Keith KounaOctobre 2017, Keith Kouna lance Bonsoir Shérif, brûlot incendiaire, où l’auteur-compositeur se fait plus corrosif que ce qu’on lui connait du passé, puisant au passage dans sa récente escale avec Les Goules qui lançaient Coma l’année précédente. Dans la foulée de sorties de l’automne dernier, le gravé ressort fièrement du lot comme le témoignage d’une époque trouble, d’un homme pris à témoin devant une société et sa communauté, qui semblent perdre les pédales : « Je pense surtout que j’ai fait l’album que je devais faire au moment où je l’ai fait. »

Principalement écrit entre les présidentielles françaises et l’élection américaine de 2016, Kouna clamait, à sa sortie, dans les pages du Devoir être intoxiqué aux médias sociaux et autres commentaires sur les tribunes de nouvelles « Ça me met en criss, mais de temps en temps j’y vais, j’ai besoin de constater que sérieusement, ces gens existent »

Qu’en est-il quelques mois après la sortie ? « Je suis un peu plus relaxe avec tout ça. J’aime bien prendre des breaks de leur existence. » Ceci, bien qu’il demeure lucide sur l’état des lieux : « Je pense qu’on vient d’embarquer pour un long mauvais rêve. Je pense qu’il y a une grosse fracture sociale, un totalitarisme doux et hypocrite. Et une indifférence générale. C’est des temps complexes et difficiles à cerner avec précision, mais les impressions et l’instinct restent assez sombres… »

Flirtant avec le tempérament excessif, le créateur s’imprègne du climat social dans une dynamique de « tout un, tout l’autre » : « Je peux être hyperabsorbé par l’actualité, par la création – comme je peux avoir de longs moments de flottements, de décrochage total. Je ne sais pas si c’est par survie, c’est probablement un contrepoids pour pallier mon manque de modération. »

Suivant cet état d’esprit, Kouna se décline sous plusieurs incarnations : tantôt à titre d’auteur-compositeur, tantôt leader des Goules, tantôt en train de repenser l’œuvre de Schubert (Le voyage d’hiver, 2013). Si l’ambition ne l’embête visiblement pas, il gère aussi parfaitement les lignes directrices qui s’entrecoupent : « Je sais assez rapidement vers quoi je me tourne pour tel ou tel projet et, dans le cas de Bonsoir Shérif, même si ce n’est pas un album émotif et personnel, ça reste une prise de position plus personnelle. Les Goules c’est un peu plus abstrait, plus narratif à la limite. La chanson Coat de cuir n’aurait pas rapport d’être chantée par Keith. Tout comme Poupée sonnerait weird avec Les Goules. Après, il y a l’état d’esprit… il n’y a jamais de tournant définitif. Cette fois-ci, j’avais sorti les Goules l’année d’avant, j’avais envie de rester là-dedans. Donc il y a des trucs qui se rejoignent. »

Cela dit, il tient à nuancer : « Je ne suis vraiment pas le gars qui est en mode écriture en permanence, je suis très glandeur par moments. Je me surprends encore ! Je fonctionne par rush, par pression, et un peu dernière minute. Comme là, ça fait un bout que je n’ai rien écrit pis je suis pas trop mal avec ça… Mais quand je suis là-dedans, je suis tout aussi excessif et obsédé, à en avoir de la misère à dormir. Et puis une chose est sûre, j’aime pas trop répéter les choses. »

Et ce, en se posant des défis qui l’entraînent à l’ouest et le gardent sur le fil, loin de la zone de confort qui peut venir avec une quelconque forme de succès: « Si je me lance dans des projets, quels qu’ils soient, c’est que j’en ai envie et c’est aussi un désir d’anti-carrière en quelque sorte. En faisant des croches, des pauses, ça dynamise le parcours. Il y a quelque chose d’anti-corpo là-dedans qui me va. Je pense que c’est bénéfique d’aller me promener ailleurs, de me forcer à prendre des angles différents. De composer dans une optique Goules, ou Schubert ou le prochain truc. »

Et si le musicien reprend la route en mode Shérif dans les prochains jours, et ce, pour l’essentiel de 2018, il commence déjà à plancher sur le successeur du projet. Bien sûr, il se fait plutôt discret puisqu’il en est aux balbutiements, mais on sait déjà que les ambitions peuvent s’approcher de celles du Voyage d’hiver… « J’ai des idées actuellement qui peuvent s’apparenter à des trucs aussi ambitieux et chiants que ça. C’est le fun de s’attaquer à des gros projets comme ça. L’expérience du Voyage a été tellement riche comme parcours. Je me relacerais dans un projet comme celui-là demain. »

Les plus ambitieux voyages – voici tout le mal qu’on lui (et se) souhaite pour la suite.