Enseignant la musique à des élèves de cinquième et sixième année et composant pour diverses sphères, dont le théâtre (sa sœur est Martine Beaulne, la metteure en scène), Vincent Beaulne a longtemps cultivé l’idée de former un groupe de blues. « Le problème est que les bluesmen de mon âge étaient trop poqués et se faisaient rare, alors j’ai décidé de monter un groupe avec des amis. Je voulais créer des compositions de blues originales et ces hommes étaient prêts à m’appuyer dans ce projet. Tous des musiciens professionnels, pas des bluesmen à la base, mais des chums. C’est sans doute pour cette raison qu’on a réussi à rester ensemble pendant dix ans, » raconte le musicien quinquagénaire avec entrain.

Mené par Beaulne (voix, guitares), Blues Delight est aujourd’hui complété par Laurent Trudel (voix, guitares, harmonica, violon), Dave Turner (saxophone alto et baryton), Gilles Schetagne (batterie) et Marco Desgagné (basse). Après un réjouissant premier tour de piste en 2007 (Rock Island Line), le quintette récidive en 2009 avec Open All Night. Réalisé par un membre du groupe (Laurent Trudel), Working On It voyait le jour plus tôt cette année et se veut une autre collection de morceaux blues de qualité. Alliant morceaux enflammés (« Bad Girl » qui traite d’une guitare Fender Stratocaster), rythmes langoureux (« Let’s Go Downtown »), accents country (« Outlaw »), élans de slide guitar (« Bad Wind ») et pièces instrumentales sulfureuses (« Dirty Riff »), l’opus étonne par sa vitalité. Tout de même, pas évident de se renouveler lorsqu’on joue du blues.

« On ne réinvente pas la roue, c’est clair. Tout ce qu’on peut faire est s’améliorer sur le plan musical. Sur ce nouveau disque, j’estime que notre jeu musical est beaucoup plus limpide. On a confiance en nos moyens et on joue mieux ensemble. Une chanson représente bien l’objectif que j’avais en tête : “Ride The Sky”. Je voulais produire une espèce de jam contrôlé, une chanson intense sur un seul accord où tout le monde joue sans jamais se piler sur les pieds. C’est le millage qu’on a fait ensemble en tant que musiciens qui nous permet de faire ça aujourd’hui, » soutient Beaulne, également directeur artistique du Camp de Blues du Festival International de Jazz de Montréal.

Si Robert Langlois demeure le principal parolier du combo depuis ses tous premiers balbutiements, Beaulne parvient à vaincre sa timidité d’auteur. La preuve : il a signé une poignée de textes pour le groupe au cours des dernières années. Pour le chanteur et guitariste, collaborer avec Langlois demeure une véritable partie de plaisir. « On est des amis de longue date, des frères d’arme. C’est devenu facile et agréable d’écrire avec lui. On a trouvé des méthodes qui fonctionnent pour nous. Ma préférée est de mettre des textes complets en musique. Mais l’inverse peut aussi se produire. Parfois, un couplet ou un refrain musical arrivera avant la musique. Je l’envoie à Robert et il commencera à écrire des paroles. Il me montre un bout de texte et je termine la chanson. Évidemment, le reste du groupe ajoute son petit grain de sel. »

Comme j’ai déjà un job, je peux me permettre de faire du blues à mes conditions. – Vincent Beaulne

Face à une industrie de la musique frêle et une scène blues chancelante, Vincent demeure lucide. « Pour survivre, il faut voyager, être sur la route, mais on a tous des emplois à plein temps. Ce serait impossible de partir en tournée. De toute façon, on n’a plus l’âge, ni le goût de le faire. Comme j’ai déjà un job, je peux me permettre de faire du blues à mes conditions. Je produis les disques et tout l’aspect financier, c’est moi qui m’en occupe. Le blues a toujours été un milieu riche artistiquement, mais pauvre financièrement. Présentement, la scène blues ne va pas bien et son état ne peut que s’améliorer. J’ai beaucoup d’admiration pour des gens comme Bob Walsh et Guy Bélanger qui font de la musique à plein temps. Ce sont des vrais, des hors-la-loi, des rebelles. On ne peut que respecter ça. »

Vieux routiers (Beaulne et Trudel jouent ensemble depuis 42 ans), la complicité entre les cinq comparses de Blues Delight ne se dément pas. C’est sur scène que cette complicité exceptionnelle prend toute sa dimension. Beaulne explique : « Un spectacle, c’est un terrain de jeu. Un lieu de rencontre, un acte de partage, mais surtout un grand plaisir. Je vois la musique comme la vie, comme un grand cercle. Si les choses se passent bien, on a la chance de se rencontrer au milieu. Dans un spectacle, c’est comme ça. J’aime improviser, inviter les gens à chanter, m’adresser au public d’égal à égal. Il y a quelque chose de très familial dans le blues. On ne retrouve pas de fossé entre le public et les musiciens. C’est la personnalité de chaque individu qui prend le dessus. »

Alors que le clan célébrera son dixième anniversaire l’an prochain, les projets abondent : spectacles à compter de février, parution d’une compil en mai, festivals de blues en été. Peu actif cet hiver, Blues Delight souhaite visiter Edmunston et tenter de conquérir de nouveaux territoires (comme Ottawa) lorsque la neige sera fondue. S’il préfère développer le marché québécois, Beaulne caresse tout de même le rêve de promener son blues à Chicago ainsi qu’en Europe lorsque l’heure de la retraite aura sonnée. « Rien n’est impossible! Lorsque ça fait longtemps qu’on joue avec les mêmes personnes, on joue pour les bonnes raisons. On a beaucoup navigué. S’il y a des vagues, on est prêts. Vieillir en faisant de la musique, c’est très cool. C’est de plus en plus le fun et intense. Il n’y a plus d’histoires d’ego et d’angoisse. On est une joyeuse gang de fous. Et non, on ne s’assagit pas nécessairement avec le temps! »