Pour son 25e anniversaire, le festival MUTEK continue de faire ce qu’il a toujours fait : mettre en lumière l’audacieux travail d’artistes d’ici et d’ailleurs dans les domaines de la musique électronique et de l’art numérique. Son histoire reflète la richesse de la scène électronique montréalaise depuis ses balbutiements, il y a plus de trois décennies.

Alain Mongeau

Alain Mongeau. Photo: Petronille Gontaud

Après avoir été l’une des plaques tournantes du disco et de la new wave, Montréal vibre, au tournant des années 90, au rythme plus virulent de l’acid house et du techno. Dans le souterrain de la ville, les jeunes se réapproprient des lofts, des entrepôts et des lieux abandonnés pour y danser frénétiquement toute la nuit. La culture des raves, importée des États-Unis et de l’Europe, commence à faire sa marque ici.

C’est là que notre histoire commence, lorsqu’un certain Alain Mongeau, futur fondateur de MUTEK, découvre cette culture avec une grande excitation. « Au début, c’était surtout une gang d’anglophones initiés, notamment des Britanniques, qui participaient aux raves. Y’avait pas de masse critique qui s’intéressait à ça. C’était un circuit fermé… jusqu’à ce que ça se ramasse du côté francophone. »

Originaire de Québec, le DJ et producteur Fred Everything (qui participera cette année à MUTEK pour la deuxième fois de sa carrière) a lui aussi connu cette période effervescente. « Tout ce qui se passait en Angleterre avec le mouvement acid house est venu me chercher. C’était de la musique dance, mais avec un côté alternatif auquel on pouvait se rattacher. »

De manière presque obsessive, le jeune artiste, alors adolescent, se met à fréquenter les clubs et les raves de la capitale, en plus de faire des aller-retour à Montréal pour participer aux événements de grande envergure. Il est là, en mars 1993, lorsque se tient l’un des premiers raves plus «officiels» de l’histoire de la métropole : Solstice, organisé entre autres par le pilier de la scène électronique montréalaise Tiga. « C’était dans un building à côté d’Habitat 67. On organisait des bus pour aller là ! » explique-t-il, avec une certaine nostalgie dans la voix.

Au départ fasciné par cette culture naissante, Alain Mongeau commence à observer, au milieu des années 1990, un phénomène de commercialisation qui viendra peu à peu ternir l’image qu’il avait des raves. « Ce que j’aimais de la culture rave, c’est pas juste la musique, mais aussi l’environnement, la découverte. Y’avait un côté immersif très fort dans les événements, avec des éclairages, des visuels. Mais là, avec le début des afterhours, on retournait dans le circuit des clubs. Les forces commerciales récupéraient le mouvement. On perdait le côté créatif, libre. »

Fred Everything

Fred Everything. Photo: Bruno Destombes

« Ce qui est arrivé, c’est que faire des partys illégaux, c’était pas toujours facile », analyse, avec un regard plus optimiste, Fred Everything. « On était tannés de se battre avec la police, de devoir trouver constamment de nouveaux endroits [pour organiser les raves]… Y’a un business model plus viable qui s’est construit. »

Mongeau, à l’époque, a déjà la tête ailleurs. En 1994, il assiste au festival Interference, un événement visionnaire présenté en marge de la Love Parade de Berlin. C’est une vraie révélation pour le jeune trentenaire. « C’est la première fois de ma vie que je voyais un événement centré sur le côté artistique de la musique électronique. On était au-delà du côté festif de la musique. Y’avait une volonté de donner ses lettres de noblesse à cette pratique artistique. »

Quelques années plus tard, Mongeau fonde MUTEK avec cette même mission en tête : préserver et alimenter la fontaine créative de la musique électronique et de l’art numérique au Québec. Pour ce faire, les artistes invités au festival ont le mandat de jouer en direct plutôt que de proposer un set de DJ. Encore aujourd’hui, 99,9% des artistes invités (selon les statistiques avancées par Mongeau) proposent des formats de performance en direct, en phase avec l’esprit du modèle Interference.

Le creux des années 2000, l’effervescence des années 2010

Après une première édition mémorable regroupant 30 artistes, dont un certain Tim Hecker, dorénavant reconnu à l’échelle planétaire pour ses explorations ambient, drone et noise, MUTEK se taille une place de choix parmi les rendez-vous électroniques nord-américains. Tout au long des années 2000, des musiciens importants de la scène locale comme Akufen et Scott Montieth, ou bien des artistes numériques comme Herman Kolgen, Myriam Bleau et Martin Messier, développent leur carrière en parallèle au festival. « Mais après quelques années, étant donné le contexte nord-américain qui est très limitant, plusieurs artistes ont déménagé en Europe », remarque Mongeau.

La raison principale ? Les marchés friands de musique électronique sont plus rapprochés de l’autre côté de l’Atlantique; les occasions de performer sont donc plus nombreuses pour les artistes. C’est pour cette raison que Fred Everything, lui aussi, déménage durant les années 2000. Après s’être fait un nom sur la scène montréalaise dès le tournant du millénaire avec ses mélanges très vigoureux à base de house, de techno et de jungle, il s’installe à San Francisco pendant environ sept ans. « J’avais atteint le plafond à Montréal. Je sentais que je manquais d’inspiration. Je voulais être dans un bain de culture plus vivant. »

Maara

Maara

À son retour à Montréal, en 2015, il constate à quel point la scène électronique a repris du galon. « Avant de partir, j’avais joué à la deuxième édition du Piknic Électronik, y’avait peut-être 80 personnes incluant le staff. Mais quand je suis revenu, c’était la folie ! MUTEK, aussi, était devenu une destination importante – et pas juste pour les gens de Montréal. Y’avait aussi toute une scène très effervescente dans le coin du Mile-End, avec des artistes comme Jacques Greene […] et Pablo Project. »

C’est dans cette scène très effervescente que s’immerge la productrice Maara. Après avoir passé son enfance aux États-Unis et à Toronto, la jeune artiste née à Montréal (qui évolue alors sous le nom de Massie Dome) débarque au milieu des années 2010, à peine majeure, dans un environnement artistique très stimulant. « J’ai commencé à fréquenter les bars, les partys de l’avenue Durocher, à me faire des amis DJs », dit-elle, évoquant, entre autres, les noms de Lis Dalton, Ex-Terrestrial, Ramzi et Bootyspoon. « Je me suis sentie vraiment chanceuse. C’était un moment très spécial dans le nightlife montréalais. »

MUTEK est une référence déjà bien ancrée pour la diffusion des musiques électroniques à ce moment. « Ma grande sœur m’a amenée au festival quand j’avais 18 ans. C’était complètement fou de voir l’intégration entre la musique et les éclairages. J’aime beaucoup le côté artistique du festival – un festival qui, d’ailleurs, est beaucoup moins commercial que d’autres gros événements à Montréal. Chaque année, quand MUTEK commence, on sent que la ville s’anime. »

Maara se lance officiellement comme productrice et DJ peu après son arrivée, obtenant un écho favorable sur la scène montréalaise avec son alliage énergique et volontairement chaotique de dance, de trance et de house progressive. Mais rapidement après son éclosion en 2017, elle remarque un changement de dynamique dans la ville. « La scène s’est un peu refroidie à partir du début de la pandémie. On a perdu beaucoup de partys underground, et il a fallu tranquillement tout rebâtir. »

MUTEK

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Au-delà des grandes figures qui s’imposent (comme Priori, Marie Davidson ou Kaytranada), Montréal reste aujourd’hui une scène au rayonnement modeste à l’échelle de la planète. « Montréal n’est pas une usine de production aussi reconnue que la scène de Melbourne par exemple », analyse Maara. « Je ne dirais pas que c’est la ville la plus importante au monde pour la musique dance, mais ironiquement, je pense que c’est ce qui la rend si spéciale. Il y a de la place pour l’innovation et la créativité ici parce que la ville n’est pas au centre de tout. Elle peut permettre aux artistes de s’épanouir sans ressentir une pression de conformité […] Elle n’oblige pas les artistes à devoir « réussir » ou à essayer de commercialiser ce qu’ils font. »

À cet égard, MUTEK s’impose comme le meilleur canal de diffusion pour notre scène électronique. En plus de son rendez-vous annuel à Montréal, le festival permet l’exportation de la musique d’ici par l’entremise de ses branches internationales à Mexico, Barcelone, Buenos Aires, Santiago, Tokyo et Dubaï. En revanche, de gros noms issus des quatre coins du monde se rendent dans la métropole chaque été pour participer au festival. Cette année, Nosaj Thing, Kode9 et Steffi, notamment, seront de la partie.

« Un des soucis qu’on a pour toujours rester pertinent comme festival, c’est d’évoluer en même temps que les artistes [et les courants artistiques] », explique Alain Mongeau. « C’est vraiment une grosse job, de ne jamais se laisser dépasser et de suivre constamment ce qui se passe. »

Vingt-cinq ans après sa fondation, on peut dire que MUTEK continue de relever ce défi haut la main.