Vulgaires MachinsOn dit que la colère est mauvaise conseillère. Mais après trente ans passés à rager contre la machine, Les Vulgaires Machins prouvent qu’elle peut être un puissant antidote au cynisme ambiant. Sur Contempler l’abîme, le plus engagé des groupes punks québécois livre une chronique de l’apocalypse tout en espérant l’avènement d’un monde meilleur.

Le nouvel album des Vulgaires Machins commence par la fin. Littéralement.

Dans les premières secondes de Terminé le fun, chanson qui ouvre Contempler l’Abîme, la voix de Guillaume Beauregard semble émaner d’une autre époque. Noyée dans la friture, comme si elle passait au travers d’un micro antique, elle annonce : “Mesdames et messieurs c’est la fin. Il était temps qu’on y arrive”.

Pour un peu, on les croirait résignés. Dans les minutes qui suivent, les membres du groupe dévoilent au contraire qu’ils n’ont jamais été aussi motivés. Cette première chanson donne le ton au reste de l’album ; les moments les plus bruts côtoient des arrangements orchestraux et le thème de la fin (du monde, des idéaux, de l’industrie culturelle, de l’environnement et plus encore) est abordé de front.

« Le fait de nommer tout ça, d’aller à fond dans ces zones d’ombre, prouve au contraire qu’il n’y a pas de résignation », explique Guillaume. « La véritable résignation, ce serait d’arrêter de chanter. Pour moi, lire des bouquins ou écouter des artistes qui vont dans ces zones-là, ça apporte beaucoup de sens dans ma vie. Je me rends compte que je ne suis pas tout seul parce qu’il y a d’autres voix qui expriment les préoccupations qui m’habitent. J’ai envie de travailler dans ce sens-là aussi, de contribuer à la conversation ». Sa compagne Marie-Ève Roy, chanteuse, autrice-compositrice et guitariste, abonde dans le même sens : « On a envie d’être une cellule qui peut se rattacher à d’autres. Créer des liens, donner une voix à ceux qui se questionnent. »

Si, à la lecture des textes, on pourrait les croire pessimistes, les Vulgaires Machins font plutôt preuve de lucidité extrême. Sur Om Mani Padme Hum, Guillaume déballe une litanie de petites et grandes morts. Certaines sont tristes, alors que d’autres sont attendues avec impatience.  Détournant avec une bonne dose d’humour noir le plus célèbre slogan du courant musical auquel on les a toujours associés, Guillaume en vient même à souhaiter “la fin du futur et la fin du punk”.

Vulgaires Machins, Termine Le Fun, video

Cliquez sur l’image pour démarrer la vidéo de Vulgaires Machins pour Terminé le fun / Om Mani Padme Hum

« En fait, ça m’est complètement égal que le punk soit mort ou vivant », réplique le chanteur. « À 47 ans, je ne me demande plus si ce que je fais est punk ou pas. Le débat continue et on se fait encore poser la question : “c’est quoi être punk en 2025 ?” alors que tout ça n’a aucune importance. Peut-être que j’ai écrit ça pour changer de débat et passer à autre chose. »

Passer à autre chose, c’était faire le pari de l’ambition d’un album thématique, lié par des interludes orchestraux qui font que les chansons, qui s’imbriquent les unes dans les autres, semblent dialoguer entre elles. On reconnaît tout de suite le son de la formation, mais il semble animé d’un souffle nouveau.

« Je pense qu’on s’est affranchis. Ça fait 30 ans qu’on fait ça. On a pris une pause de 10 ans, puis on est revenus avec Disruption qui a été super bien reçu. Les fans nous suivent plus que jamais. J’ai eu l’impression, dans le processus d’écriture, qu’il n’y avait aucune limite et ce danger-là est nourrissant. C’est ça qui fait que c’est le fun de faire de la musique. » Marie-Ève confirme : « On a mis énormément d’efforts dans cet album. De se donner d’autres contraintes qui font que tu vas dans un endroit où tu n’aurais jamais été, c’est la chose la plus stimulante au monde. »

Lorsqu’on lui demande de nommer la plus grande audace de ce nouveau projet, Guillaume se tourne vers Marie-Ève avec un regard admiratif.  « C’est toi la plus grande audace du band », lance-t-il. « Sur Disruption, Marie-Ève s’est vraiment émancipée et elle a pris en main beaucoup plus l’écriture. Elle est allée jusqu’au bout de ses idées et j’ose dire que c’est ce qui a sauvé le band. »

« Je pense que le fait d’assumer ma place dans le groupe, ça signifiait me rallier au discours tout en apportant une autre vision et surtout une autre enveloppe musicale, plus pop que ce que peut faire Guillaume. Je suis donc allée au bout de ça et quand j’écrivais j’ai redécouvert la musique d’ABBA. Assumer ce côté pop, c’est ça qui me qui me gardait libre. »

Vulgaires Machins, L'effrondement Qui Vient, video

Cliquez sur l’image pour démarrer la vidéo de Vulgaires Machins pour L’effondrement qui vient (Jenny alias ‘J.KYLL’ Salgado)

Outre celle de Marie-Ève, de plus en plus présente et essentielle, une autre voix féminine apparaît sur Contempler l’Abîme: celle de Jenny Salgado, alias J Kyll, qui vient livrer un couplet mordant sur L’Effondrement qui vient. « On a commencé en même temps que Muzion. C’est un groupe qu’on a côtoyé et avec qui on partageait des valeurs. On les avait même invités à faire notre première partie au Métropolis et j’avais été choqué par la réaction de notre propre public, qui les avait hués. Alors, ramener Jenny, c’est peut-être une manière de laver l’affront de ce show-là. Dans nos échanges, on a très peu parlé de la chanson. On a parlé du métier qu’on fait, de ce qu’on fait comme lecture de la société et Jenny avait envie d’embarquer là-dedans. Elle comprenait où j’étais mentalement par rapport au projet. »

Un projet aussi ambitieux que réussi, dans lequel les Vulgaire Machins transcendent leurs limites, convoquant au passage la pensée d’intellectuels comme Alain Denault et Bernard Stiegler, dont on entend la voix sur Terminé le fun. « Je ne sais pas si on va donner aux gens l’envie de lire Stiegler mais ils devraient ! », explique Guillaume. « On écoute beaucoup les gestionnaires, les administrateurs, les géants de la tech. Je trouve qu’on est tellement en perte de sens qu’il y a quelque chose de salvateur, de porter le regard un peu vers la philo. C’est intéressant que ça pose ces questions-là. C’est pas parce qu’on n’a pas de maîtrise en philo qu’on peut pas réfléchir à ça ensemble, pis se questionner un petit peu plus loin. Je sais que j’ai une approche très sombre dans mon écriture, mais je t’assure qu’il y a toujours une part de lumière. »

En bons apprentis philosophes, Guillaume et Marie-Ève posent des questions sans pour autant offrir des réponses toutes faites. Ils ont passé l’âge de croire que la musique puisse changer le monde. Quoique…

« Ce serait prétentieux de prétendre qu’on peut apporter des solutions avec une chanson de trois minutes », tempère Guillaume. « Je ne pense pas que c’est notre rôle. Mais ultimement, je pense que c’est là où la musique est importante. Pas juste la musique, l’art en général. Surtout dans un contexte où la culture n’a jamais été aussi en danger qu’aujourd’hui. Je pense que ça a une grande valeur de chanter ces mots-là qui vont peut-être résonner dans l’esprit des gens. Ça, ça crée des ancrages et une communauté aussi. On va se rejoindre ensemble dans une salle de spectacle. On est encore là, des humains ensemble, interdépendants les uns des autres. On fait partie de la solution dans ce sens-là.”