Célèbre native de Steeltown, le surnom de Hamilton, nous avons joint la vedette electro pop Jessy Lanza dans son studio de Redwood City, non loin de Silicon Valley. Et si cette image vous semble discordante, elle n’en demeure pas moins un bon résumé de la musique de cette artiste. Son lyrisme plutôt sombre combiné à sa voix mielleuse couchée sur des rythmes synthétiques à l’euphorie contenue font de son nouvel album un baume pour l’âme dont nous avions tous besoin.

« Je suis pas mal stressée en permanence, même quand je n’ai aucune raison d’être stressée, et ça me fait sentir coupable, car je me demande pourquoi je suis incapable d’être reconnaissante. Par contre, quand j’ai une bonne raison de pleurer, ça me semble parfaitement normal », confie-t-elle. « Ça me réjouit de penser que mon album puisse faire du bien aux gens. »

« C’est ironique, car je pensais que les choses allaient se replacer, cette année »

Comment elle a fini entourée de forêts Ewok afin de discuter de All the Time, son plus récent album pour l’étiquette britannique Hyperdub et , comme la majorité des histoires récentes, une histoire de fléau. Lanza s’est installé chez nos voisins du sud il y a déjà quelques années — dans le quartier Queens, à New York, pendant la tournée de son album Oh No paru en 2016 — et elle était en tournée de prépromotion en Europe quand le monde s’est arrêté.

« On jouait en Suisse », se souvient-elle. « Entre Saint-Gallen, où on était, et l’Italie, il y avait les alpes, mais tout le monde capotait complètement. Ils demandaient des pièces d’identité aux gens afin d’empêcher aux Italiens d’entrer. C’était la première fois que je constatais que quelque chose de vraiment pas normal s’en venait. »

Elle est rentrée aux États-Unis, mais comme elle avait récemment prévu une tournée, maintenant annulée, qui s’étalerait d’avril, à L.A., jusqu’en octobre, à Montréal, elle n’avait pas renouvelé son bail. New York s’écroulait sous le poids de la COVID, alors Lanza et son partenaire ont fui la ville dans leur minifourgonnette et ont traversé le pays afin de se réfugier chez ses parents à lui dans le nord de la Californie. (La minifourgonnette a été recyclée en salle de spectacle pour sa prestation Boiler Room.)

All the Time était déjà « mixé, matricé et prêt à partir », ce qui a forcé le report de son lancement, mais seulement jusqu’en juillet. S’il semble légèrement différent de ses prédécesseurs, ça n’est toutefois pas la faute de la pandémie, mais plutôt parce que c’est la première fois que Lanza et son collaborateur de longue date, Jeremy Greenspan de Juniors Boys, travaillaient à distance. « C’était un peu bizarre de travailler comme ça, parce que je suis tellement habituée qu’on soit super proches, mais ç’a été quand même amusant », dit-elle avant d’ajouter qu’elle faisait quand même l’aller-retour de New York à Hamilton une fois par mois pour le voir.

Elle a également été influencée par les artistes qu’elle a rencontrés à New York — « je me sentais moins cloîtrée, cette fois-ci » — et par les occasions créatives qui se présentent du simple fait d’être loin de chez soi. « J’ai beaucoup plus travaillé seule », ajoute-t-elle. « J’ai installé mon studio comme je l’aime et j’ai expérimenté. »

Elle prend également plus de risques au chapitre des textes, disséquant allègrement son cynisme et sa détresse émotive, et elle les a même inclus dans les notes de l’album, malgré toute la vulnérabilité qu’elle ressentait dans la foulée de cette décision.

« J’étais vraiment en pagaille ces dernières années, et c’est ironique, car je pensais que les choses allaient se replacer, cette année », dit-elle avec un rire sardonique. « Mais j’ai appris une bonne leçon. Tu peux faire tous les plans que tu veux et te dire que tu vas sortir un album, partir en tournée et te sentir normale de nouveau. Tout ça ne pourrait être moins vrai. »

Elle ajoute néanmoins que « de grands pans de ma musique parlent de se sentir rejetée et pas assez bonne. Ce sont des émotions très fortes pour beaucoup de gens. [All the Time] est l’effort que je fais pour calmer ces émotions en moi — et j’espère qu’il aura le même effet sur d’autres quand ils l’écouteront. »