Ces temps-ci, on a moins de chances de trouver Alice Ping Yee Ho devant un piano de concert que devant une table de travail, penchée sur une recherche ou peaufinant sa dernière œuvre de commande. Au cours des dernières années, cette compositrice a produit une remarquable variété d’œuvres intimes et de grande échelle qui témoignent de son esprit de collaboration, de son ambition artistique et, par-dessus tout, de sa curiosité d’esprit.

Les commandes d’œuvres reçues par la compositrice torontoise ont souvent mené à des collaborations plus poussées. Ocean Child, œuvre pour soprano et orchestre, lui a permis de triompher au concours de composition musicale lancé l’année dernière par le PEI Symphony Orchestra dans le cadre des célébrations du 150e anniversaire de la Conférence de Charlottetown. Le directeur musical de l’orchestre, Mark Shapiro, vient de lui commander une œuvre pour Cantori New York, le célèbre chœur de chambre qu’il dirige depuis 25 ans.

« Je remonte aux sources de ma propre culture. Je découvre de nouveaux sons et de nouvelles façons de communiquer avec le public. »

Les textes originaux d’Ocean Child étaient de l’artiste de théâtre torontoise Marjorie Chan, avec laquelle Alice Ho avait déjà collaboré pour The Lesson of Da Jing, œuvre pour laquelle elle avait gagné le prix Dora Mavor Moore dans la catégorie Nouvel opéra exceptionnel en 2013. Commandé à l’origine par le Toronto Masque Theatre, l’opéra revisite brillamment le conte classique de Da Jing, la première concubine du roi Zhou, et de sa liaison fatale avec un professeur de musique.

« Cet opéra a été un point tournant majeur pour moi parce qu’on y fait un usage intensif d’instruments de musique chinois (pipa, erhu et guzheng) et d’instruments baroques traditionnels, ce qui est un mélange très nouveau à l’opéra », explique la créatrice qui a grandi à Hong-Kong et obtenu un baccalauréat en musique à l’Université de l’Indiana avant de s’établir en permanence dans la Ville-Reine et d’obtenir une maîtrise en composition de l’Université de Toronto.

« Comme jeune compositrice, j’essayais de me démarquer par mon individualisme mais, au cours de mes 10 dernières années de résidence dans une ville aussi multiculturelle que Toronto, j’ai souvent eu l’occasion de faire des recherches dans le domaine de la musique chinoise et de ses instruments », poursuit cette compositrice à laquelle plusieurs ensembles de musique chinoise distingués ont commandé des œuvres au cours des dernières années. « À travers ces œuvres, je remonte aux sources de ma propre culture. Je découvre de nouveaux sons et de nouvelles façons de communiquer avec le public sans que ma musique cesse pour autant de refléter mon style personnel. C’est important pour moi que le public fasse l’expérience de ces nouveaux sons non pas d’une manière superficielle, mais à travers une œuvre qui a une certaine profondeur. »

Pour la composition de Bridge of One Hair (2007), un gigantesque projet collaboratif de performance et d’installation réalisé sur une période de trois ans pour relier diverses communautés urbaines d’Etobicoke, Alice Ho s’est investie dans la musique et les contes populaires somaliens et irlandais. « Ce fut tellement passionnant et stimulant pour moi d’écouter et de travailler avec des gens et des idées débordant le cadre de mon propre univers artistique », explique la compositrice.

Alice Ho, semble-t-il, ne recule pas devant les défis. À la fin de mai 2015, elle dirigeait la session d’enregistrement de trois jours de The Lesson of Da Jing à la Music Gallery de Toronto, qui fut suivie d’un concert. « La réalisation était une nouvelle expérience pour moi, donc quelque chose d’un peu épeurant », sourit-elle. « Mais j’avais besoin d’être en contrôle parce que je savais exactement ce que mes oreilles désiraient entendre. » L’enregistrement sera lancé plus tard cette année sous l’étiquette Centredisques/Naxos, où sortait l’année dernière Glistening Pianos, un album de morceaux pour deux pianos qu’elle a composé et qui a été mis en nomination aux Prix JUNO 2015 dans la catégorie Composition classique de l’année.