À l’heure des bilans de fin d’année, Lionel Kizaba s’accordera une pause du temps des Fêtes avec le sentiment du devoir bien fait. « Cette année fut vraiment la meilleure de ma vie! », s’exclame-t-il, soulignant la trentaine de concerts qu’il a donnés, ici et ailleurs dans le monde, ces douze derniers mois, ainsi que la parution le 18 novembre dernier de Kizavibe, son nouvel album d’afropop électronique coécrit et coréalisé avec le complice Gone Deville. 

Kizaba, Soso

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Pour l’auteur, compositeur, batteur et interprète originaire de la République démocratique du Congo (RDC), 2022 s’est terminée comme elle s’était (à peu près) commencée, soit par une invitation au festival Mundial Montréal/M pour Montréal. La ligne de départ de ce cycle créatif, explique-t-il : « Le concert à Mundial en 2021 dressait la table pour l’année à suivre, que j’ai terminée par un grand concert à la Société des arts technologiques [SAT] pour le lancement de l’album », en guise d’after-party de M pour Montréal. 

« Son directeur Sébastien Nasra avait vu mon concert à Mundial ; après, il m’avait dit : Mais je croyais que tu faisais de la musique africaine, alors que c’est de la pop ! », d’où l’invitation l’année suivante à l’affiche de M pour Montréal. L’observation du directeur illustre bien le chemin parcouru par les musiques pop du continent africain ces dernières années, plusieurs d’entre elles s’étant débarrassées de la clivante (et désormais désuète) étiquette de « musique du monde » pour enfin être reconnue pour ce qu’elle est : de la sacrée bonne pop, dansante et moderne, qui mérite de fouler le pied des plus grandes scènes du monde, comme l’a fait le Nigérian Burna Boy l’été dernier à Osheaga, ou comme le fera son confrère Wizkid le 18 mars 2023 au Centre Bell. 

Car c’est aussi le terrain de jeu musical de Kizaba, qui fusionne la pop, le rap et les musiques électroniques dansantes aux rythmes de son Congo natal, soukous et rumba en tête. « J’ai mis beaucoup d’efforts sur cet aspect, abonde Kizaba. Je voulais amener ailleurs le son congolais en faisant des mélanges avec d’autres styles musicaux. Je voulais arriver avec des influences musicales diversifiées, car je ne veux pas qu’il n’y ait que des Congolais d’origine à mes spectacles, je veux que tout le monde y assiste, tout le Québec, toute la planète. C’est l’univers entier que je propose. » 

Kizaba, Ingratitude

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Un univers qui débute à Montréal – littéralement, puisque c’est le titre de la douce chanson qui ouvre l’album Kizavibe, une lettre d’amour à sa ville, « à la vibe d’ici, aux artistes que j’ai rencontrés ici, comme frère Pierre Kwenders », Congolais de cœur lui aussi qu’on entend en duo sur la chanson Bella, ponctuée par une rythmique dancehall. « De toutes les villes que j’ai visitées, j’affirme que Montréal est la meilleure – la meilleure vibe, la musique qu’on y découvre, le vivre-ensemble, j’avais besoin de rendre hommage à tout ça ». 

Lionel Kizaba avait tout fait seul sur son premier album paru en 2017. « Pour ce nouveau, j’avais envie de pouvoir compter sur une autre paire d’oreilles ». Un ami l’a mis en contact avec le compositeur et DJ Gone Deville (Pierre Belliveau), qui cherchait un percussionniste pour l’accompagner lors d’un événement qu’il organisait. Ça a cliqué tout de suite : « Pierre m’a dit : Lionel, je ne te laisse plus, je te suis ! Il m’a fait entendre des beats sur lesquels il travaillait, je suis passé au travers de sa banque pour en choisir quelques-uns, ce fut la base de l’album », enregistré à Montréal et en partie en RDC. 

 Gone Deville tient aussi le rôle de directeur technique des concerts de Kizaba, qui a passé 2022 à jouer dans des fuseaux horaires différents : « Après mon concert à Mundial Montréal, j’ai été invité à jouer dans plein de gros concerts – aux États-Unis en première partie de Lionel Richie, en tournée en Louisiane, en Grande-Bretagne, en Italie, en Colombie-Britannique… » L’année qui se pointe le nez sera aussi riche en engagements, la tournée reprenant le 12 janvier 2023, avec notamment une présence au prestigieux festival WOMAD, qui se tient cette année en avril au Chili. 

 



« La vie arrive à toute vitesse » est un dicton qui a pris tout son sens pour l’auteur-compositeur-interprète torontois Dylan Sinclair. En six ans, il est passé de slammeur au secondaire à une des vedettes R&B les plus en vue au Canada, cumulant des millions de « streams », des critiques dithyrambiques et une nomination aux JUNOs pour son Proverb paru en 2020. Toute cette attention était la bienvenue, mais elle a également placé la barre très haut alors que l’artiste s’apprêtait à travailler sur son prochain projet.

Dylan Sinclair, Open

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« Je ressentais une certaine pression », avoue Sinclair à propos de son succès fulgurant. « Je pense que les gens succombent à la pression quand ils lui accordent trop d’attention. Je me suis concentré sur ma croissance personnelle et artistique et j’ai essayé d’être aussi constant que possible sans pour autant me tuer à l’ouvrage. Je ne vais pas me noyer dans la pression. »

Cette attitude déterminée a alimenté l’approche de Sinclair dans l’écriture de No Longer in the Suburbs, un projet empreint d’amour et de réflexion qui voit le jeune homme de 21 ans composer avec sa nouvelle célébrité alors qu’il devient un adulte et vit des relations amoureuses compliquées. Comparé à ses pairs, le son de Sinclair sur Suburbs est clairement nostalgique et n’est pas sans rappeler des vétérans comme Jon B et Musiq Soulchild. Sinclair attribue cette ressemblance à la musique qu’il écoutait pendant le processus d’écriture.

« J’écoutais plein de R&B par les dieux du genre comme Usher et Chris Brown », explique le crooner aux origines philippines et guyanaises. « J’écoutais des albums comme Confessions et des groupes féminins comme 702 et SWV. Que de la musique romantique noire. » Ces influences sont évidentes, en particulier sur des morceaux tels que « Open » ou « Suppress » sur lesquels Sinclair réfléchit lucidement à sa relation amoureuse avec toute l’introspection d’un jeune Donell Jones.

Mais au-delà du fil conducteur old-school très évident de Suburbs, d’autres éléments distinguent Sinclair de ses pairs, notamment une tendresse sincère et omniprésente qu’il attribue à ses débuts à l’église. Quel que soit le sujet de ses textes, il y a quelque chose d’unique et de doux dans l’approche de Sinclair qui remonte aux séances de louange et d’adoration de son enfance dont il se souvient affectueusement.

« Je veux bâtir un monde qui apporte la paix aux gens – l’idée c’est de créer de la belle musique. »

« Je veux bâtir un monde qui apporte la paix aux gens. L’idée, c’est de créer de la belle musique et l’église est pleine de belle musique et de chant », dit Sinclair. « Je n’ai jamais vraiment été attiré par la musique [plus agressive] parce que je viens d’un milieu où il y avait du chant, des harmonies et de vrais instruments. L’influence gospel finit toujours par imprégner ma musique, mais c’est totalement inconscient. Je fais ce que j’aime de manière purement instinctive. Je fais mes harmonies à trois voix sans même y penser parce que c’est ce qu’on faisait pendant nos séances d’adoration à la maison. Les mélodies que je choisis sont toujours en fonction de chanter en chœur. C’est tellement plus joli comme ça. »

Une équipe solide de collaborateurs était une autre exigence pour le processus de Sinclair sur Suburbs, et ses coéquipiers sont plus que de simples collègues de l’industrie – ce sont ses véritables amis. « Jordon Manswell, c’est mon bras droit », dit Sinclair, faisant référence au producteur nommé aux Grammy Awards et qui a produit Proverb, Daniel Caesar et Mariah Carey, entre autres. Le musicien et producteur Alex Ernewein (Caesar, Charlotte Day Wilson) est également mis à l’honneur, tout comme Zachary Simmonds, un producteur et ami proche qui est le frère cadet de Caesar.

L’amitié – et le partenariat musical – entre Sinclair et Simmonds remonte à avant la naissance de l’un ou l’autre – à quatre jours d’intervalle, qui plus est. Leurs pères, Kevin Sinclair et Norwill Simmonds, ont lancé un album gospel au début des années 2000, et les deux familles ont continué à tisser des liens au cours des décennies qui ont suivi. Et maintenant, leur progéniture reprend la balle au bond.

Dylan Sinclair, Never, Joyce Wrice

Cliquez sur l’image pour faire jouer la vidéo « Never » de Dylan Sinclair (avec. Joyce Wrice)

« Zach et moi on a le même âge. Il est le producteur, je suis l’auteur-compositeur. C’est notre histoire, on a grandi ensemble », explique Sinclair. Cette histoire n’en est pas une uniquement de production musicale, mais aussi de nombreuses rencontres et de voyages hors de la ville pour changer d’air. Pendant la création de Suburbs, l’équipe est allée un peu partout, de Fort Érié à Montréal, dans le but de voir le monde. Le but était de vivre pour ramener des expériences en studio et les raconter en chanson. Ces voyages représentaient également pour Sinclair une pause de sa célébrité grandissante.

« C’est vraiment un travail de groupe et c’est bien plus amusant comme ça. J’ai essayé de travailler en m’enfermant dans ma chambre, et c’est pas plaisant. J’ai besoin de cet équilibre entre la vie et le travail », avoue l’artiste. « Je pense que plein de gens hibernent en studio et cherchent l’inspiration dans tout ce qui passe. Mais le problème c’est que la musique perd sa substance, comme ça. Je me concentre sur les nombreuses expériences de la vie pour que la musique soit porteuse de sens et qu’elle soit authentique. »

Cette authenticité a joué un rôle crucial dans le choix des artistes invités sur l’album. Sur la version de luxe de Suburbs, de jeunes talents comme Destin Conrad, Jvck James et Joyce Wrice font des apparitions et ce sont tous des artistes dont Sinclair était véritablement fan avant même de pouvoir imaginer collaborer avec eux. Pour lui, boucler la boucle de cette façon – par exemple collaborer avec Wrice alors qu’au secondaire il chantait son « hit » « Never » – est une importante source d’inspiration.

« Mon inspiration s’étiole rapidement », explique-t-il. « Quand elle revient, c’est souvent à cause d’une boucle qui s’est bouclée, comme quand je regarde les JUNOs et que quelqu’un mentionne mon nom. C’est ce qui s’est produit avec Joyce et notre collaboration. C’était un moment majeur pour moi! Ça me donne juste envie de retourner en studio pour travailler encore plus fort. »



« En tant que DJ, c’est mon devoir de dire aux gens ce que je trouve génial en général. Et maintenant, en tant que producteur, je peux faire passer ça au niveau supérieur, c’est-à-dire créer des chansons avec ces artistes et les faire monter sur scène avec moi – parce que je me voyais simplement comme un trait d’union entre la musique et les gens. »

4KORNERS, Ogwula

Cliquez sur l’image pour faire jouer la vidéo « Ogwula » de 4KORNERS (avec EverythingOShauN)

Kirk St Cyr, plus connu sous le nom de DJ 4Korners, ne nous répond pas seulement en tant que DJ qui a joué dans des clubs du monde entier, mais aussi en tant qu’artiste à part entière qui vient de sortir son premier album. À l’instar des parutions par plusieurs autres DJ canadiens, 4Korners of the World ne met pas seulement en avant ses compétences d’auteur-compositeur et de producteur dans une variété de genres musicaux ; il met également en valeur les nombreux rôles en constante évolution que doit de plus en plus avoir un DJ au-delà de ses compétences de base, bien rodées et essentielles pour faire vibrer une foule de fêtards.

4Korners of The World est un « mashup » de différents genres qui amalgament des styles musicaux aussi variés que l’afrobeats, le hip-hop, le R&B et la musique électronique qui est fidèle à l’éclectisme de ses « sets » de DJ. Grâce à sa liste d’artistes invités émergents de partout au Canada, 4Korners of the World est véritablement à l’image de la diversité canadienne.

« La raison numéro un pourquoi j’ai choisi ces artistes c’est parce qu’ils sont tous “dope” », dit 4Korners. « Deuxièmement, à cause du concept de l’album, j’ai volontairement recruté des gens de la diaspora et des Canadiens de première génération avec des origines internationales. Je pense qu’on porte des expériences uniques. Je crois qu’on voit le monde et le Canada d’une façon intéressante. Je crois que ça transparaît dans la musique. »

Pour 4Korners, l’album est une extension logique de la musique qu’il joue dans les clubs et lors des matchs de basket en tant que DJ officiel des Raptors de Toronto. Son image de marque est désormais assez forte pour que 4Korners lance, récemment, une vitrine baptisée Wonderful in Toronto. « Sa mission est de mettre en vedette des artistes PANDC émergents et établis afin de célébrer nos musiques et nos cultures », explique 4Korners au sujet de cette vitrine qui est mi-spectacle, mi-party.

Une autre DJ déterminée à mettre en valeur les nouveaux artistes émergents est DJ Rosegold, née à Toronto et basée à Los Angeles. « J’adore faire découvrir de nouveaux artistes et de nouvelles musiques que personne ne connaît, autant que je sache », explique la DJ née Dahlia Harper. « Je le fais de manière sélective en faisant jouer une nouveauté entre deux autres chansons que tout le monde connaît, peu importe l’âge ou la race. »

« En tant que DJ, c’est mon devoir de dire aux gens ce que je trouve génial… et maintenant, en tant que producteur, je peux faire passer ça au niveau supérieur » DJ 4Korners

Pour décrire les sonorités qui lui sont typiques, elle dit qu’il la s’agit de la « musique que tu ne savais pas que tu avais envie d’entendre », et DJ Rosegold a manifesté son éclectisme sur son EP intitulé Université Rosegold : Homecoming où elle rend hommage à ses racines reggae et à ses prochaines productions musicales attendues début de 2023.

Non seulement la musique qu’elle produit elle-même met en valeur des styles musicaux de toute la diaspora, mais les produits dérivés accrocheurs de sa ligne Rosegold University montrent clairement qu’elle reconnaît l’importance de l’image de marque à l’ère des réseaux sociaux. Son approche lui a permis d’être DJ pour des événements en l’honneur de Barack Obama et Lauren London, entre autres.

Rosegold souhaiterait malgré tout qu’accorder autant d’importance à l’image de marque ne soit pas nécessaire. « Maintenant, c’est comme si le talent n’était pas la chose principale sur laquelle les gens se concentrent, malheureusement », dit-elle. « Donc, pour moi en tant que DJ, la majorité de mes “bookings” sont du bouche-à-oreille ou des gens qui me trouvent sur Instagram. Mes réservations dépendent fortement de mon image de marque sur les réseaux sociaux. » Rosegold s’est adaptée à cette réalité et a utilisé sa confiance en elle et sa motivation à son avantage en créant une agence de talents appelée House of Milo.

Mais en fin de compte, que vous soyez un DJ ou un artiste, ce qui compte c’est d’insuffler votre style unique à votre musique. L’album Studio Monk de Junia-T paru en 2020 a été sélectionné sur la courte liste du prix Polaris quelques années après son mandat en tant que DJ pour Jessie Reyez lors de sa première tournée mondiale. D’abord connu en tant que MC, il se considère désormais principalement comme un DJ et producteur, mais il sait très bien qu’être DJ a ses avantages comme artiste interprète.

DJ Rosegold, Chantel, Come Closer

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« C’est une seule et même chose pour moi », dit Junia-T au sujet de son approche. « Tous les DJs ne sont pas comme ça, mais perso, j’aime jouer en tant que DJ de la même façon que je choisis la musique pour un projet. J’aime jouer des trucs qui me plaisent réellement. C’est pas important si les gens connaissent une chanson ou non, c’est un test de mes goûts. »

DJ Rosegold abonde dans le même sens. « Ce qui est cool dans le fait que je sois maintenant du côté de la production, c’est qu’en tant que DJ, je sais ce que les gens aiment. Et je veux dire par-là ce qu’ils ont vraiment envie d’entendre dans un party », dit-elle. « Je vois leurs réactions, ce qui les excite, et je n’ai qu’à me mettre dans les souliers de ces fêtards… C’est comme ça que j’amalgame les deux et c’est pour ça que je suis vraiment contente d’avoir commencé par être DJ avant de me lancer en production – ça m’a permis de comprendre ce que les gens aiment vraiment. »

Pour 4Korners, qui a grandi à Toronto dans une famille trinidadienne où il était entouré de musiques aussi variées que la soca, le funk ou le rock, il y a des similarités das la mentalité requise pour être un DJ et un artiste interprète.

« C’était naturel pour moi de jouer toute la musique que j’aime et ç’a toujours été une palette très variée », dit-il. « Maintenant que je suis producteur et artiste interprète et que je crée la musique que je fais jouer, c’est du pareil au même. Y’a tellement de genres musicaux qui m’habitent, tellement de sons et d’influences, que ce ne serait pas authentiquement moi si ça ne s’exprimait pas dans ma musique. Impossible pour moi de faire un seul truc. Je ne suis juste pas comme ça. »