L’une des chansons les plus aimées de Terre-Neuve-et-Labrador, Let Me Fish Off Cape St. Mary’s, écrite en 1947 par Otto Kelland, un fils du pays, sera intronisée au Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens (PACC) lors du gala des East Coast Music Awards (ECMAs), au Mary Brown’s Centre de St. John’s, le jeudi 8 mai 2025. La célèbre formation folklorique terre-neuvienne The Irish Descendants, récipiendaire de nombreux prix, interprétera la ballade sur scène. Le groupe célèbre ses 35 ans cette année.
« Let Me Fish Off Cape St. Mary’s est la chanson folklorique par excellence de Terre-Neuve-et-Labrador! Elle incarne tous les éléments de cette région que nous chérissons profondément, » affirme Con O’Brien, chanteur principal du groupe. « Terre-Neuve est rude et souvent impitoyable, mais cette chanson nous rappelle — et montre au monde — pourquoi nous tenons autant à notre terre et à notre mer. De toutes les chansons que nous avons interprétées, aucune n’est plus puissante que celle que nous appelons affectueusement The Cape. »
« Véritable chef-d’oeuvre de la chanson canadienne, Let Me Fish Off Cape St. Mary’s capture avec une force saisissante l’identité, la fierté et la résilience des communautés côtières de Terre-Neuve-et-Labrador, » souligne Nick Fedor, directeur exécutif du PACC. « Les paroles profondément poétiques d’Otto Kelland et sa mélodie envoûtante font désormais partie intégrante de notre patrimoine musical national. Transmise de génération en génération, cette ballade intemporelle résonne bien au-delà des côtes de l’Atlantique. C’est un honneur de souligner l’héritage de Kelland à St. John’s, là où tout a commencé. »
Otto Kelland était membre de l’Ordre de Terre-Neuve et de l’Ordre du Canada. Policier de métier, il est ensuite devenu superviseur d’un pénitencier. Il est décédé en 2004. « C’est touchant de voir que cette chanson et ses oeuvres résonnent encore aujourd’hui, » partage sa fille Jocelyn Kelland, qui assistera à la cérémonie d’intronisation.
Kelland a été inspiré après avoir rencontré un très jeune pêcheur sur le quai. Nostalgique, ce dernier lui expliqua qu’il travaillait au large de Boston, mais qu’il préférerait pêcher dans son doris près de St. Mary’s et manger un seul repas par jour, plutôt que d’en avoir trois en ville. Kelland a donc écrit cette ballade lente et mélancolique du point de vue d’un pêcheur côtier — un mode de vie qu’il connaissait bien. Les paroles émouvantes évoquent les conditions de travail en mer, où le danger est omniprésent, et peignent un tableau de Cape St. Mary’s tel que perçu depuis un doris : brouillard, oiseaux marins et falaises abruptes de la péninsule d’Avalon.
Les termes utilisés dans la chanson sont bien connus des Terre-Neuviens : « Western boat » (goélette de pêche), « combers » (vagues longues), « caplin » (capelan), « dory » (petit bateau), « Cape Ann » (chapeau imperméable de pêcheur), et « hag-downs » (oiseau marin).
Le talent de Kelland se manifeste aussi dans le choix d’une gamme hexatonique majeure, qui donne à la chanson une touche celtique distinctive. La structure est également soignée : six couplets de six lignes, sans refrain, avec des répétitions savamment placées. La dernière phrase, aux notes répétées, sonne lentement et tristement comme un glas.
Pas étonnant que cette composition ait été adoptée à travers le pays. Aujourd’hui reconnue à l’échelle nationale, Let Me Fish Off Cape St. Mary’s a d’abord circulé de bouche à oreille, bien avant d’être enregistrée. Dans les années 1940, l’électricité, la radio et les disques étaient rares dans les villages et les ports. L’arrivée de la radio CBC a permis de faire connaître la chanson.
Le renouveau folklorique de cette époque a attiré l’attention des chercheurs sur les chansons des provinces de l’Atlantique. En 1951, Kenneth Peacock a recueilli Let Me Fish Off Cape St. Mary’s auprès de chanteurs locaux. Elle a ensuite été publiée dans le populaire recueil de Gerald Doyle Old-Time Songs and Poetry of Newfoundland (1955).
Deux autres recueils l’ont ensuite fait connaître hors de Terre-Neuve : Favourite Songs of Newfoundland (1958) d’Alan Mills, et The Folksinger’s Passport to Canada (1964). Mais ce n’est qu’en 1962 qu’on retrouve le tout premier enregistrement connu, sur l’album Songs of the Anchor Watch, une collection de chansons de Kelland interprétées par Leonard Meehan.
Mais ce n’est qu’en 1962 qu’on retrouve le tout premier enregistrement connu, sur l’album Songs of the Anchor Watch, une collection de chansons de Kelland interprétées par Leonard Meehan.
Depuis, de nombreux artistes ont enregistré leur version : Dick Nolan (1963), le club CJON de St. John’s, l’acteur Gordon Pinsent (1968), Harry Hibbs (1971), Kim Stockwood, Heather Bambrick, Rum Ragged, entre autres.
Parmi les artistes de l’extérieur, notons Omar Blondahl (1971), la fanfare de la GRC, Ryan’s Fancy (qui l’a chantée pour la reine Élisabeth II), Denis Ryan, Stan Rogers (1983) et la violoncelliste Ofra Harnoy, qui en a enregistré une version instrumentale. Fait intéressant : Let Me Fish Off Cape St. Mary’s est aussi devenue une chanson de protestation lors du moratoire sur la pêche à la morue de 1992.