Le jour où « Rick ‘n’ roll » a ouvert la voie au « rock ‘n’ roll » a marqué un nouveau jalon dans l’histoire des auteurs-compositeurs canadiens indépendants.

Après avoir torturé ses futurs auditeurs – peut-être que le mot « torturé » est un peu fort, disons plutôt « titillé » – en diffusant ad nauseam, 24 heures par jour, sept jours sur sept, le succès du chanteur britannique Rick Astley de 1987 intitulé « Never Gonna Give You Up », la nouvelle station de radio torontoise Indie88 a finalement pris son envol avec la chanson « Ready To Start » d’Arcade Fire, le 31 juillet dernier.

Entrée en ondes dès midi à la fréquence de 88,1 FM, la station Indie88 marque un nouveau chapitre pour les artisans indépendants canadiens : une bouffée d’air frais en cette ère de plateformes médiatiques émergentes où les chansons jouent pour moins d’un sou.

« Les conditions de notre licence sont d’offrir 40 pour cent de contenu canadien, dont 60 pour cent doit venir de nouveaux artistes, » explique Adam Thompson, directeur de la programmation d’Indie88, qui cite Hannah Georgas, Dan Mangan et le groupe torontois Pup parmi les musiciens préférés des auditeurs de cette nouvelle station.

« Le potentiel est illimité. Nous n’imposons aucune condition sur ce que nous faisons jouer ou ne faisons pas jouer. Essentiellement, vous n’avez qu’à créer une œuvre, à donner un spectacle, à venir nous voir et vous serez chez vous ici. »

Puisque les auteurs-compositeurs canadiens gagnent en moyenne 1,35 $ par mise en onde sur une station de radio (d’après la répartition d’août 2013 de la SOCAN), ceci nous rappelle qu’en ces temps d’innovation, où les modèles technologiques et numériques proposent des formes de rémunération incertaines aux créateurs, les redevances issues des mises en onde radiophoniques demeurent une source de revenus importante et fiable.

Et alors que les artistes indépendants donneraient n’importe quoi pour être diffusés sur les ondes des grandes radios, la réalité est que rares sont celles qui prennent la défense de la musique indépendante au Canada.

« Il peut y avoir une brusque hausse juste parce que certaines stations de radio ont beaucoup fait tourner notre musique. » — Royal Wood

Au pays, pour les chansons d’une à sept minutes, les auteurs-compositeurs indépendants doivent s’en remettre aux radios universitaires ou communautaires (à un taux de 4,60 $ par diffusion, selon le sondage de la SOCAN, mais ce qui ne reflète que la période du sondage, soit de trois à 14 jours par année, selon le tarif de la licence de la station); aux radios commerciales (recensées par BDS ou Broadcast Data Systems, et dont le taux est de 1,35 $ par mise en onde); et à CBC Radio 2, qui rejoint quelque 2,1 millions d’auditeurs et où chaque mise en onde paye en moyenne 27,50 $. Ces taux ont été calculés d’après la répartition d’août 2013 de la SOCAN et varient légèrement selon le trimestre de la répartition.

Les auteurs-compositeurs reçoivent leur chèque de redevances de la SOCAN quatre fois par an et le revenu généré par les musiciens canadiens indépendants est souvent important, mais varie beaucoup.

« Je n’ai jamais considéré mes gains d’exécution comme un revenu fiable parce qu’il n’y a aucune façon de savoir ce qu’il va en être, » dit Royal Wood, auteur-compositeur torontois en nomination à un JUNO, en tournée en Suisse.

Royal Wood, dont la musique joue régulièrement sur les ondes de CBC Radio 2, ainsi que dans les stations universitaires et communautaires, parle du flux et du reflux des activités de sa carrière comme une réalité qui influence la génération de redevances, lesquelles fluctuent tout autant.

« On peut essayer d’avoir un ordre de grandeur, dit-il, mais il peut y avoir une brusque hausse juste parce que certaines stations de radio ont beaucoup fait tourner notre musique, ou qu’elle a été utilisée dans plusieurs pays. On est toujours obligé de se demander si les revenus vont être au rendez-vous. Autrement dit, je ne paye pas vraiment mon hypothèque avec mes redevances de la SOCAN, mais je réinvestis cet argent dans ma carrière. »

Bien sûr, lorsqu’il s’agit d’un groupe musical ayant plusieurs auteurs-compositeurs, les redevances doivent être partagées entre les coauteurs du groupe, fait remarquer Liam Corcoran, ex-chanteur et auteur de la formation Two Hours Traffic.

« C’est parfois substantiel, mais je ne pourrais certainement pas vivre de ce qu’on reçoit, » dit Liam Corcoran, qui a fondé il y a une douzaine d’années ce quatuor de musique pop lauréat d’un prix de la musique de la Côte Est (AMCE), à Charlottetown, Î.-P.-É., avant de se séparer en octobre 2013.