Émile Proulx-Cloutier

Paroles d’acteur : « Moi, je cherche le film dans la chanson », explique Émile Proulx-Cloutier, auteur, compositeur, interprète, cinéaste… arrêtons-nous là, autrement son c.v. occuperait à lui seul toute la page. En ce dimanche matin polaire, nous nous retrouvions au café non pas pour parler de la télé, du documentaire ou du théâtre qui meublent sa vie professionnelle, mais bien pour parler des chansons – et des films qui se cachent dedans -, douze en tout réunies sur son superbe deuxième album Marée Haute paru en novembre 2017.

« Comment on la raconte, cette histoire-là ?, poursuit le créateur. Est-ce que ça prend une armée de cuivres ou juste un petit beat électro ? Des vagues de cordes ou bien des espèces d’instruments qu’on ne reconnaît même pas ? C’est toute la question. Pour moi, la musique doit être au service du récit ».

L’histoire d’abord, la cosmétique sonore ensuite. Chacune des 12 nouvelles compositions est un petit univers en soi, avec son début, son dénouement, son message. La musique qui sous-tend le verbe et le souffle de l’interprète doit être parfaitement calibrée avec le récit. Sur Marée Haute, elle est très variée d’une composition à l’autre, mais le portrait global de l’album est aussi d’une admirable cohérence. Il atteint sur ce disque l’unité de ton, comme on dit au théâtre. C’est Boileau qui résumait ainsi l’idée, dans L’Art poétique : « Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli / tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli. »

Il a 26 ans lorsque le déclic se fait, entre ses études au cinéma, son métier d’acteur et son amour de la chanson. « Tout d’un coup, je réalise : raconter une histoire, jouir des mots, planter mes doigts dans un piano, monter sur scène interpréter des personnages et des situations… Attends ! La chanson est un carrefour. Surtout, c’est une façon pour moi d’exercer un paquet de choses que j’aime. »

Comme écrire. Pour Émile Proulx-Cloutier, une chanson se construit comme un scénario. « Les scénaristes, tu sais ce qu’ils font lorsqu’ils ne savent pas comment boucler une scène ? Ils écrivent les moments sur des post-it, et jouent avec. J’ai fait ça avec Retrouvailles. Cette chanson-là, je l’avais écrite sur des cartons. Trente-six phrases. J’ai trouvé comment raconter l’histoire ».

Chaque chanson est un univers en soi, disions-nous. Les souvenirs d’école secondaire qui remontent à la surface dans Retrouvailles. L’usure du travail sur le corps et l’âme de l’ouvrier dans Mon Dos. La maladie qui pousse papa à son dernier souffle sur Derniers mots. L’adaptation de Mommy, Daddy de Marc Gélinas et Gilles Richer, immortelle du répertoire de Pauline Julien (et de Dominique Michel avant elle), toujours aussi criante d’actualité quand, dans la version de Proux-Cloutier, le personnage demande pourquoi les langues autochtones ne vivent plus dans la bouche des communautés des Premières Nations.

C’était patent sur son premier album, ce l’est toujours sur Marée Haute : Émile Proulx-Cloutier a la chanson utile. Elle est porteuse d’un message. « Mon côté ludique s’exprime spectacle, parce que j’en dis, des niaiseries ! Pas par divertissement, pour faire diversion : ça rend les gens disponibles à recevoir la prochaine révélation tragique de la chanson. Ça permet de faire osciller le pendule. »

Au moment d’écrire, les mots lui viennent généralement en premier. Les idées, pêle-mêle, dit-il en tenant son téléphone intelligent : « Là-dessus, l’application Calepin contient à peu près six cents entrées. Des fois je me réveille dans la nuit et j’écris. N’importe où, j’ouvre une page, j’écris ce qui se passe. Tout le temps, les chansons sont arrachées à la vie », écartelée entre les scènes, les plateaux de tournage et la famille.

Les albums ont besoin d’une date butoir pour éclore ; invité comme porte-parole du festival Regard sur le court métrage au Saguenay en mars 2017, il leur promet un concert unique constitué « de 80% de nouveau matériel. Je leur ai dit : je vais venir casser dix tounes. » Le coup de pied nécessaire pour passer au travers de ces six cents notes enfouies dans le téléphone. « Fallait que je finisse l’album ! »

Quatre ans après avoir confié à Philippe Brault la responsabilité de trouver la meilleure manière de chanter ses films sur son premier album Aimer les monstres, Émile Proulx-Cloutier s’est tourné vers le compositeur, arrangeur, violoniste et réalisateur Guido del Fabbro. « Quand j’ai rencontré Guido, je lui ai d’abord dit : J’ai le goût d’avoir une main sur le volant, mais pas les deux », manière de lui donner toute la liberté qu’il désirait pour habiller ses images et ses mélodies.

« J’étais très interventionniste sur le premier album, tellement à la recherche de la justesse que je n’ai pas su donner les coudées franches à Philippe, raconte-t-il. Cette fois, j’ai tout donné dans la composition, mais le passage à la réalisation, à l’orchestration, je lui ai laissé ça entre les mains. » En comparaison avec le premier album, Proulx-Cloutier estime avoir pris beaucoup de liberté dans les progressions harmoniques des compositions de Marée Haute, « de m’amuser avec la forme et de laisser des moments purement musicaux, instrumentaux. Ça donne de l’espace à l’arrangeur pour qu’il puisse se laisser aller. Je suis constamment dans la recherche du récit et d’image, mais cette fois-ci, je me suis abandonné dans l’idée que la musique pouvait aussi raconter l’histoire. »

« La chanson, abonde l’artiste, c’est l’espace où tout est possible à peu de frais. Pour faire du théâtre, il faut convoquer les gens, ça implique beaucoup de choses. C’est Vigneault qui disait : La chanson, c’est un miroir de poche. Quelque chose que tu traînes avec toi, tu peux te « zieuter » dedans quand bon te semble. Une forme d’art portative. Pas un art mineur – un art de la miniature. Du cinéma miniature. »