Nous poursuivons notre série d’entretiens portant sur ces mariages heureux du mystère de la création que l’on appelle… les duos d’auteurs et compositeurs. Cette semaine, Gabriel Louis Bernard Malenfant et Jacques Alphonse Doucet, mieux connus comme les voix de Radio Radio, nous parlent de l’exil nécessaire à la création de leur rap ricaneur et débonnaire.

Radio RadioOn a beau être un gris mardi après-midi dans ce discret café du Mile-End, nos deux rappeurs acadiens sont néanmoins sapés comme les princes du bon goût que l’on connaît. « Pour Jacques, c’est naturel, il s’habille comme ça tous les jours », me glisse à l’oreille Gabriel en attendant de commander notre café, jetant un regard sur son barbu collègue, droit dans son costume deux-pièces bleu rayé, cravaté, portant une chemise jaune pâle. Pas demandé s’ils s’habillaient aussi chic même ces jours où ils s’isolent tous les deux pour bosser sur un nouveau projet.

Light the Sky est le petit dernier. Le cinquième album de la discographie du duo, mais le premier conçu sans l’aide de leur fidèle DJ et producteur DJ Alexandre, parti faire carrière solo avec sous le nom d’Arthur Comeau, après avoir bidouillé sous différents autres pseudonymes, parmi lesquels Nom de plume.

Mais revenons à notre café et à l’événement qui nous y amène : la sortie de ce nouvel album de chants de fête, un premier écrit tout en anglais. De fait, si on perd de l’acrobatie vocabulaire, de la poutine (râpée) de français, d’anglais et d’expression chiac, qui était la marque du rap de ces Acadiens, on reconnaît instantanément ce qui fait aussi leur charme : cette invitation à faire la fête dans leur jacuzzi électro-pop rempli des productions de Shash’U, J.u.D. et Alex McMahon, ainsi que Champion sur une chanson, Cause I’m a Hoe.

« Comme sur les autres albums, y’a ce premier degré, léger, fun, commente Jacques. Mais y’a aussi des thématiques plus sérieuses. C’est un peu l’idée du titre : Light the Sky, [symbolisant que] la conversation [qu’on veut tenir] peut aller loin. » Suffit effectivement de gratter plus loin dans le texte pour trouver quelques chansons aux thèmes plus importants que le farniente et les planchers de danse. « On veut aussi écrire des chansons qui abordent des thèmes auxquels les gens ne s’attendent pas », résume Gabriel.

« On est tellement fort dans le feel good, dans cette « acadianité » qui nous caractérise, mais il faut plonger derrière les refrains accrocheurs pour y trouver notre profondeur », Gabriel de Radio Radio

Pour des rappeurs, disons qu’ils ont une méthode de travail inattendue. Artisans du verbe, ils ne sont pas du genre à conserver un calepin et un crayon dans la poche intérieure de leurs jolis vestons. Écrire n’est pas un geste spontané ni un besoin quotidien. Tous leurs albums ont été conçus selon le même plan de travail : « on s’extrait de nos amis, de nos familles, de nos vies, et on planche intensément sur la composition et l’enregistrement. »

Certaines idées germent cependant sur la route en tournée : « On jamme des idées, on jamme les hooks, on rit de nos histoires, on s’obstine souvent sur à peu près n’importe quoi, explique Gabriel. On note tout ça dans nos téléphones; c’est une sorte de recherche perpétuelle de concept de chansons. Mais lorsque le projet est sur les rails, ensuite, on se fait une vraie bonne session de travail, idéalement hors de Montréal. »

Le travail sur Light the Sky a commencé il y a presque un an, lors d’une de ces sessions de travail… à Cuba. Rien de trop beau! « On venait de lancer l’album d’avant qu’on était déjà à Cuba pour « refocuser » et penser à l’album suivant, enchaîne Jacques. Un peu de plage, ensuite on écrit dans la chambre pendant une ou deux heures, bricoler des beats sur l’ordinateur. »

L’idée de faire cet album en anglais était déjà dans le collimateur. D’où, cette fois, le choix d’une nouvelle terre d’accueil créative : Brooklyn, en septembre dernier. Gabriel : « On voulait s’immiscer dans la culture locale, dans ce haut-lieu du rap. À la place, on était entouré de Français et de Québécois », rigole-t-il. Les productions des collègues Shash’U, J.u.D. et Alex McMahon étaient déjà avancées; ne restait plus qu’à écrire les textes et enregistrer des maquettes vocales.

Chacun est responsable de ses textes, mais écoute les commentaires de l’autre. « On a nos thématiques, on brainstorm, et en une semaine, on a l’idée générale, la direction de l’album, ajoute Gabriel. » Tout se fait en studio, la composition, l’enregistrement. « On fait ça sur le tas : moi, j’écris pas sans la musique, dit Gabriel. Lorsqu’on a un bon hook, le reste vient tout seul : la thématique, le refrain, les couplets. À Brooklyn, on est parti seulement avec les instrumentaux de Shash’U; le reste a été complété à Montréal. »

Pour Radio Radio, l’album est une création de l’instant, un geste initialement spontané, puis réfléchi, peaufiné, jusqu’au résultat parfait. « Les musiques qui nous inspirent doivent être dynamique, bouncy, joyeuses, dit Gabriel. Après, on décline ».

Ce goût de la fête si caractéristique de leur musique s’explique donc en partie par la méthode de travail, mais n’en résume pas toujours l’esprit, préviennent les rappeurs. Reprenons le sens du titre. Face aux étoiles, on peut adopter deux postures : « Juste regarder le ciel et profiter du moment présent, profiter de ce qu’il nous procure, explique Gabriel. Ou bien, on peut étudier les étoiles, les observer à fond, chercher des réponses », ce que Jacques appelle le « côté astrophysique » des chansons de Radio Radio.

Gabriel conclut : « On est tellement fort dans le « feel good », dans cette « acadianité » qui nous caractérise, mais il faut plonger derrière les refrains accrocheurs pour y trouver notre profondeur. Souvent, nos refrains disent une chose légère, et les couplets partent dans une autre direction. Par exemple, la chanson Cause I’m a Hoe aborde le problème de la prostitution dans notre société. Les gens ne s’attendent pas à ce que l’on parle de ces choses-là. Les party tunes, je veux bien, on aime ça. Mais cherchez un peu et vous trouverez un second degré. »