Dans un marché hypercompétitif à l’international et dans un style musical la plupart du temps sous-diffusé chez nous, les empreintes laissées au passage par nos artistes blues dans ces territoires relèvent-elles de l’exploit ?

Dawn Tyler Watson

Dawn Tyler Watson

« Ce n’est pas surprenant, affirme la chanteuse Dawn Tyler Watson qui revient tout juste du Legendary Rhythm & Blues Cruise où elle a côtoyé les légendaires Buddy Guy et Taj Mahal pour ne nommer que ceux-là. Nous avons au Québec une vision du blues qui plaît. Dans la manière, dans le style, dans l’authenticité, dans le répertoire. On me le rappelle régulièrement ».

Si Watson a démontré toute sa polyvalence avec le duo éclaté qu’elle complétait avec le guitariste et chanteur Paul Deslauriers (des concerts en Russie, Australie, Maroc, Brésil, Europe) son rôle de chanteuse de big band avec le groupe de Ben Racine lui sied à merveille : trois mois après avoir subi un triple-pontage, elle a remporté les grands honneurs à l’International Blues Challenge (ICB) à Memphis en 2017. Première sur 200 participants. De quoi faire écarquiller les yeux des diffuseurs. Les festivals se l’arrachent depuis sa consécration.

« Les artistes qui chantent le blues en français, oublie ça, le développement à l’extérieur, annonce d’emblée le programmateur et agent Brian Slack qui s’occupe de la destinée de Dawn Tyler Watson depuis 1997. J’ai de la misère à les vendre au Québec ! Les programmateurs internationaux ont peur du blues en français. Je regarde ce que les autres font, poursuit-il, en parlant des festivals canadiens, américains et d’outre-mer : il faut créer un momentum, c’est hyperimportant. Les informer continuellement. Un artiste blues, peu importe sa provenance, doit faire un disque bien produit tous les deux ans. On choisit les événements. Des chanteuses, il y en a plein ! »

Le rôle de la Société Blues de Montréal dans l’épanouissement des artistes du Québec est non négligeable. Entremetteur, catalyseur, informateur, l’OSBL utilise à profusion les réseaux sociaux comme tout le monde. C’est elle qui envoie nos artistes à l’IBC, condition sine qua non du concours. Chaque concurrent doit être parrainé par sa société locale.

Autre incontournable: le Canadian Blues Summit, qui a lieu tous les deux ans à Toronto, sorte de Canadian Music Week ou de Bourse Rideau du blues à la feuille d’érable. Incontestablement un accélérateur.

Steve Hill

Steve Hill

Steve Hill, le patriarche bleu du Québec, prix Juno de l’album blues en 2015 en plus d’une flopée de trophées aux Maple Blues Awards, sillonne l’Europe depuis deux ans. Tournée en solo et avec les légendaires Britanniques de Wishbone Ash dans des salles de 1 000 à 2 000 places. « Je réinvestis dans ces tournées européennes tout ce que je gagne ici, les frais de tournée, mon technicien, etc. Je perds de l’argent quand je vais en Europe, mais le blues est une business où il faut que tu te fasses voir. C’est un investissement ».

Sa revue de presse européenne est à faire rêver : les grandes publications anglaises comme Classic Rock Magazine et Mojo sont extatiques de la perfo en solo du blueman. Les Allemands, aussi friands de rock et de blues, donnent la part belle au québécois dans leurs écrits. Cet été, Hill fera les premières parties allemandes de la superstar du blues Joe Bonamassa devant des foules de 10 000 personnes.

Autre gros défi pour Hill :  le Electric Candlelight Concerto où il s’est échiné le 16 février dernier avec l’OSM sous la direction de Kent Nagano (une œuvre de vingt minutes en cinq mouvements) dans cet atypique ‘’Concert à l’aveugle’’ à la Maison Symphonique. Le constat est évident : Hill vient d’entrer dans le monde de la musique classique, un exploit inimaginable pour un bluesman du Québec il y a dix, vingt ans. Et si son rayonnement à l’international passait aussi par ce genre de visibilité ? « Le lendemain matin, je déjeunais avec maestro Nagano au Ritz Carlton, clame fièrement le guitariste. Il est question que je rejoue cette œuvre ailleurs dans le monde avec d’autres orchestres symphoniques ». Hill, qui fait de trois à quatre tournées canadiennes depuis les cinq dernières années reçoit aussi l’aide à la tournée de la SODEC.

Le montréalais Michael Jerome Browne est un spécialiste du blues traditionnel. Ses disques sous étiquette Borealis font le bonheur des puristes et amateurs de blues du Delta du Mississippi. Aux côtés du très connu Eric Bibb, Browne se promène aux quatre coins du territoire nord-américain et même jusqu’à Hawaï ! Sans gérant depuis dix ans. En avril prochain, c’est quinze concerts qui sont programmés au Royaume-Uni.

Jordan Officer, avec ses trois albums de guitare au style raffiné (son nouveau disque chez Spectra Musique sort en juin), bien qu’il ait reçu une bourse de création du CALQ pour une résidence en 2013 à New York, préfère les pèlerinages dans le sud des États-Unis en fourgonnette-camping avec la petite famille afin d’établir des contacts. Et bon mal an, une agence française lui réserve dix dates. « Tu peux développer un peu partout, même à l’extérieur des réseaux connus ».

Angel Forrest, qui roule sa bosse sur tout le territoire canadien depuis trente ans, publie, elle aussi, un nouveau disque, Electric Love, captation en concert, hébergé chez Ad Litteram. Forrest, à l’instar de ses confrères et consœurs québécois, engage un tourneur européen. Dans quelques jours, le public anglais de Sheffield, Bristol et Glasgow, pour ne nommer que trois des vingt escales à l’itinéraire, aura un premier contact avec la chanteuse à la voix sablonneuse. Ensuite, c’est Omaha, Kansas City et Minneapolis en août. « C’est vraiment le bouche-à-oreille qui fait son chemin. Et cela passe obligatoirement par le spectacle ». Avec elle, on est loin des relectures des classiques du blues, elle privilégie plutôt ses propres chansons mâtinées de folk et de rock. Chemin faisant, elle s’est hissée parmi les huit finalistes à l’IBC en janvier dernier. « Ça m’a étonné confie l’Anglo-Québécoise, ma musique est plutôt outside the box, moins conventionnelle ».

Gagnante du Maple Blues 2018 catégorie « chanteuse de l’année », elle admet que « gagner des trophées c’est sympathique, mais il n’y a pas de réelles retombées ».

Mike Goudreau

Mike Goudreau

Le guitariste Paul Deslauriers vient de parapher une entente avec le tourneur blues réputé Intrepid Artist. À l’agenda : plusieurs concerts en Floride dont le Daytona Blues Fest, ensuite direction Omaha, Las Vegas, la liste est longue. Gagnant de quatre Maple Blues cette année, le Paul Deslauriers Band est très en demande partout au Canada. Avec une deuxième place en 2016 à Memphis, lui et ses deux comparses ont le vent en poupe. « On est plus juste un band de Montréal aux yeux des programmateurs américains. La seule façon d’élargir son bassin d’admirateurs, c’est de multiplier les opportunités de jouer devant du monde ».

Pourtant, Mike Goudreau, originaire des Cantons-de-l’Est, est peut-être celui qui rayonne le plus aux États-Unis et partout dans le monde… sans faire un seul spectacle dans ces marchés! Avec dix-neuf albums au compteur, la télévision et le cinéma s’arrachent sa musique. Depuis 2007, on entend les blues du guitariste dans plus d’une centaine de séries américaines: NCIS (CBS), Gotham (FOX), Hung (HBO) pour ne nommer que ceux-là. La tournée Forever Gentlemen en 2016 en Europe et les quarante concerts en Europe de l’Est avec Garou ne rivalisent pas avec son carton américain, ce qui démontre que le blues québécois possède ce « je ne sais quoi » qui plait, et s’immisce partout, même sur le territoire qui a vu naître le genre.

Certainement une question de manière, de style, d’authenticité et de répertoire, pour reprendre les mots de Dawn Tyler Watson… et aussi sûrement de talent, tout simplement.