Les LouangesUne bande d’ados roule en Tercel vert forêt 1996. Tourne en rond. Fume des bats. Spleen de banlieue.

De l’autre côté de la rive, les lumières des vieux bâtiments de Québec illuminent la nuit. Depuis Lévis, la vue est splendide pour un jeune engourdi qui se donne la peine de regarder vers l’avant.

Assis siège passager, Vincent Roberge a 18 ans. Il peine à terminer son CÉGEP en guitare jazz à Sainte-Foy. Ses amis écoutent Queens of The Stone Age. « C’est rock Lévis, précise-t-il. On écoutait aussi La Caverne de Malajube. »

Or, pour Roberge, la musique est un buffet qui ne se limite pas à la distorsion. Le rap avant-gardiste d’Odd Futur et les rythmes inventifs de Knxwledge lui ont déjà séduit les tympans. Ses profs lui ont fait connaître le groove de Curtis Mayfield ou de Sly and the Family Stone. Les disques de Moby tournaient dans la voiture des parents.

« Demon Days de Gorillaz est le premier disque que je me suis acheté avec mon argent. Je devais avoir 10 ou 11 ans. J’avais entendu parlé de l’album à Musique Plus. J’aimais les personnages dessinés sur la pochette. »

Maintenant jeune adulte installé à Montréal, Vincent Roberge ne pouvait se douter à l’époque que ce même disque de Damon Albarn l’accompagnerait douze ans plus tard, alors qu’il finalisait la production de son premier album: La Nuit est une panthère.

Lancé sous le nom de Les Louanges, « parce que c’est plus mystérieux que Vincent Roberge », son album détonne dans le paysage musical francophone québécois. Au croisement du jazz, du r&b et des courants urbains modernes, les 14 chansons rappellent l’agilité sensuelle d’un Frank Ocean, l’audace surprenante d’un Kamasi Washington (saxophone inclus) et la nonchalance attachante d’un Thundercat.

« C’est pour ça que j’ai accroché sur la musique de Damon Albarn. Comme moi, c’est un blanc-bec qui navigue dans les références musicales afro-américaines. Débarquer de la banlieue blanche de Québec et s’attaquer à ce genre de références m’a demandé du courage, ou à tout le moins de m’assumer. Même chose pour le fait d’écrire des textes en français. On est niaiseux avec ça au Québec. On parle français, on nous apprend à maîtriser la langue pendant des années, mais on a le réflexe d’écrire en anglais quand vient le temps de faire de la musique…»

La confiance d’écrire en français, Les Louanges l’a gagnée lors de son passage à l’École de la chanson de Granby en 2015, une formation qui l’a mené jusqu’aux Rencontres de la chanson d’Astaffort fondées par Francis Cabrel. Sans rien enlever à celui qui a pris sa place dans le trafic, on comprend mal comment une formation en chanson à Astaffort a pu nourrir Les Louanges tant son album s’éloigne du folk d’auteur-compositeur-interprète. « Le réseau très chanson qui encadre la relève musicale d’ici est important et nécessaire, mais je me suis battu toute ma vie pour ne pas entrer dans le moule folk souvent mou et édulcoré. Pour moi, le plus grand apport de ces ateliers est de m’avoir appris à écrire en français. Je me souviens d’avoir décortiqué plusieurs textes de Richard Desjardins pour comprendre ce qui faisait leur magie », confie celui qui reprend parfois la pièce Señorita de l’Abitibien.

S’ils abordent autant la vie d’un ado de Lévis que celle d’un jeune montréalais fauché, les textes de La Nuit est une panthère passent d’ambiances imagées à plus réalistes avec panache. Décalées, les mélodies semblent danser sur les compositions imprévisibles. « C’est pour ça que je voulais intituler l’album La Nuit est une panthère. Je trouve que ça décrit bien le réalisme, mais aussi le côté plus wild et surréaliste du disque. Et puis j’ai trouvé une statue de panthère noire sur Kijiji pour huit dollars à Saint-Hyacinthe. Je me suis dit que c’était un signe, que la statue devait se retrouver sur la pochette du disque. Elle est cool la panthère, hein? »

Oui, mais jamais autant que l’excellent disque qu’elle habille.

Les Louanges
La Nuit est une panthère
(Bonsound)
Disponible le 21 septembre