Neuf ans après une soirée arrosée qui leur a instantanément révélé leur potentiel musical, Emma Beko et Gab Godon s’apprêtent à récolter le fruit de leurs efforts avec Why Make Sense, le premier album de leur projet Heartstreets.

Croisement instinctif entre R&B, pop, soul et hip-hop, l’opus a nécessité un an et demi de création intensive. Sans avoir été sinueux, le parcours qui a mené à l’aboutissement de cet album a été ponctué de doutes. En cours de route, une immersion créative est venue confirmer bien des choses : le camp d’écriture Kenekt Québec de la SOCAN, auquel le duo a participé au printemps dernier.

Sur place, les deux amies ont rencontré plusieurs producteurs et musiciens de calibre, notamment Realmind, A-Sho, Connor Seidel, L’Isle et Pilou, et ont élaboré trois chansons qui ont finalement trouvé leur chemin jusqu’à cet album (Good Thing, Lost, Piece by Piece). « Les échanges ont été tellement inspirants. C’était la première fois de notre vie qu’on passait cinq jours à créer de la musique sans arrêt. Quand on est sorties de là, on s’est dit : ‘’OK, let’s go, on le finit, notre album !’’ Ça nous a donné du jus pour les dernières étapes », soutient Beko.

« Ça nous a ouvertes à des nouvelles façons de fonctionner », poursuit sa complice. « Emma et moi, on est très organiques et spontanées dans notre méthodologie de travail, tandis que là, on a vu que d’autres personnes pensaient d’abord à la structure et à la logique d’une chanson, avant même d’avoir écrit les paroles ou composé la mélodie. On a compris que, peu importe les personnes, les moyens et les ressources que ça nécessite, il faut toujours rendre service à la musique. »

Bref, les deux musiciennes de 27 ans ouvrent davantage leurs horizons aux autres sur Why Make Sense, en plus de s’ouvrir plus que jamais sur elles-mêmes en explorant des sujets plus profonds comme le deuil, l’anxiété et la dépression. Exemple type de cette méthode collaborative, la pièce d’ouverture By You est née d’un « ping-pong musical » entre le compositeur et réalisateur émérite Philippe Brault, et la productrice électronique Ouri. Amorcée au camp Kenekt avec Pilou, Lost a changé de forme en cours de route et a bénéficié du savoir-faire de Shash’U à la section rythmique. « Notre mission à nous, c’est d’attacher les ficelles de tout ça, de tenir les rênes du projet pour s’assurer qu’il soit homogène », explique Godon.

Garder son essence

Ainsi, malgré ses différentes explorations, Why Make Sense reste cohérent grâce à l’approche simple et sans artifice du duo, essentiellement centrée sur la fusion naturelle et épurée des deux voix, qui donne une impression de proximité avec l’auditeur. « On a grandi en écoutant ce qui jouait à notre époque : Pharcyde, Biggie, Big L, AZ, Fugees… Ça a eu un immense impact sur nos vies et, donc, sur le côté très gritty et raw de notre musique », observe Beko. « Souvent, en show, on doit dire au soundman d’enlever le reverb des micros, car on aime ça naturel. Ça ne nous empêche pas de jouer avec des effets en studio parfois, mais toujours avec modération. »

Cette signature organique est à la base même de Heartstreets depuis sa formation embryonnaire. Amies d’enfance, Emma Beko et Gab Godon ont développé leur complicité artistique en filmant des sketchs improvisés et en chantant du Christina Aguilera, avant de s’initier à la danse hip-hop au cours de l’adolescence. En 2010, une soirée a marqué leur amitié à jamais. « Mon père était absent, donc on est allées chez lui pour boire et fumer des joints. À un certain moment, Gab m’a montré une chanson d’Adele et a commencé à la chanter devant moi », se souvient Beko, nostalgique.

« Et, durant le break instrumental de la chanson, Emma a eu l’audace de prendre ses lyrics qui traînaient et de me les rapper », poursuit Godon. « Les deux, on était complètement mindblown ! Le coup de cœur a été instantané… This is our new activity now ! »

Dès l’année suivante, les deux artistes ont publié leurs premières chansons sur Soundcloud, générant un enthousiasme de plus en plus marqué sur une scène locale encore peu habituée à ce mélange chaleureux de hip-hop et de R&B. En 2016, le succès d’estime de leur premier EP You & I leur a permis de faire plusieurs spectacles d’envergure dans leur province, notamment à Osheaga et au Festival d’été de Québec, et de collaborer avec des producteurs montréalais de renom comme Kaytranada et Ryan Playground.

Sans cultiver des ambitions trop élevées, les deux acolytes espèrent maintenant que leur premier album prenne la place qui lui revient sur la scène locale. « On ne pense même plus au temps et au travail qu’on a mis là-dessus. On est juste vraiment très fières de le présenter à nos fans, dit Godon. À partir de là, notre but principal, c’est que Heartstreets décolle et vole de ses propres ailes partout dans l’univers. »