La scène des Francouvertes 2025 s’est refermée sur une évidence : la lumière appartient à ceux qui la fabriquent ensemble. Muhoza, couronné grand gagnant de cette 29e édition, ne porte pas cette victoire comme un trophée solitaire. C’est un pacte d’avenir scellé avec sa troupe, un souffle nouveau sur les promesses de la scène hip-hop montréalaise.

Muhoza, Francouvertes, winner, 2025« C’est un peu comme ma vie qui change, » confie Déric Muhoza Eloundou, encore habité par la victoire du 12 mai. Ce Montréalais né d’un père camerounais et d’une mère rwandaise a grandi à Ahuntsic et aujourd’hui, à 21 ans, sa vie est une discipline où le travail sert la musique.

« Je travaille du jeudi au samedi soir, et le reste de la semaine je suis dans des studios. C’est à ça qu’a ressemblé ma dernière année », se rappelle-t-il. Désormais, l’espace se libère. « Je peux garder mon focus sur la musique sans avoir peur de dépenser. Je peux juste penser à écrire. Gérer un budget et tout, ça enlève la créativité. »

Ce qu’il a offert aux Francouvertes n’est pas un numéro, mais une recréation vivante de Bijou, son album paru en 2022. « Ce qu’on a présenté, c’est l’album, mais en personne. On a rebâti tout ça sur scène, en ajoutant quelques nouvelles chansons. » Le processus s’est construit à plusieurs mains, dans une alchimie sans hiérarchie. « On a fait des jams, tout le monde lançait des idées, j’écrivais des textes sur le côté, se souvient Muhoza. Tous les musiciens ont leur mot à dire. Ils sont tous des érudits. Moi je ne pourrais jamais t’expliquer c’est quoi une descente pentatonique, mais eux, ils le savent, tu vois ? »

Ils sont cinq à l’accompagner : des amis, des frères de son. La plupart se sont rencontrés au cégep de Saint-Laurent, mais c’est la scène qui les a liés à jamais. « Ce sont des génies, ils sont juste trop forts. » Il évoque une répétition marquée par la tempête. « Il y avait 45 centimètres de neige tombés en deux jours. Ils sont quand même tous venus à la pratique. »

Muhoza, c’est la force tranquille d’un enfant de YouTube qui beatboxait à quatre ans et se lançait dans le breakdance sans jamais avoir suivi un seul cours. À l’école primaire, il se produisait déjà dans des spectacles de talents. L’oralité l’a toujours habité. « J’ai été bon en français dès que j’ai commencé à écrire. Ça m’a donné encore plus envie de le faire. »

Muhoza, Francouvertes, winner, 2025, video

Cliquez sur l’image pour démarrer la vidéo Francouvertes de Muhoza sur YouTube

Le rap, pour lui, c’est le lieu de toutes les textures : le scratch, le sampling, la rime. Sa rencontre avec Kanuk, beatmaker et allié de la première heure, a marqué un tournant. « Dès que je l’ai rencontré, il avait un sampler incroyable. C’est là que j’ai tout appris. » Ensemble, ils tracent une route qui mêle les ruelles montréalaises au souffle jazzé des années 90.

Et l’écriture ? Elle se fait dans le silence, toujours. « J’ai besoin qu’il n’y ait rien. Pas de musique, dans un parc, sur mon toit, dit-il. Je n’aime pas écrire quand il y a de la musique. » Son inspiration, il la trouve dans le réel : « les histoires de mon quotidien, de mes proches. » Son ambition est simple et immense à la fois : « Je voudrais que les gens se disent que c’est vrai. Que mon son est rempli de vérité, et mon propos aussi. »

Il a d’ailleurs décidé de pousser plus loin cette quête de précision. « Je me suis inscrit en création littéraire à l’UQAM. Je vais commencer à l’automne », précise-t-il. Le rappeur, qui se dit encore en apprentissage de sa voix, compte travailler son chant avec Carson, un membre de la troupe. « C’est drôle que je gagne un concours de chanson, parce que je ne chante pas si bien que ça », lance-t-il en riant.

Le lendemain des Francouvertes, il s’est reposé. Mais le surlendemain, il écrivait déjà. L’élan est intact. « On va être encore plus présents les uns pour les autres, parce qu’on sait que ça se peut maintenant », souffle-t-il, inspiré.

Parmi ses inspirations musicales : Theodora, RauZe, Mike Shabb, Anderson Paak… et Ariane Moffatt. « Avec mes collègues au travail, on est vraiment fous avec Je veux tout d’Ariane. C’est une chanson que je ne peux pas m’empêcher d’écouter. Il y a tout dans cette chanson. Dans la cuisine du Kitchen Galerie, où je travaille, pendant la préparation, c’est Ariane Moffatt ! »

L’avenir de Muhoza s’écrit avec les autres. Il rêve de collaborations avec Mike Shabb, Nicholas Craven, il veut continuer d’enrichir les beats de Kanuk, de sculpter sa voix grâce à celle de Carson. Il parle de soul, de vérité et d’élargir son registre. « Je trouve qu’il me manque de soul. Avec le nouveau prix Album de l’année – R&B/Soul, à l’ADISQ, je trouve ça important de connaître l’ensemble des choses possibles dans cette catégorie-là »

Muhoza ne vient pas de nulle part, il vient de partout. De la neige tassée sur le trottoir, des vidéos d’archives hip-hop, des chansons qu’on fredonne en épluchant des oignons. Il est la preuve qu’on peut bâtir une cathédrale musicale si on sait bien s’entourer.