De ses débuts à Toronto, où il a connu ses premiers succès comme auteur-compositeur-interprète et producteur, à sa carrière florissante à Los Angeles puis à Nashville, Fred Mollin – fils d’un infatigable gérant de supermarché de Long Island, dans l’État de New York – a parcouru un chemin exceptionnel en plus de 50 ans dans l’industrie du disque.
À 72 ans, il a récemment publié ses mémoires dans un livre intitulé Unplugged: Stories and Secrets from a Life Making Records, Scoring Film and Working with the Legends of Music. Nous sommes allés à la rencontre de ce membre à vie de la SOCAN – et finaliste aux Grammy Awards – pour discuter de son livre, des légendes avec qui il a collaboré et des leçons de vie qu’il a tirées de son parcours.
La vie musicale de Mollin a été ponctuée de hauts et de bas, de virages inattendus et de détours surprenants. De la production de succès No. 1 à la composition et aux arrangements de musiques pour le cinéma et la télévision, une chose est toujours restée constante — et il lui attribue d’ailleurs le mérite de sa longévité : rester ouvert aux nouvelles occasions, même, et surtout, lorsqu’elles sortent de sa zone de confort.
« Une bonne partie de ma carrière repose sur le fait que j’ai souvent dit “Bien sûr que je vais essayer ça!”, raconte Mollin depuis son studio à Nashville. Je n’avais peut-être aucune expérience dans ce style ou ce domaine musical, mais j’essayais quand même… et j’avais suffisamment d’instinct pour que ça fonctionne la plupart du temps. J’ai rarement dit non. »
L’étincelle initiale

Les Beatles avec Ed Sullivan
Comme pratiquement tous les jeunes de son âge, Fred Mollin se souviendra toujours d’une date : le 9 février 1964. Et dans son cas, c’est aussi l’étincelle initiale qui l’a lancé sur sa trajectoire. « Quand les Beatles sont passés au The Ed Sullivan Show, le monde a changé », raconte Mollin, qui avait 11 ans à l’époque. « Les Beatles étaient là avec leurs guitares et toutes les filles devenaient complètement folles. C’est là que je me suis dit : “C’est ça que je veux faire pour le reste de ma vie — jouer de la guitare, et faire crier les filles!” »
Les cris de groupies ne se sont peut-être jamais concrétisés, mais grâce à une oreille fine et ouverte, une passion sans retenue et une solide éthique de travail héritée de sa famille, Mollin a réussi à mettre la musique au cœur de sa vie. Et il n’a pas dit son dernier mot : le septuagénaire compose encore des chansons et produit toujours des albums. « Ç’a vraiment été tout un parcours », raconte-t-il. « Après avoir vu les Beatles à la télé, j’ai vraiment pris la guitare et l’écriture de chansons très au sérieux. Mon frère [aîné] Larry s’y est mis lui aussi et on a commencé à écrire des chansons ensemble. »
Avec la bénédiction de sa mère, Mollin quitte l’école à 16 ans pour se consacrer à la musique. Il joue dans des groupes locaux un peu partout en ville, mais son objectif reste de devenir auteur-compositeur-interprète. En 1972, las de Long Island, il s’installe à Toronto après que son frère Larry lui a suggéré de le rejoindre. Il y découvre une scène musicale effervescente : les clubs rock, blues et R&B de la rue Yonge et les boîtes à chansons de Yorkville. Il tombe rapidement en amour avec le Canada.
Entre ses spectacles en solo dans les boîtes à chansons et ses performances avec Larry dans une troupe d’improvisation humoristique appelée Homemade Theatre, Mollin écoute des disques et expérimente des techniques de production sur un magnétophone à quatre pistes. Dans son livre, il décrit cette période comme un moment où il « coupe la chandelle en deux et brûle les deux bouts de chaque moitié ». Désormais immigrant reçu, il se liera d’amitié avec Dan Hill, avec qui il partage souvent la scène. Très vite, ils découvrent une passion commune : écouter des disques et en discuter pendant des heures.
Le parcours vers un « hit » planétaire

Cliquez sur l’image pour démarrer le vidéoclip de la chanson Sometimes When We Touch de Dan Hill, coproduite par Fred Mollin, sur YouTube
En 1974, deux ans après l’arrivée de Mollin à Toronto, Hill – qui est sous contrat avec RCA Records – veut enregistrer un démo qui va lui permettre de percer sur le marché américain. Il invite Mollin à le coproduire en compagnie de son ami du secondaire Matthew McCauley, dont les parents ont financé ses deux premiers albums, parus en 1975 et 1976, qui seront certifiés or au Canada — ce qui correspondait à l’époque à 50 000 exemplaires vendus. Grâce aux radios américaines et à des spectacles dans des salles prestigieuses comme le Troubadour à Los Angeles et le Bitter End à New York, les États-Unis commencent à s’intéresser à lui.
La maison de disques américaine veut un simple capable de grimper au sommet des palmarès pour ce troisième album de Hill. Fin 1976, pendant que l’album est toujours en production, l’éditeur américain ATV Music organise une rencontre entre Hill et Barry Mann — un « hitmaker » américain de renom à qui l’on doit We’ve Got to Get Out of This Place , You’ve Lost That Lovin’ Feeling, et On Broadway , entre autres. Il n’y a cependant pas de chimie entre les deux artistes, mais Hill laisse tout de même à Mann un poème-chanson minimaliste sur un amour non partagé qu’il avait écrit quelques années plus tôt. Son titre : Sometimes When We Touch.
Quelques semaines après son retour de Los Angeles, Hill reçoit par la poste un colis de Mann contenant une démo de « Sometimes When We Touch », enregistrée sur un simple magnétophone à cassettes, où il découvre une mélodie modifiée par rapport à l’ébauche initiale. « Quand on a écouté ça, on s’est tous regardés en se disant : “Ça pourrait être un hit!” », raconte Mollin. Leur intuition s’avèrera juste. Ils enregistrent et mixent la version retravaillée par Mann au studio Manta Sound, à Toronto, avec des arrangements de cordes signés McCauley. Le morceau deviendra un succès international.
Sometimes When We Touch atteint la première place des palmarès au Canada et en Afrique du Sud, et devient un succès mondial qui touche le public partout en Europe et en Asie. En 1978, le simple grimpe jusqu’à la 3e position du palmarès Hot 100 de Billboard aux États-Unis. Avec 37 millions de vues sur YouTube, plus de 100 millions de téléchargements à ce jour, et une certification Or aux États-Unis (pour plus d’un million d’exemplaires vendus), ce classique de la pop figure aujourd’hui parmi les 100 chansons les plus jouées de tous les temps. Il a d’ailleurs été repris par des artistes aussi divers que Rod Stewart, Kenny Rogers, Barry Manilow et Dolly Parton.
Pour Mollin, la prochaine étape est évidente : gonflé à bloc, il fait ses valises et prend la route de Los Angeles avec sa fiancée, en quête de rêves encore plus grands.
Left turns and lullabies

Cliquez sur l’image pour démarrer le vidéoclip de la berceuse de Disney Baby Mine, coproduite par Fred Mollin, sur YouTube
Comme il aime le dire lui-même, « ma carrière a pris beaucoup de virages à gauche ». L’un de ces détours imprévus survient en 1985 — un tournant à la fois stable et financièrement payant, d’autant plus bienvenu qu’il élève une famille à ce moment-là. L’auteur-compositeur se retrouve à composer des musiques pour la télévision et le cinéma. Ce « virage à gauche » dure 15 ans, jusqu’en 2001, lorsqu’il déménage à Nashville pour renouer avec son véritable amour : la production de disques. Ce travail de composition lui vaudra quatre Prix SOCAN pour la musique de film et de télévision. Parmi ses crédits, on retrouve notamment Beverly Hills 90210, Forever Knight et la franchise télé et les suites de Vendredi 13.
Après son arrivée à Nashville, Mollin reçoit un jour un coup de fil de celui qu’il appelle son « saint patron », Jay Landers, qui est alors A&R pour Walt Disney Records. Landers veut produire un album instrumental de berceuses inspirées des chansons de Disney, avec des arrangements méditatifs pour aider les bébés à s’endormir — et il est convaincu que Mollin est la personne idéale pour le projet. L’auteur-compositeur reste sceptique et lance à Landers en riant : « Tu sais que je suis “le gars des films d’horreur” dans l’industrie, n’est-ce pas?! » Mais son ami ne s’en formalise pas.
Le premier album de berceuses Disney lancé en 1999 est certifié or. « Il s’approche maintenant du statut platine, et les streams de ces sept albums de berceuses sont incroyablement élevés », confie Mollin. « Ces albums ont été une véritable bénédiction pour moi. Mais ils ont aussi fait beaucoup de bien aux autres, puisque des générations d’enfants se sont endormies avec ma musique. »
Working with legends

Jimmy Webb
Jimmy Webb, Kris Kristofferson, Johnny Mathis, Billy Joel, B.B. King, Gloria Estefan, Billy Ray Cyrus… la liste des légendes avec qui Mollin a travaillé est impressionnante. Parmi tous ces artistes, Jimmy Webb – membre du Songwriters Hall of Fame et auteur de Up, Up and Away, By the Time I Get to Phoenix, et Wichita Lineman – demeure l’un de ses préférés. Un autre moment marquant pour lui est sa participation, en tant que producteur, à un album « unplugged » avec Lamont Dozier, du trio Holland-Dozier-Holland, l’équipe d’auteurs-compositeurs derrière un nombre incroyable de grands succès de la première ère Motown.
Comme l’illustrent bien ses mémoires, Mollin ne tient rien pour acquis et déborde de gratitude pour ce long parcours sinueux jalonné de musique et de création qui semble loin d’être terminé.
« Je suis fier de dire que je gagne encore ma vie grâce à la musique – surtout à Nashville –, mais j’irais n’importe où pour faire un album », confie-t-il. « Ma vie dans l’industrie de la musique m’a permis de travailler avec des gens incroyables. J’aime toujours ça, et je suis encore aussi passionné… chaque fois que j’entre dans un studio, c’est un réel bonheur. »