TOBi, rappeur et chanteur d’origine nigériane établi à Brampton, a plus d’un tour dans son sac : une sélection de beats impeccable, un flow maîtrisé, des mélodies accrocheuses, des jeux de mots poétiques, une écriture à plusieurs niveaux de lecture, et un instinct musical affûté qui s’accompagne d’une intention profondément réfléchie. Il fusionne le hip-hop, R&B, neo-soul et Afrobeats pour porter ses introspections sur des thèmes comme l’identité, la conscience, la vulnérabilité et le fait d’être un immigrant. Ses chansons, comme Made Me Everything, Someone I Knew et Flowers, trouvent un écho auprès d’un public en quête d’authenticité et de profondeur émotionnelle.
Rien d’étonnant, alors, que TOBi ait reçu les éloges de la critique : le magazine Complex l’a désigné « artiste à surveiller », et on a parlé de lui dans Billboard, Rolling Stone, i-D, COLORS et PAPER. Il a également remporté quatre prix JUNO : Enregistrement rap de l’année en 2021 pour ELEMENTS Vol. 1, qui a aussi été en lice pour le Prix de musique Polaris ; Album/EP rap de l’année en 2023 pour Shall I Continue? ; le même prix en 2024 pour PANIC ; et Simple rap de l’année en 2024 pour Someone I Knew. Ses vidéoclips cumulent plus de 2,3 millions de vues sur YouTube, et les chansons de son nouvel album, ELEMENTS Vol. 2, lancé le 9 juillet 2025, ont déjà été écoutées plus de 2,7 millions de fois sur Spotify en seulement une semaine.
Nous rencontrons TOBi au cours de cette même semaine, pour une conversation (principalement) centrée sur ELEMENTS Vol. 2.
La pièce d’ouverture de ELEMENTS Vol. 2, Life Is a Jungle, est d’une intensité brute et viscérale qui vient droit du cœur. C’est presque comme une confession qui donne le ton au reste de l’album.
«Life Is a Jungle est apparue de nulle part. Je me suis carrément littéralement réveillé en pleine nuit, incapable de dormir. Plein de trucs me passaient par la tête et je me suis dit qu’il fallait que ça sorte. J’ai trouvé un beat et j’ai écrit d’un seul trait. Il y a quelque chose de magique qui se passe vers 4 h du matin, juste après le sommeil paradoxal, quand le cerveau est en train de tout digérer… C’est pour ça qu’elle a une forme aussi libre — elle a été créée exactement comme ça. »
Tu sembles voir des choses que bien des gens ne voient pas : des sans-abri installées devant un immeuble avec un lobby en marbre, la femme de ménage immigrante qui accepte de travailler pour quelques dollars de moins que les autres… Comment fais-tu pour rester aussi lucide et attentif au monde qui nous entoure?
« Pour le meilleur ou pour le pire, je suis quelqu’un d’hyper conscient de ce qui se passe autour de moi, mais en dedans de moi aussi. J’ai la chance d’être entouré d’un bon cercle d’amis, de gens que je respecte, avec qui je peux avoir ce genre de conversations presque thérapeutiques… Comment fait-on pour être connecté à l’histoire humaine dans son ensemble? Ça, pour moi, c’est essentiel. »
Comment toi et Classified avez-vous collaboré pour créer He’s So Good?
« J’ai rencontré Classified pour la première fois aux JUNO l’an dernier [2024], à Halifax, et il m’a dit : “Man, faut qu’on travaille ensemble.” J’ai répondu : “Avec plaisir.” Mon directeur artistique chez Warner Chappell, Ricardo Chung, m’a ensuite envoyé un paquet de beats de Classified, et dès que j’ai entendu ce beat-là, j’ai dit : “S’il te plaît, dis-lui qu’il me le faut. J’en ai besoin.” Dès que j’ai envoyé le courriel et que Ricardo m’a donné le feu vert, j’ai écrit la chanson… Je voulais juste que ce soit un hymne à la confiance en soi, à l’affirmation de soi. Tu sais, ce moment où tu te lèves le matin et tu te dis : comment je peux être le meilleur, peu importe ce que tu fais dans la vie, que tu sois artiste, athlète, entrepreneur, coiffeur, n’importe quoi. »
« Tout ce que j’essaie de faire, c’est de la musique qui me fait du bien et qui fait du bien aux gens autour de moi. Aussi simple que ça »
Never Fold sonne comme une chanson d’amour — peut-être pour quelqu’un, peut-être pour toi-même, ou même pour ton histoire. Ou peut-être un peu pour les trois à la fois. Est-ce que cette superposition d’interprétations faisait partie de ton intention au moment de la composer?
“Absolument. L’amour existe sous plein de formes et de formats différents, et l’amour de soi, c’est super important. On en a besoin pour pouvoir être bien dans l’amour romantique, dans l’amour qu’on a pour nos amis, notre famille, les gens qu’on aime ; tout ça est connecté.”
Les premiers mots que tu chantes dans Changes sont-ils en Yoruba (une langue africaine parlée principalement au Nigéria)? Que signifient-ils?
« Oui, monsieur. En gros, ça dit “Je marche sur mon propre chemin. Ne te laisse pas distraire par le bruit. Ne te laisse pas distraire par les critiques, les détracteurs. Ne te laisse pas distraire par les illusions. Suis simplement ta voie, et reste fidèle à ton parcours.” »
Comment fais-tu pour garder espoir, surtout dans les moments difficiles?
« L’espoir a toujours été ce qui nous pousse à aller plus loin, ce qui nous propulse à travers la galaxie… Une des façons dont je garde espoir, c’est en n’oubliant pas que je suis un agent de changement, je fais partie de l’effet papillon. Peut-être que je peux pas prendre de grandes décisions qui changent le monde, mais c’est pas grave. Si je peux sortir dehors et répandre un peu de compassion et d’amour autour de moi – que ce soit avec des inconnus dans la rue, avec un ami ou un membre de ma famille – c’est ça, l’effet multiplicateur, tu vois? »
S’il y a un fil d’Ariane qui relie les pièces de l’album, c’est sans doute cette idée de réconcilier des forces qu’on perçoit souvent comme opposées : l’ego versus l’humilité, l’ambition versus la fidélité à soi-même, la rudesse versus la sensibilité, l’espoir versus la peur, la pression versus l’abandon, l’imagination versus la réalité.
« C’est l’essence même de ce que j’essaie de transmettre en tant qu’artiste. Tu vois, j’ai même un tatouage ici [il montre son bras droit], qui représente des forces opposées. Et ça, c’est ma façon d’interpréter la vie — avancer en cherchant cet équilibre. »
J’ai déjà lu quelque part que tu transformes ta douleur personnelle en force.
« Ça me fait plaisir d’entendre ça. C’est exactement comme ça que j’ai commencé la musique. La première fois que j’ai écrit une chanson, je portais une immense douleur émotionnelle. Écrire n’a pas fait disparaître la douleur, mais les choses ont commencé à avoir un peu plus de sens. Je me suis dit : “Ah, OK. Il y a réellement une forme de pouvoir dans l’expression… » J’ai lancé un programme il y a trois ans qui s’appelle Create and Connect Club, pour aider les jeunes Noirs à s’exprimer à travers la musique. Ce que j’ai observé, c’est qu’entre la première semaine – où ils sont hyper timides et craintifs de dire leur vérité – et la sixième ou septième semaine, tu vois des changements profonds. Même eux ne s’en rendent pas toujours compte tout de suite. Mais toi, tu le vois. Tu te dis : “OK, là tu t’ouvres sur ce sujet, et ça te permet de te sentir plus confiant, de sourire plus, de te connecter plus facilement.” C’est tellement beau à voir! »
Ton travail est à la fois hyper lucide et profondément vulnérable. Comment fais-tu pour que ces qualités te servent au lieu de te paralyser?
« J’évite consciemment d’être moralisateur. J’ai jamais voulu être un “influenceur” ou quelqu’un qui harangue les foules. Ce sont mes philosophies très personnelles que j’incarne à ma façon, et si ça te parle, tant mieux! Tout ce que j’essaie de faire, c’est de la musique qui me fait du bien et qui fait du bien aux gens autour de moi. Aussi simple que ça. »