Le déconfinement à distance donne lieu à des initiatives hors de l’ordinaire. Le quatuor montréalais TOPS fut récemment invité à enregistrer une performance pour le compte de la CBC – performance « zoomée », en différé et à distance. Les trois quarts du groupe enregistraient depuis Montréal, alors que le batteur Riley Fleck, le seul Américain du groupe, s’exécutait à trois heures d’écart, lui qui avait trouvé refuge en Californie pendant la crise sanitaire. « Chacun enregistrait sa piste séparément, tout était ensuite assemblé », précise Jane Penny, principale auteure-compositrice-interprète de l’orchestre dream pop qui a lancé en avril dernier I Feel Alive, son quatrième album.

TOPS, Penny Jane, Shelby Fenlon Le déconfinement à distance sans possibilité d’aller à la rencontre de son public donne aussi des fourmis dans les jambes des musiciens. I Feel Alive a beau être encore tout chaud, TOPS vient quand même d’emboîter le pas avec un nouveau single inédit, Anything sur la face A, la belle et langoureuse Hollow Sounds Of The Morning Chimes en face B, deux titres qui donnent l’impression d’avoir été inspirées par la première canicule de la saison subie le mois dernier au Québec. « Dans les circonstances, continuer à faire de la musique, c’est pour nous un refuge », illustre la musicienne.

L’apparent laisser-aller de ces nouvelles chansons contraste avec l’esthétisme soigné de I Feel Alive, un disque imaginé jusque dans le menu détail, du mot qui tombe pile au timbre de synthé longuement réfléchi. I Feel Alive, un disque vibrant, vivant, sur lequel le quatuor poursuit sa réinvention des codes de la pop grand public d’il y a trente-cinq ans.

« Lorsqu’on est arrivé au début des années 2010, beaucoup de gens de ta génération étaient sceptiques à propos de notre son », observe Jane Penny. C’est le propre des « come-backs », ceux qui les ont vécus – et qui en gardent un souvenir repoussant, ce qu’est celui du soft rock insipide des années ‘80 – s’en méfient, mais pour l’autre génération, il s’agit d’un territoire musical à explorer.

« J’estime qu’on a fait partie de cette première vague de musiciens qui récupéraient des styles musicaux qui avaient été « commercialisés », ces styles faisaient maugréer les gens à une certaine époque, rigole Jane. Selon moi, ce « mouvement » est né grâce à l’internet, qui nous permettait d’avoir accès à toutes ces musiques sans qu’elles soient reliées à leur contexte. La temporalité d’un son, d’un style musical, n’a tout d’un coup plus d’importance. C’est la rencontre du top des palmarès des années ‘80 et de la marge de la pop d’aujourd’hui. Je trouve ça intéressant de récupérer l’esthétique de ces musiques [d’une autre époque] pour les appliquer à la création contemporaine ».

Ce qui rend I Feel Alive – et le reste de l’œuvre, intelligemment racoleuse, de TOPS – si captivant, c’est qu’il n’y a aucune ironie, aucun second degré, dans ses intentions. Que de sincères chansons aux refrains pétillants, baignant dans une certaine mélancolie et ces orchestrations de guitares et de claviers surannés : « Je trouve que la mélancolie est une émotion plus constructive que la simple tristesse, puisqu’elle suggère une réflexion sur soi-même. »

Si Jane Penny est considérée comme la flamme créative derrière les chansons de TOPS, elle préfère parler de son collègue David Carrière, multi-instrumentiste, et elle comme d’un « duo d’auteurs-compositeurs ». « David écrira parfois les textes, mais généralement, il accouche d’une accroche [hook] ou une idée pour un enchaînement d’accords, et nous composons à partir de ça. J’ai du mal à définir vraiment quels sont nos rôles, et les limites de ceux-ci, dans le travail de composition qu’on fait. »

« Prends par exemple la chanson Take Down », une ballade sur laquelle le timbre doux de la voix de Jane balance entre deux jeux de textures, donnant l’impression d’entretenir une conversation avec elle-même. « Pour celle-là, tous ensemble, nous avions échafaudé ce groove qui m’inspirait des mélodies que je chantonnais. Je suis parti de ça pour écrire la chanson telle quelle, le texte et la mélodie, que j’ai enregistrés. Parce qu’on forme un groupe, il arrive que l’idée de base, le groove, une ambiance, soit un travail collectif, et que cette ambiance m’aiguille vers une chanson. D’autre fois, c’est David qui arrive avec une chanson qu’il a écrite lui-même et qu’on peaufine tous ensemble, parfois on la compose à quatre mains. Il n’y a pas de règle qui tienne : y’a des chansons sur lesquelles on peut travailler pendant un an, d’autres qui surviennent en une demi-heure. »

Pas de règle qui tienne, sauf une exception : une fois la chanson terminée, elle est analysée sous toutes ses coutures. « L’objectif est de s’assurer à chaque fois qu’on ne tombe pas dans le piège de la complaisance, de la page de journal intime qui finit par devenir une chanson, insiste Jane. On cherche à écrire des chansons qui ont plusieurs niveaux, des chansons que tu peux réécouter en lui découvrant un nouveau sens. Je crois que ce sont les chansons qui traversent mieux l’épreuve du temps. »