Il y a chez Zachary Richard une certaine aisance dans la création. La preuve? En octobre 2011, l’auteur-compositeur-interprète signait Le fou, son vingtième album en carrière. Un fait qui ne semble pas pour autant surprendre le principal concerné. « Dix, trente ou vingt mille disques, ce n’est pas important pour moi. Ce qui compte, c’est les émotions véhiculées. » On sent l’homme toujours aussi inspiré, à l’affût des mots et des sons. Lors de l’entrevue, Zachary Richard confiait se trouver dans une sorte de frénésie d’écriture. « J’ai composé deux chansons en deux jours. Je me réveille la nuit pour écrire des mélodies qui me viennent en rêve. Heureusement, j’ai assez de discipline pour me réveiller et les écrire. »

Au cœur de cette confession toute simple se trouvent les bases du processus créatif de ce natif de la Louisiane, une recette qui comprend un savant mélange d’inspiration pure et de travail organisé. Loin de lui cette image de l’artiste qui s’acharne à sa table de travail comme on se rend à heure fixe au bureau. La manière Richard se trouve à l’opposé. Elle préconise l’attente, une ouverture à soi et à tout ce qui nous entoure. « L’image que j’emploie pour expliquer ma façon de travailler, c’est celle d’un chasseur de phoque sur une banquise auprès d’un trou, avec un harpon à la main, et qui attend sa proie. Il faut aussi se rendre à cet endroit sur la banquise. C’est une chose d’être à l’affût, mais il faut aussi se présenter. Et une façon de se présenter comme artiste, c’est d’avoir les antennes sorties, d’observer et de sentir. »

 « J’ai composé deux chansons en deux jours. Je me réveille la nuit pour écrire des mélodies qui me viennent en rêve. Heureusement, j’ai assez de discipline pour me réveiller et les écrire. »

Les premières ébauches du disque Le fou se sont faites à Montréal, à son petit studio situé à quelques étages plus bas que le condo qu’il partage avec son amoureuse de toujours, Claude Thomas. Depuis Cap enragé, Zachary Richard travaille de la même façon. Il commence simplement avec sa guitare et une information rythmique donnée, de préférence, par un humain – et non une machine. La raison est simple. Le musicien prône la spontanéité et le naturel pour arriver à cerner les formes d’une chanson. Pour ce faire, il fait appel à Nick Petrovski, précieux compagnon de route. Et, tranquillement, de nouveaux musiciens du Québec et de la Louisiane se joignent à l’aventure, des amis de longue date auxquels Zachary Richard demeure fidèle, comme s’ils apportaient un sentiment d’ancrage à celui qui est acadien et américain, partagé entre le Québec et la Louisiane. Au sein de cette garde rapprochée se trouvent le batteur Justin Allard, le bassiste Sylvain Quesnel, les guitaristes Éric Sauviat et Nicolas Fiszman, et le pianiste David Torkanowsky. Pourtant, lorsque Zachary Richard ressent une zone de confort musical, il met un terme aux séances d’enregistrement et reprend le large. Car s’il aime les gens, l’homme est avant tout un solitaire, qui préfère communiquer à travers ses chansons.

Le fou marque un retour à ses racines, à la Louisiane qui parfume les paroles comme les mélodies. Car Zachary Richard est de ceux qui prônent l’engagement dans la vie comme dans ses chansons. Né américain, il choisit dans les années 70, grâce à la découverte de l’accordéon diatonique, d’embrasser ses racines, la diversité de son identité. Depuis, son amour pour la culture cajun et pour le français, cette langue parlée par les grands-parents, n’a fait que grandir et grandir. En 1998, année où le chanteur devient propriétaire d’un pied-à-terre à Montréal, il délaisse l’anglais pour le français dans son journal de bord. Car pour Zachary Richard, le pari est clair. Il s’agit de réconcilier l’exotisme du parlé louisianais tout en usant d’un français plus que parfait, régionaliste, toujours en visant une certaine universalité. « Parler français en Amérique du Nord est un geste de résistance, d’entêtement. Des fois, je me demande ce que je suis en train de faire, car j’aurais très bien pu avoir une carrière anglophone… Mais pour moi, le français est une grande richesse. Ça me réconforte de nager à contre-courant et de résister aux forces de l’assimilation pour maintenir un monde plus diversifié. »

Malgré ce parti pris, engagement ne rime jamais avec revendication ou propagande. Zachary Richard préfère le chemin du cœur, un retour à la base, à cette émotion première qui génère une envie d’écrire une chanson. La pièce « Le fou » en témoigne. « Je ne mets jamais une chanson au service d’une cause. Quand je chante les fous de Bassan, c’est évidemment une chanson à tendance écologique dont je suis fier. Mais avant toute chose, l’inspiration ne vient pas d’un désir d’écrire une chanson pour sauver la planète. J’étais complètement bouleversé de voir un magnifique oiseau souillé de la manière la plus ignoble, incapable de voler avec ses ailes couvertes de pétrole. C’est cette émotion qui prime et non la cause, qui est rattachée à la tête. Car ce qui compte toujours pour moi, c’est le cœur. »