Que feriez-vous si vous aviez une année entière devant vous pour vous consacrer entièrement à la création musicale ? Aucune obligation d’enregistrement ou de spectacle. Vous, votre instrument et votre muse. C’est l’expérience qu’a tentée Chilly Gonzales en 2016, et le résultat est son nouvel album de compositions piano solo intitulé tout simplement Solo Piano III.

« Je ne me suis pas mis devant un auditoire, une caméra ou dans les réseaux sociaux », explique Gonzales. « Je voulais voir ce qui se passerait dans la chimie de mon cerveau lorsque je n’ai aucune obligation de faire ce qui me paraît comme étant une main tendue dans le vide vers quelqu’un d’autre… Qu’arrivera-t-il si je me perds réellement dans la musique ? »

Ce nouveau Solo Piano III propose 15 pièces, chacune dédiée à une personne d’intérêt pour le compositeur ; athlètes, inventeurs, compositeurs classiques, vedettes pop. Il s’agit du troisième volet d’une trilogie entamée avec Solo Piano en 2004 et Solo Piano II en 2012. Tous sont en partie un exercice de transposition des structures pop dans la musique instrumentale abstraite, et tous ont connu un succès populaire. Solo Piano II, notamment, avait été inscrit à la longue liste des finalistes du Prix de musique Polaris.

« À dire vrai, j’avais l’impression que les pièces s’écrivaient toutes seules », dit-il au sujet de son nouvel album. « J’avais le luxe de prendre mon temps et de ne pas prendre de décisions finales avant d’y être fin prêt. Ça fait changement de “Oh ! je dois repartir en tournée alors je dois terminer ces morceaux.” À la fin de cette sabbatique, j’avais 15 à 20 nouvelles idées qui n’allaient pas quitter le piano. »

Nés à Montréal, Jason Beck et son frère Christophe — aujourd’hui compositeur à l’image à Los Angeles — ont appris la musique dès leur plus jeune âge grâce à leur grand-mère maternelle qui, comme le dit Beck lui-même, leur a appris « un lien respectueux avec la musique ». Dans les années 90, il a commencé à jouer de la batterie dans le groupe rock alternatif Son, alors signé chez Warner Music Canada, et qui a connu un succès radiophonique avec sa chanson « Pick Up the Phone ». Il s’est ensuite installé à Berlin et habite toujours en Allemagne. C’est là qu’il a adopté l’alias de Chilly Gonzales et le personnage qu’il joue lorsqu’il utilise cet alias : vêtu d’une robe de chambre en velour, il rappe sur des airs au piano ou aux claviers tout en lançant des plaisanteries. Shut Up and Play the Piano, un documentaire qui paraîtra bientôt, nous présente quelques archives choisies de cette époque qu’il se dit heureux d’avoir été assez courte.

Mais le personnage de Chilly Gonzales demeure toujours aussi ambitieux et extravagant, peu importe le style de musique qu’il joue. « Franz Liszt se disait possédé du diable », explique Gonzales. « Je me dis un génie musical de la même manière à ne pas prendre au pied de la lettre. » L’homme que ses amis nomment « Gonzo » a brisé un record Guiness en 2009, soit celui de la plus longue performance solo piano en jouant durant 27 heures, 3 minutes et 44 secondes. Il a créé une série de vidéos sur YouTube intitulées Pop Music Masterclasses et dans lesquelles il déconstruit les éléments musicaux de succès pop comme « Shake it Off », de Taylor Swift, qui ont été visionnées des millions de fois. Il a écrit des chroniques publiées dans The Guardian où il analysait les corrélations entre le rap et la musique classique, publié un livre de partitions musicales et, plus tôt cette année, a fondé sa propre école de musique.

Baptisé The Gonzervatory (le Gonzervatoire), il sélectionne sept musiciens pour un atelier d’une durée d’une semaine à Paris, toutes dépenses payées, en sa compagnie et celle d’autres enseignants dont Jarvis Cocker, Peaches et Socalled. Ce qui devait d’abord être une classe de maître en interprétation s’est rapidement transformé en classe de maître en composition et écriture.

« Lorsque j’ai commencé à me pencher sur ce que je souhaitais enseigner [aux étudiants] au sujet de l’interprétation, je me suis rendu compte que je devais abord la question de la création musicale », explique-t-il. « C’est qu’il y a des manières de composer en pensant à la prestation scénique dès le départ, ce qui réduit la distance entre une idée abstraite que l’on a seul et sa forme finale. »

À propos de son travail avec Drake
De plus en plus fréquemment, les grands noms de la pop font appel à Gonzales à titre d’expert dans l’art et la science de l’harmonie. C’est ainsi qu’il s’est retrouvé à travailler sur l’album multiplatine de Drake Nothing Was the Same (2013), en plus de contribuer son jeu de piano à la chanson « From Time ». « C’était intéressant de voir Drake travailler », raconte-t-il. « Il pense qu’il vient d’écrire un refrain, puis il écrit quelque chose d’encore plus accrocheur, et ce qu’il croyait être un refrain devient un couplet. Au final, on se retrouve avec des pièces qui donnent l’impression que tous les éléments pourraient être des refrains. C’est un environnement sous haute pression et ce n’est pas mon univers musical habituel, alors c’était d’autant plus intéressant de baigner dedans. J’ai eu un vise temporaire dans le monde de Drake… [mais] je n’étais pas là pour des remue-méninges de haut niveau, comme collaborateur holistique ou conseiller.. J’étais là pour réparer la plomberie musicale. »

« C’est quelque chose que j’ai appris de Jarvis Cocker lorsque nous écrivions Room 29… Il jouait [mes morceaux de piano] tout en cherchant des paroles. C’est comme finir une tournée et se dire “je sais enfin comment bien jouer ces morceaux” alors que vous les avez déjà commis sur disque. »

L’un des devoirs qu’il donne aux étudiants imite une expérience de cocréation qu’il a vécue avec Feist. Ils s’étaient imposé de piger un titre de chanson à l’aveugle dans un chapeau et de l’écrire sur-le-champ. C’est une technique qui a porté ses fruits alors qu’il travaillait avec elle sur son album The Reminder, finaliste aux JUNOs. Leur pièce « Limit to Your Love » — qui fut par la suite un succès pour James Blake en Angleterre — a commencé par un titre et la paire a exécuté la chanson comme si elle avait toujours existé. « Environ 85 % de ce que vous entendez dans la version finale a été improvisé sur-le-champ », se souvient Gonzales. « L’idée est de faire disparaître la frontière entre le compositeur et l’interprète. »

Et la suite des choses ? Une tournée solo piano prendra son envol cet automne et celle-ci est déjà confirmée jusqu’à la fin du printemps 2019. Il souhaite également faire du Gonzervatoire un programme qui roule toute l’année, tant pour les étudiants que pour les enseignants. « Plus je vieillis, plus je pense à ce que je pourrai encore faire à 60 ans et à la relation que je souhaite avoir avec la musique », dit-il. « Et ce que je souhaite, c’est d’être entouré de jeunes musiciens. Je veux me nourrir de leur énergie et leur transmettre la mienne. »



Si le parcours musical de Men I Trust est pavé, c’est que les membres du groupe ont posé chaque pierre. Évoluant dans un milieu où il est possible d’aller chercher le grain de sel de tout le monde, le trio adhère à la philosophie de n’être jamais mieux servi que par soi-même.

Le bassiste Jessy Caron et le multi-instrumentiste Dragos Chiriac, amis de longue date, ont fondé Men I Trust en 2014, avant de révéler toute leur puissance avec la voix et la guitare d’Emmanuelle Proulx en 2015. La force du nombre.

Men I TrustJe discute avec Dragos, à la veille d’un spectacle-clé de la tournée, celui du Festival d’Été de Québec. Bien sûr, le groupe affiche des dates à Copenhague, à Zurich et, ce mois-ci, le trio s’envolait même vers l’Égypte, mais un spectacle à la maison dans une salle immense, ça fait son effet. « C’est à l’Impérial, qu’on joue, dit Dragos. C’est vraiment plus gros que ce qu’on fait comme salle normalement. Et le FEQ a toujours des foules d’envergure. »

« Finally we’re having some good musicians in Egypt », pouvait-on lire sur Facebook il y a une dizaine de jours, alors que Men I Trust atterrissait au pays des pharaons. Mais comment un trio électro de Québec se retrouve sur une affiche de festival égyptien? « Notre following est réparti comme une poudre un peu partout dans le monde, explique Dragos. C’est pas facile pour nous de faire une tournée concentrée dans un même secteur parce que ça reste qu’on n’est pas tant connus. On est un peu connus, mais partout. »

La répartition géographique des adeptes, saupoudrés sur la mappe, n’est que le fruit du hasard selon le cofondateur du groupe. Chose certaine, partout où ils vont, ils remplissent des salles. « Ce sont des petites salles, mais elles sont remplies, assure Dragos. C’est ce qu’on aime faire, des concerts très intimes qui visent un public spécifique. »

Bien que le groupe affiche Montréal comme ville d’origine sur ses réseaux, il porte bel et bien la fierté du « fabriqué à Québec ». « C’est que, même quand on nomme Montréal, à l’étranger, personne ne sait c’est où, donc imagine Québec, se désole le musicien. C’est triste de se rendre compte que, même aux États-Unis, les gens ne sont pas capables de dire à peu près où est Montréal sur une carte. »

L’origine du groupe importe peu, au fond, car la réception est unanime auprès d’une scène musicale précise qui est partante à 100%. « C’est quand même assez surprenant, arriver dans une ville où on n’est jamais allés et que les gens achètent des t-shirts, remarque Dragos. La force de l’internet nous aide beaucoup. On a énormément d’écoutes en ligne. Chaque fois qu’on sort une nouvelle toune, on a des nouveaux followers. Nos réseaux sociaux doublent aux six mois. »

Si les groupes de la relève sont souvent en recherche active d’un label pour leur montrer la route, Men I Trust n’est pas de cette école. « On a eu plusieurs offres et on n’est pas intéressés, lance Dragos. Tous nos trucs se gèrent vraiment bien. Ça représente environ 10-15 emails par jour. »

Le trio préconise le mode DIY en brandissant la cohésion esthétique. « Ça aide vraiment de ne pas avoir à attendre après une équipe. On peut sortir une toune en deux semaines, avec une vidéo qui est en continuité avec notre idée de base. En faisant notre propre vidéo pour accompagner chaque chanson, on solidifie l’univers du groupe », explique-t-il.

C’est le booking qui prend le plus de temps. C’est pourquoi le groupe a délégué cette partie du travail aux États-Unis et en Europe. « Tout ce qui est production, enregistrement, image, photo, on adore faire ça nous-même et on a la compétence pour le faire. Tant que ça marche, on va le faire comme ça », promet Dragos.

La force du groupe s’inscrit dans des mélodies accrocheuses et douces qui parlent, volontairement, à un public niché. « C’est pas un style commercial. On n’a pas d’écoutes radio. On ne se retrouve que dans des playlists et des médias spécialisés », précise le musicien.

Men I Trust souhaite obéir au silence. « On veut une musique espacée, c’est une musique qui prend son temps, même dans les chansons plus rythmées. Même en images, on fait le choix conscient de plans longs, de distance. C’est calculé. »

Deux nouvelles chansons ont été présentées en spectacle récemment, notamment à Québec. Elles se retrouveront sur le prochain album à paraître en février, un enregistrement qui sera plus long et plus étoffé.

Le groupe continue la tournée – qui compte déjà plus de cent spectacles en 2018 – de septembre à début janvier. « Je pense qu’on va écrire l’album en août, on a un p’tit break de deux semaines… », conclut Dragos.



Susie Yankou n’arrivait pas à choisir entre la scénarisation et la musique, alors elle a tout lancé en l’air en se disant qu’elle ferait confiance au destin. Et bien que ce soit le cinéma qui ait poussé la Torontoise à s’installer à Los Angeles, c’est la chanson qui a d’abord pris son envol. Yankou se concentre depuis sur la création musicale sous le nom de scène BARKLEY, mais elle affirme tout de même que « les deux arts feront toujours partie de ma vie ».

Lorsqu’elle écrit des chansons, Yankou raconte ses histoires sous forme de conversations, comme on peut l’entendre sur son plus récent simple, « 3AM », une pièce synth-pop racontant un amour inaccessible. « J’ai toujours vraiment aimé écrire des dialogues », confie-t-elle. Son style honnête et sans fla-fla de narration a porté ses fruits, jusqu’à maintenant, surtout lorsqu’il est combiné à ses compositions accrocheuses et à ses prouesses vocales.

Pendant s’établir à L.A., BARKLEY a eu la chance de peaufiner son art dans le cadre du Kenekt Song Camp de la SOCAN, une expérience, dit-elle, qui a « littéralement changé ma vie ». Elle compare les quelques jours qu’elle y a passés à « écrire des chansons au paradis », et, par-dessus tout, elle y a appris à « se laisser émerveiller par le talent qui m’entoure et à suivre les idées des autres. »

Bien que son propre instinct fasse partie du processus créatif, le temps qu’elle a accordé à la création collaborative a renforcé une leçon apprise lors du camp de création. « Une chanson n’est jamais meilleure que son créateur le plus faible », dit-elle. « J’ai appris à me préparer avec une séance de création, et aussi à ne pas être précieuse au sujet de mes idées. Ma première règle est de laisser la meilleure idée gagner et de mettre de côté mon ego si ce n’est pas mon idée. Si la chanson est géniale, tout le monde gagne. » Aucun doute, BARKLEY est une gagnante.