En dix ans, le festival M pour Montréal est devenu une vitrine incontournable pour les artistes locaux aspirant à une carrière internationale. Mais au-delà de ces 4 jours de novembre, comment faire pour exporter la musique d’ici à l’année? D’où viendront les prochains Arcade Fire, Grimes, Coeur de Pirate ou Half Moon Run? 

Sebastien Nasra

Sébastien Nasra, fondateur de M pour Montréal (Photo : Susan Moss)

Lors d’une récente édition de l’hebdomadaire britannique New Musical Express, le journaliste Luke Morgan Britton proposait une liste de « cinq artistes à l’avant-garde de la scène canadienne en ce moment ».  Sans surprise, son palmarès (qui comprenait Nicole Dollanganger, Charlotte Cardin, She Devils, Jazz Cartier et Dilly Dally) était exclusivement composé d’artistes présents lors de la dixième édition de l’événement M pour Montréal, à laquelle il venait d’assister. Fondé par Sébastien Nasra, d’Avalanche Productions, en collaboration avec le Britannique Martin Elbourne (des festivals Glastonbury et the Great Escape), M sert de vitrine aux artistes de Montréal, mais aussi d’ailleurs au Canada, en conviant des journalistes, tourneurs, programmateurs de festivals, et autres représentants de compagnie de disques du monde entier à une grande kermesse musicale dans la ville la plus cool d’Amérique du Nord.

Au fil des ans, on ne compte plus les contacts qui se sont faits entre les artistes d’ici et le reste du monde lors des 4 jours de M. Outre les succès évidents de Grimes, Mac de Marco ou Half Moon Run, qui ont tous charmé les délégués au cours de la dernière décennie, des dizaines de groupes ont pu signer des ententes officielles ou simplement se faire de bons contacts pour l’avenir. Si bien que M fait maintenant partie de la stratégie de tout groupe local ayant envie de se lancer à l’étranger.

« Je pense que si tu es un artiste qui cherche à percer à l’international, il y a quelques événements incontournables auxquels tu dois assister, explique Sébastien Nasra. Le festival The Great Escape en fait partie, tout comme le South by Southwest à Austin et je pense qu’en toute modestie, on peut ajouter M à la liste. »

« Il est parfois plus rentable de faire venir quelques représentants de compagnies de disques étrangères voir ton band à Montréal, devant une salle comble, que de faire un showcase anonyme dans un gros événement international à 2 heures de l’après-midi » – Sandy Boutin

Kyria Kilakos

Kyria Kilakos, Indica

Kyria Kilakos, directrice générale et directrice artistique du label Indica (Half Moon Run, The Franklin Electric, Caracol), abonde dans le même sens, en ajoutant le Canadian Music Week et le festival Iceland Airwaves à sa liste d’incontournables. « Je trouve génial ce qu’a fait Sébastien avec M depuis 10 ans, mais on ne peut malheureusement pas emmener toute l’industrie mondiale à Montréal en même temps. Il faut évidemment aller vers l’autre et ne pas attendre de se faire offrir une tournée à l’étranger sur un plateau d’argent. »

N’empêche, la situation de Montréal (qui, selon le cliché, serait à mi-chemin entre Paris et New York) est un atout de taille. Mais la situation géographique n’explique pas tout : on peut être excentré et quand même se retrouver au cœur de l’action, comme en témoigne le succès du Festival de Musique émergente en Abitibi-Témiscamingue, qui accueille chaque année une forte délégation internationale.

Pour Sandy Boutin, cofondateur du FME et patron de Simone Records, le côté intime de l’événement permet d’établir ou de renforcer des liens avec l’étranger, mais il ne faut pas négliger les voyages à l’étranger: « Il y a des événements majeurs qui te donnent tout de suite un petit boost. Le fait que tu aies été sélectionné par un festival d’envergure comme les TransMusicales de Rennes ou le Printemps de Bourges te place déjà dans une autre catégorie. Mais honnêtement, si j’avais à choisir comment dépenser mon argent, entre faire de l’exploration sur d’autres territoires ou recevoir des étrangers au FME ou à M, je choisirais la deuxième option. Il est parfois plus rentable de faire venir quelques représentants de compagnies de disques étrangères voir ton band à Montréal, devant une salle comble, que de faire un showcase anonyme dans un gros événement international à 2 heures de l’après-midi. »

Sandy Boutin

Sandy Boutin, FME et Simone Records (Photo: : Maryse Boyce)

Malgré l’importance grandissante des événements de type vitrine, il faut plus que quelques showcases pour lancer une carrière internationale. L’aide gouvernementale, par le biais de subventions au développement et à l’exportation, est une composante essentielle de l’équation. C’est pourquoi Sébastien Nasra a voulu organiser, lors de la dernière édition de M, un petit groupe de réflexion baptisé « Francos à Bord », qui réunissait des délégués de la Francophonie et des représentants des divers organismes subventionnaires.

Leurs conclusions? Sans prôner la création d’un bureau export canadien ou québécois (comme on en trouve partout dans le monde), les participants s’entendaient tous pour dire qu’une meilleure mise en commun des ressources était souhaitable. Une plus grande réciprocité entre les pays de la Francophonie a aussi été évoquée et tout le monde s’entendait pour dire qu’il fallait cibler les actions afin d’éviter d’envoyer un artiste faire un seul concert à l’étranger sans tournée à la clé.

Kyria et Sandy admettent tous deux que les programmes actuels, qu’il s’agisse de subventions de la SODEC ou de Musicaction remplissent bien leur rôle. « Les programmes en place sont amplement suffisants, affirme Kyria, j’irais même jusqu’à dire qu’on est chanceux par rapport à d’autres pays. Si j’avais une suggestion à faire aux organismes, c’est d’investir aussi dans la promotion. C’est bien beau d’envoyer des artistes à l’étranger, mais une fois là-bas, il faut s’assurer qu’ils sont vus! »

SOCAN Dinner

Souper des délégués de M pour Montréal, présenté par la SOCAN, le 18 novembre 2015.

Et peu importe d’où l’on vient, il est évidemment difficile de se lancer sur un nouveau marché. « Louis-Jean Cormier, dont on va lancer le deuxième album en France au printemps, en est un bon exemple, explique Sandy Boutin. Ce n’est pas parce qu’il est l’un des chanteurs les plus populaires au Québec et qu’il a connu un beau succès d’estime avec Karkwa qu’il est assuré d’un succès en Europe. Chaque fois, il faut tout recommencer avec modestie et assiduité et surtout connaître les subtilités du marché où on veut percer, d’où l’importance d’avoir de bons contacts sur place. »

Même son de cloche chez Indica, où, même si on est devenus experts en demande de subventions, on n’est pas du genre à attendre sagement l’aide gouvernementale. Fidèle à l’éthique punk do it yourself qui l’anime depuis ses débuts, le label a toujours misé sur le live. « Lorsqu’on signe avec un artiste, on lui fait comprendre très clairement que travailler avec nous, ça veut dire faire de la route. Il faut être prêt à se battre pour aller chercher les fans un par un et ça veut dire pas mal de temps passé loin de la maison. »

Et pour faire tout cela, il faut un réseau solide de partenaires. Qu’on les ait rencontrés au FME, à M ou lors de South by Southwest, les agents locaux représentent la clé de voûte de toute conquête internationale. « Chaque marché a ses défis particuliers, rappelle Kyria, qui a ouvert un bureau d’Indica en Australie. Certains genres fonctionnent mieux sur un territoire qu’un autre et les gens de la place sont beaucoup mieux placés que toi pour le savoir! »

Ce qui nous ramène à l’importance des vitrines et autres festivals. Car on aura beau dire ce qu’on veut sur notre époque d’hyperconnectivité virtuelle, rien ne vaut une rencontre en face à face. « Malgré tout ce qu’on peut croire, l’industrie de la musique est encore un « people business » » rappelle  Kyria Kilakos. On développe des relations d’affaires sur des années et nos alliés finissent par devenir amis. C’est comme ça qu’on ouvre des portes: avec des bonnes tounes et de bons contacts. »