Récipiendaire en 2021 au Concours des compositeurs émergents de musique à l’image de la Fondation SOCAN, le compositeur, arrangeur et directeur musical montréalais Medhat Hanbali se décrit comme un féru de cinéma qui fait de la musique. Une manière de souligner que le métier qu’il pratique, celui de compositeur à l’image, implique une intime connaissance du cinéma, « de la même manière qu’il faut bien connaître le jeu vidéo si on compose pour ce médium. Conversation autour du métier et de sa transmission.

Medhat Hanbali, Francois Couture« Je dis toujours que composer de la musique pour le cinéma, c’est comme concevoir un vêtement pour un mannequin, illustre Medhat Hanbali. Il faut prendre les mesures du mannequin pour lui créer un vêtement qui ne lui fera qu’à lui seul », et de la même manière, ajuster « au frame près » la musique pour qu’elle colle à une scène précise, en tenant compte des personnages, des lieux, du plan et du mouvement de la caméra.

De la musique sur mesure, comme on en voit trop peu au Québec, regrette le compositeur qui, après des études en composition jazz et pop, puis en musique numérique à l’Université de Montréal, a décroché un master en composition de musique de film au prestigieux Berklee College of Music.

L’enseignement de la composition de musique à l’image devrait être fait par des praticiens, estime-t-il, et ça se reflète dans les œuvres composées pour le cinéma ou la télévision d’ici. « On n’enseigne pas assez aux compositeurs ce qu’est le cinéma non plus. Comment est-ce possible que quelqu’un sortant de l’université pour se ramasser dans le milieu du cinéma ne sache pas vraiment parler son langage ? Il faut comprendre le médium dans lequel on travaille, même chose pour la télé », milieu qu’il a également fréquenté en composant les musiques de Si on s’aimait encore (TVA) ou encore Mouvement Deluxe (Teletoon).

« La culture de la bande sonore n’est pas tout à fait ancrée chez nous – des spécialistes comme Michel Corriveau, par exemple, il n’y en a pas beaucoup, explique-t-il. Et au Québec, souvent, on prône la culture du vedettariat : on engage des vedettes pour créer la musique d’émissions de télé plutôt que des spécialistes, et ces vedettes, très souvent, sont issus du monde de la chanson. On va leur demander de composer une banque de musique, et la production pigera dedans pour monter ses images. Moi, j’appelle ça faire des vidéoclips. Ce n’est pas de la musique à l’image. »

« On confond souvent la musique imagée et la musique à l’image, poursuit-il. En comparaison, c’est un peu comme confondre le métier de poète et celui de parolier : ce n’est pas parce que t’as des rimes et des figures imagées que ça fait de toi un parolier », le texte devant ici être moulu à la musique. Composer pour le cinéma ou la télé, « c’est imaginer à quel moment la musique doit occuper plus, ou moins, d’espace, comment elle interagit avec l’image, le plan, l’angle de la prise de vue. »

Et, bien sûr, répondre aux désirs des réalisateurs. Ce qui, pour Medhat Hanbali, est un moteur créatif : « Créer des musiques avec une liberté absolue pour moi est un handicap ; je compose mieux avec des contraintes. C’est important pour moi d’avoir un carré de sable dans lequel jouer. Ces contraintes, qu’elles soient de temps, budgétaires, stylistiques, créatives, etc, stimulent mon imagination. C’est ce qui rend aussi ce métier si génial : chaque mandat devient une nouvelle aventure. »

C’est peut-être une simple impression, mais on dirait que les cinéastes d’aujourd’hui recherchent des musiques d’atmosphère davantage que de grands thèmes qui collent à la tête, fait-on remarquer au compositeur. « Le compositeur est toujours capable de composer des thèmes, mais je pense que plusieurs facteurs jouent sur cette question. C’est d’abord dû au temps alloué à la composition, de plus en plus court : souvent, on a de six à huit semaines pour faire un long métrage, donc composer, orchestrer, enregistrer, mixer, etc. Le compositeur travaille avec des délais qui n’ont aucun sens. Il y a ensuite l’usage de ce qu’on appelle les temp tracks – les musiques temporaires », des musiques empruntées ailleurs, plaquées sur les images lors d’un premier montage, qui servent de repère au compositeur. « On se fait demander : fais-moi quelque chose qui ressemble à ça. Sauf que moi, je dois arriver avec quelque chose qui correspond à ces critères, mais sans véritablement connaître les goûts et les besoins du réalisateur. »

« Je me rappelle quand Denis Villeneuve a fait Arrival [2016]. Plusieurs projets qui ont suivi utilisaient la musique d’Arrival comme temp track. Ça me fait toujours sourire de réentendre cette pièce dans des projets ! De la même manière, lorsque Stranger Things est sorti, tout d’un coup, plein de gens voulaient des sonorités des années 1980 ! »

Medhat Hanbali donnera une formation de la Société Professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec (SPACQ) les 2 et 3 mars 2024, intitulée « Démystifier le métier de compositeur à l’image et gagner en vitesse de création ». Pour plus d’informations ou pour inscription, visitez le site web de la SPACQ.