Avec Consolation, son récent album de compositions originales, le pianiste Alain Lefèvre laisse parler ses doigts et son cœur en espérant qu’une chose : apporter un peu de lumière dans un monde de plus en plus sombre.
Malgré son passé d’enfant prodige, son impressionnante carrière internationale de pianiste de concert, son travail acharné pour mettre en lumière l’œuvre de certains compositeurs d’ici, à commencer par André Mathieu, Alain Lefèvre est un homme qui doute. Il est, indéniablement, l’un des musiciens les plus reconnus au Canada et un véritable évangéliste défendant avec acharnement la grande musique, tant classique que contemporaine. Mais il est un titre qu’il hésite encore à revendiquer pleinement : celui de compositeur.
« Ce n’est pas de la fausse modestie », explique-t-il d’emblée. J’ai 63 ans aujourd’hui et je joue depuis l’âge de cinq ans. Pendant longtemps, j’avais honte de prétendre pouvoir être un compositeur. Quand tu travailles toute ta vie le répertoire de Chopin, Brahms, Beethoven, et que tu te mets à composer, tu te dis, mon Dieu, ce que je fais, c’est imbécile ! Je crois que j’ai eu le cerveau lavé par les grands maîtres. »
Et pourtant, Lefèvre nous offre des compositions originales depuis le tournant du millénaire, une démarche entreprise avec l’album Lylatov, créé en réponse aux encouragements enthousiastes de son entourage. « Même là, j’avais une certaine gêne, ce qui explique pourquoi j’y ai mis du Satie et d’autres trucs pour éviter de ne faire que du Lefèvre », se souvient le pianiste. « La composition est venue dans ma vie comme une forme d’exorcisme de mes propres angoisses. J’ai vécu une enfance difficile qui a fait de moi un adulte insomniaque et hypersensible. Alors la composition, c’est d’abord une manière d’affronter mes démons par le piano. Mon écriture est simple ; c’est mon cœur qui parle avec mes doigts. »
Cette quête de transcendance, ce désir de mettre un baume sur des plaies – les siennes comme les nôtres – traverse tous les titres de Consolation, son plus récent album paru mondialement chez Warner Classics. Inspirées par l’angoisse planétaire générée par la pandémie, les compositions de Lefèvre répondent à la grisaille ambiante par leurs mélodies aussi délicates que réconfortantes, mais on y perçoit une certaine tristesse face à la folie du monde, notamment sur le titre Fatalité.
« Elle ne ressemble à aucune autre de mes compositions. Elle est née d’un matin où je me suis réveillé et j’ai vu le nombre de guerres qu’on avait en même temps, la montée du populisme, l’effritement des liens sociaux. J’ai ressenti non pas de la colère, mais un certain découragement. Cela dit, je continue de croire, modestement, que la musique peut être la grande consolatrice qui peut nous reconnecter à notre humanité. »
chaque concert. Mais il se désole du peu d’espace consacré à la musique dans les médias et les écoles et ne manque jamais une occasion de tirer la sonnette d’alarme. « Malheureusement, soi-disant par volonté de démocratiser la musique classique, on fait souvent à peu près tout et n’importe quoi. Quand un orchestre symphonique, et je n’en vise pas un en particulier, fait la promotion durant sa saison en disant écoutez, nous allons avoir trois concerts de musique rock, je capote. Parce je voudrais savoir si les groupes rock, eux, vont un jour décider de faire un concert de promotion de musique classique. Vous imaginez U2 annoncer en plein concert : “écoutez on va mettre 25 minutes de Jean-Sébastien Bach”. »
Malgré ces questionnements, Alain Lefèvre demeure convaincu que le secret pour former de nouvelles générations capables d’apprécier le répertoire, qu’il soit classique ou moderne, est d’exposer la jeunesse à la musique dans sa forme la plus pure. « Je l’ai observé en Corée, où des salles de concert étaient remplies à 40% de jeunes de moins de 15 ans mais c’est le seul endroit au monde où j’ai vu ça. En comparaison, notre public en musique classique est vieillissant. »
Mais ce n’est pas une fatalité, pour reprendre l’un de ses titres: « Pendant 35 ans, je me suis promené dans des écoles du monde entier. J’ai probablement joué pour des millions d’enfants que ce soit au Guatemala, au Nicaragua, au Salvador, en Russie, en Chine, au Japon, à Taïwan et je vous jure qu’aucun d’entre eux n’était insensible à la musique classique. Ce qui est fondamental, c’est de donner aux jeunes générations futures une base qui va leur permettre de devenir des mélomanes, comme il faut les éduquer sur le monde pour en faire des électeurs éclairés. »