Veuillez noter que :
(i) les opinions exprimées sont celles de l’auteur et non de la SOCAN ;
(ii) il ne s’agit pas d’un avis juridique ;
(iii) vous devriez consulter un avocat avant de conclure ce type d’entente.

 

Il y a plusieurs années, une personne chevronnée dans le domaine des affaires m’a dit qu’on bâtit des actifs dans le but de les vendre. Cette conversation n’avait rien à voir avec la musique, mais elle m’est toujours restée en tête.

Nous voici fin 2025, et cette affirmation s’applique désormais autant à l’industrie musicale qu’à l’immobilier ou aux entreprises technologiques en forte croissance. Au cours des dernières années, d’innombrables créateurs et créatrices ont vendu les droits liés à leurs actifs musicaux — parfois pour des montants astronomiques.

Des artistes comme Queen (1,27 milliard $ US), Pink Floyd (400 millions $), Bruce Springsteen (500 millions $), Bob Dylan (500 millions $), les Red Hot Chili Peppers (140 millions $), Justin Bieber (200 millions $) et bien d’autres ont vendu leurs droits musicaux à des acheteurs aux moyens financiers considérables.

Quel est l’intérêt pour les acheteurs? Les raisons sont nombreuses, mais l’un des principaux facteurs est que les droits musicaux liés à des catalogues se sont révélés, au fil des ans, être des actifs générateurs de revenus stables et constants pour les investisseurs. Leur valeur tend à rester insensible aux fluctuations habituelles du marché. Par exemple, pendant la pandémie de COVID-19, les revenus mondiaux tirés de l’écoute en continu ont augmenté d’environ 20 %. Comme l’indique le rapport mondial de l’IFPI sur la musique en 2025, les revenus mondiaux de la musique enregistrée ont connu en 2024 une dixième année consécutive de croissance, en hausse de 4,8 % pour atteindre 29,6 milliards $. La musique conserve donc une valeur remarquable.

Cela dit, toutes les transactions de catalogues ne se chiffrent pas en dizaines de millions. En réalité, il peut être tentant de vendre bien en dessous de la valeur marchande simplement pour obtenir rapidement des liquidités — parfois même sans comprendre pleinement ce qui est acheté ou vendu… jusqu’à ce qu’il soit trop tard.

 

Les notions de base : les chansons et les enregistrements

Alors, qu’est-ce qui est réellement acheté et vendu? Un petit rappel des notions de base s’impose pour bien comprendre.

Si je tiens dans mes mains une copie vinyle de Songs in the Key of Life de Stevie Wonder, je tiens un objet qui mobilise deux droits d’auteur distincts : les droits d’auteur sur l’œuvre musicale – paroles, mélodies, instrumentation, etc. – que nous appellerons « chansons » pour le reste de ce texte, et les droits d’auteur sur l’enregistrement sonore, c’est-à-dire les bandes maîtresses sur lesquelles les chansons sont fixées, que nous appellerons « enregistrements ».

Bien que ces deux droits d’auteur soient étroitement liés, ils constituent des actifs commerciaux distincts qui génèrent des flux de revenus différents.

Lorsqu’une œuvre musicale est utilisée ou consommée, cette utilisation génère des revenus. Par exemple, les chansons génèrent des revenus lorsqu’elles sont :

(i) exécutées en public, ce qui inclut :

  • lorsque la chanson est jouée en spectacle ;
  • lorsqu’elle est jouée dans un événement ou un commerce ;
  • lorsqu’elle est jouée à la radio terrestre ou satellite ; et
  • lorsqu’elle est jouée sur les services de musique en ligne comme les services de diffusion en continu sur demande comme Spotify ou Apple Music, etc.

Les redevances issues de ces diverses exécutions sont généralement perçues par des sociétés de gestion collective comme la SOCAN au Canada ou ASCAP et BMI aux États-Unis ;

(ii) jumelée à des images (comme dans une émission de télévision, une publicité ou un film, ce qui nécessite une licence de synchronisation ou « synchro ») ; et

(iii) reproduite par le biais de services d’écoute sur demande, de ventes physiques, etc. (c’est-à-dire des redevances mécaniques).

De façon similaire, les enregistrements génèrent des revenus lorsqu’ils sont exploités, notamment dans les cas suivants :

(i) reproduction de l’enregistrement dans une émission télé, une publicité ou un film (ce qui nécessite une licence d’utilisation de l’enregistrement maître) ;
(ii) reproduction de l’enregistrement par l’entremise de services de musique en ligne, de ventes physiques ou de téléchargements numériques ;
(iii) exécution de l’enregistrement à la radio terrestre ou satellite, ou dans des commerces (c’est-à-dire des redevances de « droits voisins »).

L’essentiel à retenir : selon la façon dont la musique est utilisée et consommée, un flux de revenus correspondant sera généré.

Lorsqu’on parle de transactions de catalogues, on fait généralement référence à une entente par laquelle une partie vend tout ou une partie de ses droits d’auteur et des flux de revenus associés à des chansons et/ou des enregistrements.

Même si les médias parlent souvent des transactions de catalogues à plus de 100 millions de dollars impliquant des artistes de renommée mondiale, de nombreuses ententes de moindre envergure ont également lieu. Les producteurs, créateurs et créatrices et interprètes de tous les horizons cherchent à monétiser leurs droits, pour le meilleur ou pour le pire. Peu importe votre profil, il est essentiel de réfléchir aux points suivants avec votre équipe avant d’aller de l’avant avec une transaction :

 

Confirmer ce qui est acheté ou vendu

Certaines transactions portent uniquement sur les droits liés aux chansons, d’autres uniquement sur les droits liés aux enregistrements, et d’autres encore incluent les droits sur les deux. Selon l’entente, ces « droits » peuvent comprendre à la fois les flux de revenus et le contrôle administratif ou juridique (droits d’auteur), ou seulement les flux de revenus. De plus, la vente concerne-t-elle l’ensemble de votre catalogue jusqu’à la date de clôture de la transaction (et parfois même les droits futurs), ou certains morceaux sont-ils exclus de l’entente? J’ai travaillé sur des transactions portant sur tous les droits liés à un catalogue complet, et sur d’autres qui concernaient une seule chanson ou un seul enregistrement.

Un autre élément à considérer est la possibilité d’exclure certains flux de revenus de la transaction, indépendamment des chansons ou des enregistrements eux-mêmes. Par exemple, lorsqu’on vend des droits liés à des chansons et/ou à des enregistrements, est-ce que le vendeur cède à la fois la « part auteur » des droits d’exécution publique et la « part éditeur », ou uniquement la « part éditeur »? De la même façon, vous pourriez choisir de vendre les flux de redevances liés à vos enregistrements tout en conservant vos droits voisins.

Il convient également de noter que les droits transférés à un acheteur seront souvent cessibles à des tiers. Autrement dit, si vous cédez vos droits musicaux à un acheteur donné, celui-ci aura généralement le droit de les transférer par la suite à une autre partie de son choix.

 

Le prix de l’achat

Cet article n’abordera pas les aspects techniques de l’évaluation des droits musicaux, mais quiconque songe à les vendre doit peser le pour et le contre d’une vente contre un montant forfaitaire, comparativement au choix de conserver ses divers flux de revenus musicaux à long terme. En règle générale, les acheteurs sérieux exigent les relevés de redevances ou de comptabilité des trois dernières années, afin d’évaluer la solidité et la constance des revenus. L’offre repose souvent sur une moyenne annualisée, à laquelle on applique un multiplicateur, bien que l’analyse soit en réalité beaucoup plus complexe.

L’avantage pour le créateur ou la créatrice est de recevoir un montant forfaitaire important. L’inconvénient, c’est que selon les modalités de l’entente, il ou elle pourrait ne jamais revoir un sou de sa musique après la transaction. Oui, vous avez bien lu. Pour les personnes qui ont signé de mauvaises ententes, c’est une réalité difficile à avaler. Pour d’autres, qui gèrent bien leur argent et réussissent à négocier un prix de vente avantageux, cela peut représenter un excellent résultat. Lorsqu’ils envisagent une vente, les créateurs et créatrices doivent faire leurs calculs et déterminer ce qui leur restera en poche une fois la transaction conclue — en tenant compte de tout solde non recouvré, des impôts, des frais juridiques, de la commission de gestion, des éventuelles commissions de courtiers tiers, etc. L’entente peut aussi inclure une clause de « retenue », permettant à l’acheteur de conserver une portion du prix d’achat jusqu’à ce que certaines conditions soient remplies.

 

Confirmer l’impact des ententes antérieures

Avant de se réjouir trop vite à l’idée d’une vente, les créateurs et créatrices doivent examiner attentivement toute entente existante qui pourrait avoir une incidence sur la transaction ou son déroulement. Par exemple, une entente d’édition antérieure pourrait comporter un droit de première négociation et/ou un droit de préemption, obligeant l’artiste à discuter d’abord d’une vente potentielle avec son éditeur précédent. Ce dernier pourrait également avoir le droit d’« égaler » toute offre reçue. De plus, si l’ensemble du catalogue est assujetti à un droit de rétention dans le cadre d’un contrat antérieur, la vente pourrait se limiter à un simple flux de revenus passifs, sans transfert du contrôle administratif — ce qui aura bien entendu une incidence sur la valeur de l’entente.

 

Droits liés au nom, à l’image et à la ressemblance

Même si vous vendez l’ensemble de vos droits musicaux à un acheteur, il est essentiel d’examiner de près comment cet acheteur (ou un tiers) pourra utiliser votre nom, votre image, votre ressemblance, vos informations biographiques, etc. Ces droits sont-ils accordés uniquement dans le cadre de l’exploitation de votre musique, ou la transaction donne-t-elle à l’acheteur des droits plus étendus? Les ententes récentes dans ce domaine peuvent également accorder à l’acheteur le droit d’utiliser la musique et la ressemblance de l’artiste dans un contexte lié à l’intelligence artificielle, ce qui mérite une attention toute particulière.

 

De nombreux autres éléments doivent être pris en compte lorsqu’on envisage une transaction de vente, c’est pourquoi les créateurs et créatrices devraient toujours consulter des avocats et des conseillers financiers ayant de l’expérience dans ce domaine.

La question ultime, si vous êtes un créateur détenant des actifs de valeur, est la suivante : devriez-vous vendre? C’est une décision qui mérite une réflexion approfondie, et il est essentiel d’obtenir des conseils stratégiques de la part de professionnels chevronnés du milieu musical — y compris en matière fiscale.

Voici quelques avantages possibles à vendre tout ou une partie de vos droits :
(i) un paiement forfaitaire pouvant être investi, utilisé pour rembourser des dettes, etc. ; (ii) une planification successorale simplifiée, en évitant à vos héritier·ères d’avoir à gérer des droits d’auteur et des redevances (avec, selon la juridiction, d’éventuels avantages fiscaux comparativement à l’imposition de revenus récurrents) ; (iii) une réduction potentielle du risque, en profitant de l’intérêt actuel du marché pour les acquisitions de catalogues. Évidemment, cette valeur pourrait aussi continuer à augmenter!

Tout avantage éventuel doit être évalué par rapport au fait que vous pourriez ne plus percevoir de revenus tirés de votre catalogue existant et ça, c’est une décision à ne pas prendre à la légère.