quotidiens pour révéler la complexité du milieu de travail que peut offrir le Cirque du Soleil, une entreprise aussi créative que tentaculaire. « Je me retrouve à travailler avec des commanditaires, des médias, des tourneurs, sur des projets qui ont des  déploiements multiples, sur différents continents. En plus d’entretenir une relation avec le compositeur qui livre la musique d’un spectacle, il faut aussi desservir le reste de l’entreprise qui s’affaire à déployer les outils promotionnels et le contenu additionnel, que ce soit un documentaire, une captation de spectacle, un album, un DVD. Cela va bien au-delà d’établir une relation avec un artiste et d’apprivoiser un nouveau répertoire. » Carol Ryan, qui gère aujourd’hui plus de 2 000 titres actifs, souligne la nécessité de se trouver en mode solution, une forme de capacité à s’ajuster aux changements. Cette souplesse est d’autant plus nécessaire que plusieurs cultures sont ici réunies. La culture du cirque se déploie de manières différentes à travers le monde que ce soit en Europe ou en Chine. Carol Ryan dialogue aussi avec une culture d’entreprise qui mise avant tout sur la créativité.

Carol Ryan, David Murphy, Daniel Lafrance, Jehan V. Valiquet

Carol Ryan entourée des lauréats précédents du Prix Christopher-J.-Reed : David Murphy (à gauche), Daniel Lafrance (à droite de Mme Ryan), et Jehan V. Valiquet (à droite)

Au cours des vingt dernières années, il a aussi fallu s’adapter aux géométries variables de l’entreprise. Lors des années d’expansion du Cirque du Soleil, Carol Ryan opérait les licences de droits pour trois spectacles en simultané : Ô, La Numba et Dralion. Ces projets sur de multiples territoires ont généré autant de pressions que de contentement. « Au finale, on est fier d’avoir traversé tout ça. » Créations Méandres avait alors doublé son personnel de 3 à 6 employés. Dernièrement, de nouveaux changements sévissent au sein de l’entreprise. En 2015, le cirque a été vendu à des intérêts étrangers, américains et chinois, laissant ainsi souffler sur l’entreprise un vent d’incertitude. Mais Carol Ryan confirme que le cœur de l’entreprise reste intact et que les calendriers de création et de production vont bon train. « La priorité est toujours sur le spectacle, ce qui est une très bonne chose. »

Fidèle à sa disposition de regarder vers l’avant, Carol Ryan envisage les multiples enjeux auxquels font face l’édition musicale avec positivisme.  « Le cirque a gagné un prix dernièrement sur une expérience en réalité virtuelle. On se familiarise perpétuellement à de nouvelles réalités. Et ceux qui ont nié ces changements ne sont plus là aujourd’hui. Maintenant, j’ai hâte de voir comment les choses vont évoluer pour cette génération qui met tout en ligne gratuitement. Comment réussit-on à gagner sa vie si l’équation marchande se transforme autant ? Où trouvera-t-on les revenus ? Les éditeurs ont trouvé des solutions à travers les placements de pièces musicales. Mais il y a encore d’autres solutions à trouver. Moi, je ne suis pas alarmée. Quand ce dossier- là sera réglé, un nouveau émergera. Le mouvement est la nature même de la vie. »