Son treizième disque fera plaisir aux fans de la première heure, D’Amour et Rock’n roll est une matière brute, au son haché qui ramène à la terre pendant que la voix et les mots partent vers le haut.

France D’AmouLe 2 octobre 1993, France D’Amour terminait au Forum de Montréal la tournée Rock Le Lait en compagnie des Vilains Pingouins et de Jean Leloup. Nous y étions. Animal, son premier disque, était paru l’année d’avant et Déchaînée allait défaire la guigne du second disque quelques mois plus tard. En entrevue, la jeune rockeuse de Mont-Rolland confiait alors aux médias : « j’ai assez confiance en moi pour ne pas avoir peur de me mesurer à des artistes comme eux ».

Soufflés que nous fûmes, lorsqu’en véritable mission, elle chanta le poing en l’air et la patte qui kicke vers l’avant, l’hymne rock Vivante : « Chanter à tue-tête / Tout ce que j’ai dans l’ventre / Chanter comme une bête / Pour me garder vivante ». Pour beaucoup de gens, même si France D’amour nous donné les douces sensations de Si C’était Vrai et Ailleurs pour faire place à des nuances plus fines dans son parcours discographique, cette femme est coulée dans le rock.

D’Amour renoue avec cette époque dans ce recueil de dix compositions, enregistré chez son guitariste Jason Lang, avec l’aide de vieux collaborateurs, Patrick Lavergne à la basse et Sam Harrisson à la batterie (« mon Dave Grohl à moi », ajoute-t-elle) : « J’étais due, même si j’ai jamais arrêté de faire du rock, lors du spectacle-lancement une spectatrice m’a dit : ça fait vingt ans que j’attends cet album-là ! Je lui ai répondu : Merci, vous avez été patients parce que je vous ai barouetté d’un bord pis de l’autre », en parlant des différents styles explorés au fil des ans comme le jazz de Bubble Bath and Champagne en deux tomes.

La différence entre la rockeuse de 1993 et celle d’aujourd’hui ? « Y a une estie de différence ! Celle d’Animal, elle y allait juste par instinct, pis l’énergie. Là, c’est une énergie canalisée, contrôlée. Il y avait quelque chose de très sérieux dans Animal. Là, c’est pas sérieux du tout, on s’en fout, on se laisse aller et c’est le plaisir qui prime sur tout ! Il s’est passé quelque chose de très adolescent entre nous, on cherchait des grooves, de la matière brute, imparfaite. Si tu compares avec les albums des années 70, il y en avait des fausses notes, c’était plus naturel ».

« J’ai envie de me tenir debout sur ma chaise, d’aller trop vite, d’aller trop fort! »

Elle ajoute : « des fois on avait des fous rires, comme si on retombait en enfance avec la musique, on défaisait notre savoir. On se disait : comment on jouait quand on ne savait pas jouer ? Ça fait du bien de se lâcher lousse, ça fait du bien de jouer mal. Plusieurs chansons sonnent comme des démos, au grand dam de notre réalisateur qui repérait tout de suite les imperfections, mais nous on les aime de même. Sur Tout à gagner, je suis malade, la voix craque, mais j’ai dit : on garde ça ! C’est ça le rock’n roll : le feeling et l’émotion ».

Viser droit au cœur sans négliger l’esprit, la part belle est laissée aux guitares et il existe une franche cohésion née des mêmes ingrédients ludiques, sans déployer des trésors d’invention.

« Quand t’as des sujets du domaine de l’indignation comme c’est le cas avec ce nouveau disque, la musique rock sied bien à ce propos. C’est mes constats au fil des années, c’est ma vie personnelle, je me révèle beaucoup. C’est moi au moment présent. Il n’y a aucune chanson d’amour sur l’album », confie la nouvelle célibataire de 54 ans avec un brin d’ironie, quoique, la dernière piste de D’Amour et Rock’n Roll, T’étais mon père, est le texte intégral qu’elle a lu aux funérailles récentes de son père.

C’est toujours à ce moment que D’Amour a donné et donne le meilleur d’elle-même. La gorge imbibée de fiel elle en remet : « j’ai envie de cour à scrape, j’ai pas envie d’être sexy, j’ai envie de me tenir debout sur ma chaise, d’aller trop vite, d’aller trop fort pis de virer d’bord, pis de m’arrêter quand ça me tente. J’ai envie d’un fuck off pis d’un laisser-faire ».

Première étape réussie lors du spectacle-lancement à Coup de cœur francophone : « J’avais chaud en dessous des bras, mais je n’ai pas raté un seul mot des nouvelles chansons, ma mémoire est bonne, l’Alzheimer ce n’est pas pour tout de suite ! En dedans de moi je suis restée adolescente. Vieillir, c’est entre les deux oreilles ».