Annie-Claude Deschênes

Photo : Alice Hirsch

Il y a quelque chose de fort qui se passe quand Annie-Claude Deschênes est sur scène. L’autrice-compositrice-interprète et artiste visuelle montréalaise entre dans une espèce de transe, parfois incontrôlable. « Quand ça commence, je ne calcule plus vraiment ce qui se passe. Je ne contrôle plus rien », admet-elle.

Avec Duchess Says, formation électro-punk avec qui elle s’est illustrée dans les années 2000 et 2010, elle s’est fracturé des côtes. Tout récemment, lors d’un spectacle solo au festival d’avant-garde L’internationale périphérique à L’Anse-Saint-Jean, elle s’est fissuré la tête.

« J’ai comme ressenti une intensité en dedans de moi et, puisque je suis dans une période plutôt intense de ma vie, tout a comme sorti (sur scène). J’me suis accroché une veine, une partie sensible de ma tête avec le micro, et le sang s’est mis à gicler. Il y en avait partout ! J’en n’avais jamais vu autant de ma vie ! Les gens me donnaient des débarbouillettes pour éponger tout ça. J’pesais sur ma blessure, ça m’étourdissait… Et comme mon concept (de spectacle) c’est un show de cuisine, les gens m’ont demandé si c’était arrangé… mais pas du tout ! », raconte celle qui jure n’avoir aucune séquelle de tout ce bain de sang (pas même de points de suture).

Annie-Claude Deschênes s’était pourtant assagie avec ce projet solo, davantage axée sur la pop électro minimaliste que sur la proposition punk plus incisive, emblématique du groupe qu’elle a formé en 2003. « Mais bon, même si c’est un cliché : chassez le naturel, il revient au galop… »

Annie-Claude assume depuis bien longtemps ce « naturel ». Déjà, à ses premiers cours de piano classique, elle sentait qu’elle n’était pas vraiment à sa place. « Ça m’a donné une base en musique, mais c’était traumatisant. Je suivais des cours dans un couvent, c’était super strict. C’était vraiment pas évident pour moi (d’y aller). »

C’est à l’adolescence qu’elle découvre sa voix. « J’ai commencé à chanter à 16 ans… ou, plutôt, à crier ! J’avais un lourd bagage à sortir, beaucoup d’émotions à sortir. J’étais en quête d’essayer de canaliser ça. Mon psychologue m’a déjà dit que j’aurais pu finir dans la rue, avec tous les trucs que j’ai vécus. Le moyen que j’ai trouvé pour m’en sortir, c’est la musique. C’est très introspectif depuis le début. »

Annie-Claude Deschênes, video, Menace Minimale

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Après une première expérience dans un groupe de covers, dans lequel elle reprenait du Velvet Underground, du Pixies et… du Joe Dassin, Deschênes forme l’ancêtre du groupe qui deviendra Duchess Says. Ambitieuse, elle quitte Lévis, sa ville d’origine, vers Montréal pour y étudier la conception sonore. « Je voulais prendre ma place et je sentais qu’en studio, j’étais pas capable d’exprimer ce que je voulais faire. C’était de plus en plus dur pour moi. Donc je suis allé étudier à Musitechnic pour savoir comment verbaliser ce que j’avais en dedans de moi. »

Rien n’est à l’épreuve de la chanteuse qui, à l’époque, multiplie les initiatives pour en apprendre constamment plus sur son (futur) métier. Elle part en roadtrip, entre autres à New York, pour voir certaines de ses idoles comme Sonic Youth, John Cale ou les Pixies. « J’allais leur parler après les shows. Je leur donnais des démos, des cassettes. Et souvent, ils m’encourageaient, en me donnant des conseils ou en mettant ma chanson dans un DJ set (…) La musique, pour moi, c’était une obsession. Je savais que je voulais faire ça de ma vie, mais c’était pas simple de savoir comment. J’étais obsédé par l’idée de tout comprendre. »

Dans les années 2000, Duchess Says est l’un des groupes les plus excitants de la scène alternative montréalaise. Son rayonnement s’étend à l’international, entre autres en Europe et aux États-Unis, là où le groupe accumule les tournées. « Pis, un soir, à New York, Nick Zinner (des Yeah Yeah Yeahs) était là. Il a demandé à notre gérant si on était intéressé à faire la première partie de son groupe ! », raconte-t-elle. « Ça a immédiatement cliqué avec eux. On se parlait de tout et de rien, Karen O et moi. C’était comme ma cousine. »

L’effet Duchess Says est puissant. Le charisme et l’exubérance d’Annie-Claude Deschênes y sont évidemment pour beaucoup. « Je voulais que ce soit le plus raw possible. Je portais zéro maquillage, zéro costume. Je voulais pas qu’on me regarde ou qu’on me trouve sexy. Je voulais qu’on se concentre sur l’acte artistique. »

Annie-Claude Deschênes, PyPy, PyPy's Poodle Wig, video

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Mais cette manière très stricte d’embrasser la scène finira par lasser la chanteuse et, au milieu des années 2010, c’est une autre formation qui viendra répondre à son envie de briser le moule: PyPy. Composé de trois membres de Duchess Says ainsi que de Roy Vucino (Red Mass, CPC Gangbangs), le groupe propose un univers rock psychédélique plus classique, quoiqu’encore très influencé par le punk.

« Ce gros rock là, à la base, c’était loin de moi comme style. Mais on a tellement fait de conneries que c’est devenu drôle. On s’entend que Duchess Says, c’est quand même chargé comme proposition. Les gens s’attendaient à certaines choses et, moi, j’aime pas me répéter. Je me suis rendu compte qu’en voulant sortir des cadres, je me ramassais, finalement, dans un cadre. Avec PyPy, c’était presque le même monde, mais je ressentais pu de pression.»

La carrière solo d’Annie-Claude Deschênes est également arrivée par nécessité de briser le moule. « Pendant la pandémie, je trouvais ça dur d’attendre après mon band, d’attendre que tout le monde soit prêt à composer. J’aime quand ça bouge, je veux sortir plein de projets, et ça allait pas assez vite pour moi. »

Axé au départ sur la musique, les arts visuels et la performance, le projet solo de l’artiste multidisciplinaire s’est resserré depuis la sortie de l’album Les manières de table l’an dernier. « J’ai un peu tassé le côté performance et je me suis éloigné de l’aspect arts visuels. J’me rends compte que j’aime bien focusser sur la musique », dit-elle.

Elle donnera plusieurs spectacles au Québec et en Europe cet automne, dont à Pop Montréal le 25 septembre, et à Hambourg pour prendre part au festival Reeperbahn dans le cadre des missions On The Road de M pour Montréal, pour ensuite partir en tournée en Europe, entre autres à Bruxelles, Strasbourg, Lyon, Luxembourg et Paris, après quoi elle reviendra au Canada pour des dates à Toronto et au Québec. « C’est tellement DIY, ça me reconnecte à mes bases. »

En espérant que cette reconnexion ne soit pas synonyme, du moins à tous coups, d’effusion de sang.