Marc Déry est à la bonne place. J’aime ça quand t’es là, son sixième album solo, incarne un grand sentiment de liberté, qui n’est pas sans rappeler celui de son premier album phare, paru il y a plus de 25 ans.

Marc Dery« J’me sentais bien. J’me sentais à la bonne place », résume Marc Déry, manifestement heureux, voire comblé, à l’autre bout du fil. « C’était la même chose pour le premier. À l’époque, tout était possible. J’avais juste à me servir dans les idées, j’avais pas encore de contrainte de personnalité, vu qu’on ne me connaissait pas en dehors de Zébulon. J’ai toujours un peu feelé comme ça par après, mais [jamais autant que pour cet album]. Avec la pandémie, j’ai senti comme un phénomène de reset. Tout le monde, en fait, s’est resetté. On repartait notre vie comme on voulait la repartir. Et c’est le même phénomène qui s’est passé avec la musique. »

À ses côtés, durant la confection de cet album qui arrive six ans après son prédécesseur, Atterrissage, Déry a pu compter sur l’appui de plusieurs musiciens, entre autres le rappeur Imposs (sur l’étonnante et brillante Kekchose), le batteur Joseph Perrault ainsi que le réalisateur et multi-instrumentiste Pierre-Luc Cérat, qui l’a épaulé à la composition de presque toutes les chansons. « J’avais travaillé avec lui pour le dernier tiers d’Atterrissage et je sentais qu’ensemble, on était à la bonne place. J’avais le goût de partir [un projet d’album] dès le début avec lui. Je sentais la collaboration très riche. »

Collègues du même complexe d’enregistrement dans le quartier Pointe-Saint-Charles, à Montréal, les deux musiciens ont appris à se connaître en jasant musique. « Je le voyais fumer des cigarettes dans la rue, devant le studio, quand j’allais m’acheter de quoi au dep. On entendait aussi ce que l’un et l’autre on bidouillait, chacun de notre bord. Quand on s’est retrouvés ensemble avec une guitare, on n’avait même pas besoin de se parler. On se bonifiait naturellement. C’est quelque chose de rare… quelque chose qui m’est arrivé avec les gars de Zébulon, mais que j’ai pas retrouvé tant que ça après. Dès que t’as une étincelle, l’autre renchérit avec du petit bois. La dernière chose que tu sais, c’est que t’es rendu avec un beau gros feu. »

À force de jammer, Déry et Cérat (qu’on a connu au sein de Bran Van 3000) ont élaboré des grooves et des « suites d’accords intéressantes ». Dès qu’ils avaient devant eux un peu de (bonne) matière brute, l’auteur-compositeur-interprète imaginait une mélodie avec des mots entonnés de manière très intuitive. « Tombé dans l’aquarium / Comme une statuette de Bouddha », s’est-il mis à chanter sur ce qui deviendra Aquarium, premier extrait de l’album.

Marc Dery, Aquarium, VIDEO

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« Tout sortait du subconscient. Plus ça allait, plus j’écrivais vite, juste pour me donner une idée de la mélodie. Ça donnait quelque chose de très flou, de très acide, fucké. Et après, je dessinais de quoi de plus précis, avec [dans le cas d’Aquarium] un refrain qui commence par ‘’J’aime ça quand t’es là’’. Ça donne l’impression que je suis en train de rêvasser [dans les couplets] et que, d’un seul coup, je me tourne vers quelqu’un et je lui fais une déclaration d’amour très directe. Une déclaration universelle et pas trop quétaine, que tu peux dire à une amoureuse, mais aussi à un frère, un ami, un parent. »

Les textes de J’aime ça quand t’es là ruissellent de lumière et de plénitude. Marc Déry s’y dévoile de manière pétillante. « Je suis passé par toutes les émotions durant la création de l’album. Mais ce que j’avais le goût de sortir, de montrer au monde, c’est le côté plus lumineux. On a fait 32 chansons en tout; j’aurais pu sortir un album plus sombre. J’aurais pu aussi y aller avec quelque chose de plus pop balloune. Mais je voulais pas ça non plus. Je voulais quelque chose de lumineux, mais avec de la profondeur. Pas quelque chose de trop naïf ou innocent.»

Les deux chansons qui détonnent, du moins en ce qui a trait au texte, sont Le dégel et À soir c’est sûr ça scille. « Un de mes meilleurs amis s’est enlevé la vie. Ça parle de ça. Mais encore là, je voulais avoir un recul, un certain positivisme. Je voulais pas communiquer juste de la tristesse. »

Ce choix artistique est intimement lié à la manière dont Déry envisage la vie à 61 ans. « J’ai une certaine tendance à l’optimisme, même quand ça va mal. Quand il m’arrive des trucs plates, je prends un pas de recul, je respire un peu. J’essaie de pas tomber dans le panneau de m’en faire pis de péter une coche », explique-t-il. « Quand y’a des nœuds dans une corde, ça sert absolument à rien que tu tires dessus. T’es mieux de prendre ton temps et de dénouer tout ça tranquillement. »

Voilà les sages paroles d’un homme en paix avec lui-même et avec le geste créatif.