Pianiste aguerri, fin mélodiste et compositeur ouvert à la rencontre, Yves Léveillé fait paraître Essences des bois, un album sur lequel, comme le suggère le titre, les instruments à bois sont à l’honneur. Ce septième gravé est une œuvre dans laquelle l’auditeur a de l’espace pour respirer, où il aura envie d’aller se perdre au détour d’un contrepoint puis de revenir tout à coup en suivant une ligne mélodique claire. Et ainsi on se promène dans les bois parmi les saxophones, flûtes, hautbois, cors anglais et clarinettes, bien appuyés par une section rythmique assumée par la batterie, la contrebasse et le piano.

Coureur des bois

Pour Yves Léveillé, choisir de travailler avec une famille d’instruments, c’est un peu comme le peintre qui adopte une palette de couleurs. « Je voulais donner à cet album une couleur particulière. En contournant l’utilisation habituelle des cuivres qui prédominent en jazz, j’arrive à une coloration plus feutrée, pastel. C’est peut-être ce qui donne à l’auditeur le sentiment de pouvoir respirer à travers l’album et cette impression d’espace. »

Celui qui a eu l’honneur d’inaugurer le nouvel orgue Casavant à la salle Raoul-Jobin du Palais Montcalm à Québec il y a quelques mois est bien conscient de l’interaction qui le lie à l’auditeur. Il ne l’oublie pas quand vient le temps de donner un titre à ses pièces. « En concert, j’ai remarqué que le titre prédispose l’auditeur, le plonge dans un certain état d’écoute. Le titre permet d’impliquer l’auditeur en le rendant responsable de son interprétation. La pièce “Perceptible” par exemple, la première sur Essences des bois, invite à s’ouvrir à ce qui vient, à se préparer au voyage et c’est pour ça qu’elle est placée au début. »

La question des thèmes et sources d’inspiration se pose-t-elle de la même façon pour le compositeur jazz que pour le parolier de folk ou de chanson? « Il va lui aussi puiser dans son ressenti. Ce qui évolue au fil du temps, c’est le niveau de raffinement du jeu pianistique : la précision s’accroît quand vient le temps de rendre certaines idées ou émotions. Laisser de côté le verbiage pour aller à l’essentiel… Je vous dis pas tous les détours que j’ai dû prendre pour y arriver! »

L’écriture jazz d’Yves Leveillé est doublée d’une quête de vérité : « Quand j’écoute de la musique, peu importe le genre, qu’elle soit contemporaine, recherchée ou très flyée, il faut qu’elle me touche, que je sente qu’il se passe quelque chose au niveau du plexus solaire. Je compose aussi dans cet état. Ensuite, quand vient le temps de polir et de peaufiner, là c’est le temps de sortir le coffre à outil. »

Se lier aux autres

Au fil de sa carrière et des enregistrements qui jalonnent son parcours, Yves Léveillé a évolué au gré des rencontres. « À un moment, j’ai fait un projet avec le pianiste new-yorkais Eri Yamamoto, et puis j’ai eu envie d’inviter Paul McCandless, grand multi-instrumentiste, éminent musicien également membre du groupe Oregon, à se joindre à nous. Nous avons donc formé un trio et ça m’a encore rapproché du raffinement des bois. »

La rencontre avec Eri Yamamoto a porté fruit. En plus de l’album Pianos (2010), il y a un nouveau projet dans l’air. « Lors d’un séjour dans la Grosse pomme, nous avons commencé à explorer l’idée de créer, avec Ikuo Takeuchi, une série de compositions inspirées par l’esthétique musicale traditionnelle japonaise. Nous abordons le folklore nippon avec une approche contemporaine d’improvisation, un souffle moderne pour voir où ça peut mener. C’est un projet qui va occuper une partie de mon année 2014, de même que le spectacle En trois couleurs, avec la percussionniste Marie-Josée Simard et le pianiste François Bourassa. »

Le trio, qui a remporté le prix Opus pour le concert Jazz de l’année au dernier gala du Conseil québécois de la musique, a présenté le 20 mars dernier à L’Astral le spectacle d’ouverture de la série Jazz en rafale. « J’ai plusieurs projets qui roulent simultanément : l’album Essences des bois en septuor, ce spectacle avec Marie-Josée et François, la collaboration avec mes collègues japonais de New York, mon quartet régulier… »

Yves Léveillé n’est pas de ceux qui se plaignent que le jazz, roi de l’été montréalais, est absent le reste de l’année. « Il faut toujours garder le cap, c’est un travail continu qui consiste à approcher les diffuseurs, à créer des événements, etc., dit le fondateur et directeur artistique des Productions Yves Léveillé, un organisme voué depuis 2002 à la production et à la présentation de concerts de jazz contemporain. Ce n’est pas toujours facile, mais les possibilités sont nombreuses si l’on est proactif… Et moi, je le suis pas mal! »



Comme un lapin sorti du chapeau, MAGIC! a surgi de nulle part, une mystérieuse formation dont le premier titre, « Rude », s’est classé en première position et dont les ventes atteignent deux fois le platine au Canada. La chanson joue partout au pays : à la radio, dans les magasins, les restaurants, les bars, et ainsi de suite.  MAGIC! est en fait un groupe d’auteurs-compositeurs canadiens établi à Los Angeles.

Le chanteur Nasri Atweh est une moitié du duo d’auteurs- producteurs The Messengers (avec Adam Messinger), qui a écrit pour Chris Brown, Justin Bieber, Christina Aguilera et, plus récemment, Shakira. Son album actuel comprend « Cut Me Deep », une chanson coécrite par MAGIC! et dans laquelle figure le groupe.

Quant à Messinger, il a coproduit le premier album du groupe et coécrit des chansons aux côtés de Nasri Atweh, du guitariste Mark Pelli, du batteur Alex Tanas et du bassiste Ben Spivak.

« Chaque chanson est différente, » dit l’auteur-compositeur principal Atweh. « Parfois, j’écris avec Mark, parfois seul, parfois avec Adam, mais c’est toujours l’un de nous cinq. » 

« Je savais que les gens aimeraient “Rude”, mais j’ignorais qu’elle changerait nos vies à ce point. » – Nasri Atweh de MAGIC!

Atweh a déménagé à Los Angeles avec Messinger en 2007 pour écrire et produire des chansons de façon professionnelle. Le duo a accueilli d’autres confrères torontois venus pour les mêmes raisons et Atweh a même laissé Pelli habiter dans son appartement, où ils se sont aussitôt mis à écrire ensemble. « Il jouait cet air de reggae un jour, dit Atweh, et j’ai dit mec, j’ai toujours eu envie de créer un groupe qui serait comme la version modernisée de The Police. Je me suis dit, on peut le faire Et c’est ainsi que tout a débuté. »

Ce premier air est devenu « Stupid Me », qui figure sur l’album. Puis, « Mama Didn’t Raise No Fool », une autre chanson qui s’inspire de The Police, a vu le jour. Et désormais, le groupe n’est plus une idée mais bien réel. MAGIC! a signé chez Latium Entertainment/Sony International et a fait fureur au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande, tout cela dans le sillage de « Rude ».

« L’album de MAGIC! est une introduction à notre son, mais aussi à la façon dont j’ai mené ma vie amoureuse et à ma conception du monde, » dit Atweh en parlant de la différence entre les chansons de MAGIC! et celles qu’il écrit pour les autres. Musicalement, 70 pour cent est reggae, les 30 pour cent restants étant du rock soul, « mais avec une touche de reggae ».

Atweh dit que « Rude » était à l’origine la chanson la plus sombre au sujet d’une ex-petite amie, avant de devenir un coup de griffe à un hypothétique futur beau-père. « Little Girl » et « Paradise » sont « étranges » selon lui, alors que « How Do You Want To Be Remembered? » et « Let Your Hair Down » dénotent une influence plus nette de Bob Marley & The Wailers.

Décrocher la première position avec un premier titre a été complètement fou. « Aujourd’hui, en tant qu’auteur-compositeur professionnel, je connais la valeur d’une chanson, dit-il. Je sais qu’elle est super accrocheuse, mais je ne m’attendais pas [à rejoindre] tant de groupes d’âges différents… Je savais que les gens l’aimeraient, mais j’ignorais qu’elle nous apporterait tant d’argent ou qu’elle changerait nos vies à ce point. »

FAITS SAILLANTS
Discographie :
Titre/date de l’album à confirmer
Éditeur :  Sony/ATV  Music Publishing Canada
Site Web :
www.ournameismagic.com
Membre de la SOCAN depuis 2011(Tanas), 2004 (Spivak), 2001 (Atweh), 1998 (Messinger, Pelli)

Parcours

  • Au moment d’aller sous presse, la vidéo de « Rude » avait atteint 8 millions de visionnements sur YouTube
  • « Rude » s’est classée n° 2 en Australie et s’est vendue à 200 000 exemplaires
  • MAGIC! a écrit une chanson pour la coupe mondiale de la FIFA 2014 intitulée « This is Our Time (Agora e’ a nossa hora) »


Serge Fiori est détendu, souriant. Campé dans un fauteuil dans sa résidence de Longueuil, l’homme se livre et revisite l’ère d’Harmonium, celle de Fiori-Séguin et de son premier album solo, paru en 1986, en passant par la création du désormais célèbre thème de Juste pour rire et sa contribution à l’album de Nanette Workman, Changement d’adresse. Mais on revient toujours à son nouvel album homonyme. Il en est fier. Ça se lit dans ses yeux. Ça s’entend dans sa voix.

« Ça ne m’intéressait pas de faire un autre album. Je faisais de la musique de films. J’étais investi là-dedans. J’adorais ça et je pensais que c’est ce que je ferais pour le reste de ma vie. Après avoir travaillé sur le film de Luc Picard (Babine), je sentais que je venais de finir une étape. J’ai discuté avec Normand Corbeil et j’étais supposé développer un projet avec lui, mais il est parti avant qu’on puisse se mettre au travail. Son départ m’a sonné un peu, je dois l’avouer, » raconte Fiori, la voix vibrante.

C’est son producteur Pierre Lachance qui lui recommande le réalisateur Marc Pérusse (Luc De Larochellière, Daniel Boucher). Dès le premier contact, le courant passe entre les deux hommes. « Ce disque, c’est vraiment le résultat de notre rencontre. Une moitié Marc et l’autre moitié moi. Ce sont nos sons qui se marient. Et ce n’est pas fini. On veut continuer à faire de la musique ensemble, » avance le grand fan de Joni Mitchell et de Steely Dan.

Sur ce premier opus en 28 ans, le blues est bien présent (« Démanché », « Zéro à dix »), la voix intacte et l’émotion à fleur de peau. Sans oublier la fameuse guitare à 12 cordes de l’homme. Appuyé par la réalisation aérée, toute en finesse, et les riches arrangements de cordes et de cuivres du tandem Fiori/Pérusse, l’album recèle des mélodies accrocheuses au possible (« Seule ») et de clins d’œil à Harmonium (envolées à L’Heptade de « Si bien » et son épilogue ainsi que la présence de Monique Fauteux sur « Jamais »). Si Fiori a toujours eu de la difficulté à réécouter ses vieux albums, cette fois-ci il se repasse les 11 nouveaux titres avec bonheur. Encore et encore. « C’est la première fois que ça m’arrive. C’est étrange, j’ai l’impression que ce n’est pas moi qui a fait ce disque. On dirait qu’il s’est fait tout seul et que je n’étais pas là. Il me réconforte et me prend dans ses bras. Ce n’est pas une question d’ego. Je n’ai rien à défendre ou à prouver. Je l’écoute simplement avec grand plaisir et je trippe! Cet album, il est bien vivant. » 

« Je n’ai aucun contrôle sur mon canal créatif. Et c’est frustrant. Lorsque ça sort, c’est une bourrée. Et le reste du temps, je me prépare. Et j’attends. »

Et moderne sur le plan thématique. Une chanson telle que « Le monde est virtuel » n’aurait pas pu voir le jour à l’époque d’Harmonium. « Depuis quatre ans, sur Facebook, je fais un effort pour créer des phrases rassembleuses. Y’a du monde en détresse qui m’a écrit. De grandes solitudes. La toune vient de là, » soutient-il.

Composée en dix jours à peine (« une chanson par jour »), la galette se veut le résultat d’une période de création particulièrement foisonnante. Fiori explique : « Le canal s’ouvre et ça part. Ça dure le temps que ça dure et j’écris tout d’un coup, paroles et musique. Je ne comprends pas encore comment ça fonctionne. Je suis toujours sous le choc lorsque ça m’arrive. Je ne peux pas écrire des tounes comme un artisan. C’est une énergie que je ressens. Je n’ai pas le choix de faire comme ça. Il faut aussi que la démarche soit honnête. Je ne peux pas me censurer et viser un public. Je n’ai aucun contrôle sur mon canal créatif. Et c’est frustrant. Lorsque ça sort, c’est une bourrée. Et le reste du temps, je me prépare. Et j’attends. »

À quoi se résume son regard sur l’industrie musicale actuelle? « Il y a tellement de talent, mais pas de gens pour consommer. Je viens d’une époque où c’était direct. On créait notre propre industrie, on allait à contre-courant de ce qui se faisait. La différence est que le monde était là pour nous suivre. Aujourd’hui, t’as beau faire n’importe quoi, les gens ne sont pas intéressés. C’est devenu un marché de singles. De plus, la nouvelle génération a tendance à négliger les racines de notre musique. À l’époque, j’achetais un disque, je m’assoyais, j’ouvrais une bouteille de vin, je me mettais la tête entre les speakers et c’était un grand moment. On ne fait plus ça aujourd’hui. »

Lorsqu’on l’interroge à propos de ses projets, l’homme esquisse un sourire et soutient que, pour le moment, il a surtout besoin de repos. « Au bout de cette démarche, j’ai crashé. J’ai tout donné sans le savoir. Cet album m’a pris par surprise et je ne sais pas trop où je m’en vais maintenant. Je prends ça un jour à la fois. Tout ce que je sais, c’est que j’aimerais aller voir ailleurs : une collaboration à un spectacle visuel, un show 3D, le Cirque du Soleil… J’ai pas mal fait le tour avec la musique de films et je ne pense plus en refaire. Je suis prêt à relever de nouveaux défis. Si ça fonctionne tant mieux, sinon ce disque sera ma signature, mon épilogue. »

Ceux qui rêvent de voir une prestation live de Fiori seront heureux d’apprendre que l’homme souhaite éventuellement faire paraître un DVD des chansons de l’album dans un cadre intime. Il mijote soigneusement le projet dans sa tête. « Je suis en train de développer le tout. J’y pense beaucoup. J’aimerais qu’il y ait plein de moods particuliers. Ça me tente tellement de chanter les tounes à nouveau. Ça me manque. Et je veux qu’il y ait un bon band. Parce que je veux qu’on se paye une traite! » Parions que le public aussi se paiera une traite.