Kid Koala

Photo: Corinne Merrell

« Utilitaire » n’est pas exactement le genre de qualificatif qu’un artiste aimerait voir accoler à sa musique. Mais selon le DJ et compositeur montréalais Eric San, alias Kid Koala, c’est exactement le mot qui convient à son plus récent disque, Music to Draw to: Satellite. La fonction de ce projet est clairement expliquée dans le titre : il s’agit d’une musique destinée à accompagner le dessin (ou toute autre activité calme et solitaire). Avec ses tempos lents et ses couches de synthétiseurs, elle semble à des années-lumière des collages syncopés et éclectiques auxquels nous a habitués cet as des tables tournantes. Et pourtant, Kid Koala y voit l’un de ses projets les plus personnels et une extension naturelle de son travail. « La table tournante est là, mais pas comme un instrument qui joue des solos, plutôt comme un outil de production qui peut ajouter de la texture aux compositions, explique Eric. Et pour la version live du concert, j’ai créé un orchestre de platines qui sont manipulées par le public et le résultat est étonnant ! »

L’idée de ce projet unique est née de séances de DJing dans lesquelles Kid conviait un petit public dans des lieux parfois inusités (un restaurant vietnamien, par exemple) à écouter des disques calmes en griffonnant dans leurs carnets à dessin (« de la musique pour introvertis » de lancer Eric en ricanant). Le succès a été tel que le DJ a décidé de créer sa propre « musique à dessiner ». « Je trouve génial qu’on associe certaines fonctions à des musiques particulières. Les Ramones, c’est bien pour faire du ménage en vitesse, la musique EDM, c’est bien pour s’entraîner, et ainsi de suite ! »

Eric, qui travaille lui aussi à ses projets de bande dessinée ou de films d’animation, a ses propres disques fétiches lorsqu’il se retrouve devant la planche à dessins et ses deux préférés sont étonnants. « It’s a Wonderful World de Spaklehorse, un album un peu tordu dans lequel je n’arrête pas de trouver de nouveaux détails après des centaines d’écoutes, et puis Lucky Cat de Sian, un album électronique assez ambiant qui m’a été offert par Colin Greenwood de Radiohead et qui m’aide à perdre la notion du temps. »

C’est de ce dernier que se rapproche le plus Satellite. Outre la nature planante, le côté glacial et les tempos très lents de ce disque, son aspect le plus marquant est la présence d’une voix féminine, celle de la chanteuse islandaise Emiliana Torrini, dont Eric admire le travail depuis toujours. Après une première collaboration à distance en 2014, pour une chanson destinée à la bande originale du Men Women and Children de Jason Reitman, Eric a proposé à Emiliana de venir passer quelques jours à Montréal, histoire de travailler à ses « petites musiques d’hiver ». Étant du genre à prendre son temps pour écrire, Emiliana s’est laissée entraîner dans le « labyrinthe cérébral » du DJ, qui lui a concocté en vitesse des textes racontant l’histoire de deux amoureux qui s’éloignent de plus en plus l’un de l’autre dans l’espace intersidéral. « Eric est vraiment énervant : il réussit tout ce qu’il touche, dira plus tard la chanteuse à propos de son collaborateur. La création c’est son coeur, sa nature même, alors que moi, je dois me battre très fort pour atteindre cet endroit. »

En fait, ce projet est le premier volet d’une série de trois « disques d’hiver » que Kid Koala va réaliser pour le compte du label Arts and Crafts. Les seules contraintes qu’il s’est imposées sont simples : travailler exclusivement durant la froide saison et impliquer des chanteurs dans le processus. Était-il important qu’il fasse appel à une chanteuse nordique pour ce premier essai ? « Je pense que ça a facilité la compréhension de certaines choses, explique Eric. À un moment donné, Emiliana m’a demandé pourquoi le rythme de la chanson Adrift était si lent. Je lui ai dit qu’elle avait le tempo de quelqu’un qui pellette de la neige pendant trois heures et elle a tout de suite compris ! En fait, je me demande toujours comment quelqu’un qui est en Californie peur apprécier ce disque ! »

Peu importe que vous décidiez de faire du yoga ou de la peinture à numéro, ou simplement d’aller prendre une marche en sa compagnie, Satellite est le genre de disque qui trouvera une place dans votre vie si vous avez envie de vous retirer du brouhaha du monde. « Lorsque je fais mes sets de DJ de « Music to Draw to », je rencontre toutes sortes de gens, explique Eric. L’autre jour, j’ai vu un biologiste qui construisait des chaînes de protéines sur son ordi et une femme étudiait des modèles 3D du cerveau humain. Peut-être j’aurais pu appeler mon projet « musique pour faire des protéines » ou « musique pour faire de la neuroscience », mais c’est un peu moins accrocheur ! »