Lancer un album n’est jamais facile, même dans les meilleures circonstances. Mais en plein milieu d’une pandémie quand partir en tournée n’est pas une option, les musiciens ont dû relever des défis inattendus.

Ron Hawkins : utiliser la diffusion en continu en direct de manière créative et soutenir des causes

Ron Hawkins, Do Good Assassins

Le plus récent album de Ron Hawkins, intitulé 246 devait être lancé par Warner Canada, mais la pandémie en a décidé autrement.

« Warner a décidé de lancer l’album, ce qui était incroyablement excitant étant donné qu’il a été enregistré sur une console quatre pistes à cassette qui date de 1985 », explique l’auteur-compositeur-interprète surtout connu pour son passage dans le groupe Lowest of the Low. « J’adore la contradiction dans le fait qu’un “major” lance un album très artisanal qu’on a enregistré dans le salon chez notre batteur. Mais comme nous ne pouvions plus faire de tournée promotionnelle ou fabriquer des exemplaires physiques vu que les usines étaient fermées, nous avons décidé qu’il était plus sensé de le lancer comme le petit monstre indépendant qu’il est vraiment. »

Le prolifique musicien — il lance régulièrement de la musique depuis 1991 — s’est dit que cette période surréelle était parfaite pour le lancement de cet album. « Je me suis dit que ce serait intéressant d’observer ce qui se produirait avec un auditoire “captif” », dit-il. « Est-ce que les gens seraient trop distraits et déprimés pour remarquer sa sortie ? Ou au contraire seraient-ils assoiffés de nouveauté ou de quelque chose qui leur rappelle, même juste un peu, la normalité de la vie pré-COVID ? »

Il y a eu des embûches et les fans veulent quand même des exemplaires physiques — surtout en vinyle —, mais avec le soutien total de son équipe, il est allé de l’avant et il assure depuis le mois d’avril la promotion de son nouvel grâce à une diffusion en continu en direct intitulée « Tommy Douglas Tuesdays ».

« C’est une bonne occasion de pousser mon nouvel album, mais au début de la pandémie, je m’en servais surtout comme plateforme activiste », dit Hawkins. « J’invitais les gens qui voulaient m’envoyer de l’argent par l’entremise d’un pot à pourboires virtuel ou via PayPal à plutôt faire un don à diverses causes : achat d’équipement de protection personnelle pour les hôpitaux, alternatives à la police comme Bear Clan Patrol à Winnipeg, Black Lives Matter, refuges pour femmes, etc. De nombreuses femmes se sont retrouvées isolées ou même coincées avec leurs agresseurs en raison de la pandémie. Je tenais des panneaux de carton avec le nom de causes écrit dessus. »

« Le “livestreaming” est également une manière de raconter l’histoire de ces chansons et leur processus de création. J’ai passé les 11 premières semaines à explorer tout mon catalogue sans me répéter. Je crois que je me suis rendu à 220 chansons environ. J’ai non seulement exploré l’étrange monde du “livestreaming”, mais je me demande maintenant par quoi je vais remplacer cette intimité quand on va recommencer à pouvoir jouer dans les bars et les salles de spectacles. »

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Hannah Georgas : Twitch & Zoom

Hannah Georgas

“La tournée est une part importante de la promotion d’un album, pour moi. Sans cet élément du processus, tout est assez étrange », admet Hannah Georgas quelques semaines après le lancement de All That Emotion. « J’avais l’impression que ça faisait une éternité que je n’avais rien sorti et que le temps était venu ; je crois aussi que les gens ont plus envie d’écouter de la musique que jamais auparavant. »

Georgas s’est tournée vers la création musicale virtuelle le 20 octobre en collaborant avec Amazon sur Twitch. Elle a présenté un « livestream » accompagnée de son groupe, et cette prestation est devenue son premier concert en 2020. Elle a également des conversations avec ses fans sur Zoom. Bref, la situation a totalement stimulé sa créativité. « Je suis devenue futée, j’ai créé beaucoup de contenus vidéo moi-même », confie-t-elle. « C’était gratifiant de prendre les choses en main, même si c’était parfois un défi. »

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Dione Taylor : mini vidéoclips et conscience sociale

Dione Taylor

Dione Taylor aussi a dû faire preuve de créativité dans la foulée de sa plus récente parution, Spirits in the Water.

« Je n’ai jamais fait de TikTok », dit Taylor en rigolant. « Le truc le plus important qu’on fait, c’est du “livestreaming”. On a passé toute la semaine dernière à créer et distribuer des CDs. On a tourné un clip pour chacune des pièces de l’album. On ne pouvait pas créer les vidéoclips qu’on aurait voulus à cause de la COVID, alors on a créé des mini vidéoclips amusants. Les gens semblent vraiment les apprécier et ils adorent les chansons, donc c’est une nouvelle façon de tisser des liens avec les gens. »

L’une des motivations pour que Spirits se rende dans les mains de ses fans est que même en l’absence de l’« échange d’énergie » qui est possible en spectacle, les thèmes abordés sur l’album — Black Lives Matter, droits des femmes, équité — sont des thèmes dont l’auditoire doit entendre parler maintenant, « pendant que nous sommes tous coincés chez nous et qu’on n’a pas le choix d’aborder ces questions », dit-elle. Je pense sincèrement que les textes de plusieurs de mes chansons ont réellement fait réfléchir beaucoup de gens sur ce qui se passe dans le monde. Dans le monde mains aussi dans leurs vies. Et dans nos communautés. »

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Daniela Andrade : visuels YouTube et reflet du monde

Daniela Andrade

« Au début, je me disais que ce n’est vraiment pas le moment de lancer un projet », dit Daniela Andrade qui vient tout juste de lancer Nothing Much Has Changed, I Don’t Feel the Same. « Tout semblait si lourd à tout le monde que j’avais l’impression que c’était pratiquement égocentrique de promouvoir autre chose que de l’information utile. Sauf que j’ai aussi fini par sentir qu’il fallait que je lance quelque chose pour ma propre santé mentale. J’ai toujours espoir que ma musique offre un peu de réconfort aux gens. Pour moi la musique est un espace où je me sens en sécurité et vers lequel je reviens constamment. »

Andrade, qui compte près de 2 millions d’abonnés à sa chaîne YouTube, dit que les visuels sont la façon la plus directe de joindre ses fans. « Ç’a toujours été important pour moi d’avoir un aspect visuel à mon travail », explique-t-elle. « C’est à travers les vidéoclips que j’invite les gens dans l’univers d’un projet. Ça semble bien fonctionner. »

Mais malgré ce succès sur les réseaux sociaux, elle espère quand même que c’est sa musique qui aura l’impact le plus durable. « Les choses qui résistent au temps sont celles qui sont empreintes d’honnêteté », croit Andrade. « Je crois que notre travail, en tant qu’artistes est de traiter et de refléter le monde qui nous entoure et de dire les choses qui doivent être dites. »