Il s’appelle Prince. Il n’est pas funky.

Loin de là. C’est à travers sa voix grave de baryton que l’auteur-compositeur William Prince partage avec ses auditeurs ses réflexions sur la vie quotidienne et les personnages qu’il dépeint. Artiste funk ou non, il a récemment partagé la vedette d’une campagne publicitaire de Mastercard avec l’artiste R&B SZA dans un message qui a été diffusé lors du gala télévisé des Grammy Awards 2018 et durant le Super Bowl. Cette publicité a énormément contribué à faire connaître l’artiste originaire de Winnipeg, qui savourait encore les éloges dithyrambiques qu’il avait reçus de Bruce Cockburn après avoir interprété sa chanson « Stolen Land » au gala du Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens à Massey Hall, à Toronto, en septembre dernier. (L’ancien Winnipégois Neil Young avait lui aussi eu des bons mots pour William Prince.)

À prime abord, une telle complicité avec SZA et Bruce Cockburn peut paraître étonnante, mais il faut avouer que Prince côtoie déjà d’étranges compagnons sur sa toute nouvelle étiquette de disque, Glassnote Records, où enregistrent également Mumford and Sons, Childish Gambino et Phoenix. Sur cette étiquette, William Prince n’est qu’un artiste inclassable de plus sur une longue liste d’artistes canadiens où figurent également Half Moon Run, The Strumbellas et Justin Nozuka.

Comment cet humble chanteur country de 32 ans qui a mis 10 ans à créer son premier album a-t-il pu se hisser à un tel niveau?

William Prince naît à Selkirk, au Manitoba, et, encore enfant, déménage avec sa famille dans la Première nation de Peguis, à deux heures de route plus au nord. Il y entend son père prêcher et chanter à l’église et se met bientôt à l’accompagner à la guitare électrique. Après avoir joué dans une succession de groupes rock et grunge avec des copains du secondaire, il tombe sous le charme de la simplicité et de la mobilité de la guitare acoustique.

« Je faisais des efforts pour chanter », admet le baryton. « Je me sentais obligé de chanter dans le registre aigu, mais j’étais nul. J’ai eu une période screamo, mais je n’étais pas assez cool pour être convainquant. Mais ça m’amusait, juste le fait de découvrir ce qui t’interpelle en musique – apprendre des passages de guitare brillants de Metallica et appliquer ça ensuite à la guitare acoustique. Ma guitare a été ma vie pendant une couple d’années, mais j’étais un meilleur musicien à 17 ans qu’aujourd’hui. »

Ses premiers efforts pour enregistrer un album n’ont rien donné pour une foule de raisons. Rétrospectivement, Prince assume. « Ça ne veut pas dire que je viens juste de commencer à faire de bonnes chansons », explique-t-il maintenant que son premier opus, Earthly Days, lancé en 2015, fait l’objet d’un remaniement avant d’être relancé sur une beaucoup plus grande échelle qu’à l’époque de ses modestes débuts. « Qui s’intéresse à ce que j’avais à dire à 20 ans ? Je ne tenais pas à passer par trois ou quatre albums avant d’en arriver à un point où je pourrais me montrer sous mon meilleur jour. On a seulement une chance de faire une première impression. »

C’est chose faite. Earthly Days est un album austère, dépouillé, riche en détails narratifs. L’accent porte principalement sur les récits de Prince, parmi lesquels on retrouve des portraits de personnages comme « The Carny » et  « Bodyguard & the Beer Girl » ainsi qu’une chanson qu’il a écrite au sujet de son père, « Eddy Boy ». C’est un album confiant et assuré. Prince accorde au producteur Scott Nolan le mérite d’avoir aidé l’auteur-compositeur à garder le rythme lent et la voix basse.  for.

« J’ai travaillé si fort juste pour devenir auteur-compositeur que, si je me lançais tête première dans la dénonciation, je risquerais de m’enfermer dans une zone dont je pourrais difficilement sortir. »

« On crée une impression, on saisit une atmosphère », explique Prince. « Il m’a donné la confiance d’utiliser ma voix pour meubler le registre grave lorsque je n’ai ni bassiste ni grosse caisse. Laisser les paroles attirer les auditeurs et retenir leur attention. Je possédais tous ces atouts que ne voyais pas parce que j’essayais de faire comme tout le monde – on veut tous entrer dans le moule quand on n’est pas sûr de soi. Donc on a fait ces chansons-là en fonction de mon confort personnel et des encouragements de Scott, et ça a marché. »

À coup sûr, maintenant qu’il doit continuer de faire la promotion d’un album qui a déjà trois ans –  avec le réenregistrement de la chanson « Breathless », réalisé à Nashville avec Dave Cobb – il doit en avoir ras le bol de ces chansons-là, non? « Non, justement parce l’intention était d’écrire des chansons dont je ne me lasserais jamais », rétorque-t-il. « Je veux arriver à l’âge de Leonard Cohen et continuer de reprendre des choses qui sont sur cet album. Aujourd’hui, le public connaît ces chansons, il en reconnaît les premiers accords et se met à jubiler – c’est le genre de chose dont rêvent les auteurs-compositeurs. »

En attendant, Prince écrit sans arrêt et se sent plus que prêt à entamer la préparation de son deuxième album, ce qui l’occupera en avril 2018. Il laisse également la porte ouverte à la création de futurs classiques à la dernière minute : après tout, « The Carny » et « Earthly Days » ont vu le jour juste avant son entrée en studio en 2015. Et puisque son contrat chez Glassnote comprend l’édition, il est impatient d’amener d’autres chanteurs à reprendre ses chansons.

« Pendant des années, je me contentais d’écrire des chansons country et d’espérer pouvoir les refiler à quelqu’un », se souvient l’ancien animateur d’une émission matinale réalisée à Winnipeg. « Ça ne me dérange pas de parler de ciels magnifiques et de dire des mots d’amour. Il n’y a aucune raison de condamner ces choses-là dans l’univers du country familial. Il y a des choses là-dedans qui ne sont pas pour moi, mais de temps à autre j’entends une chanson qui fait mon affaire. »

En septembre 2017, Prince et la chanteuse inuk Elisapie Isaac ont interprété « Stolen Land » de Bruce Cockburn en sa présence lors de la cérémonie d’intronisation du Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens à Massey Hall. Il ne s’agit toutefois pas d’une chanson qui s’inscrit dans le répertoire habituel de Prince : Earthly Days est presqu’entièrement dépourvu de sentiments politiques. Cela pourrait changer,  reconnaît le descendant de Tommy Prince, héro ojibwé de la Deuxième Guerre mondiale, mais ce n’est pas pour demain – quoiqu’il admette être aussi ébranlé que tout le monde par les récents verdicts de non-culpabilité pour les meurtres de Colten Boushie et de Tina Fontaine.

« Il a des gens qui me disent carrément : “Tu devrais écrire une chanson sur les pensionnats indiens” ou “Tu devrais écrire une chanson sur l’injustice sociale, parce que tu es l’un de nous” »,  raconte Prince,  dont l’album n’a pas décroché le JUNO de l’Album de musique autochtone de l’année en 2017, mais a plutôt été primé dans la catégorie Album de musique roots contemporaine. « Je comprends ça. Ces gens-là font face à une énorme perte actuellement. Mais il est encore trop tôt pour que je le fasse. C’est une chanson que j’écrirai dans dix ans pour nous aider à nous souvenir. À l’heure actuelle, il y a des gens que ça obsède.

« J’ai fait des efforts juste pour intéresser les gens à m’écouter », explique Prince. « Quand j’aurai conquis ce public, je pourrai lui dire “Bon, il faut qu’on se parle.” Ce sera le moment d’entamer le sujet, et ça produira beaucoup de bonnes choses parce que ce sera un message d’amour – et non pas de mépris, de colère ou de déception – même s’il y a des jours où je ressens ces émotions. Ce n’est pas que j’évite de voir l’éléphant dans la pièce. Je patiente, tout simplement. J’ai travaillé si fort juste pour devenir auteur-compositeur que, si je me lançais tête première dans la dénonciation, je risquerais de m’enfermer dans une zone dont je pourrais difficilement sortir. »

Cockburn, lui aussi, est quelqu’un qui a adopté progressivement son rôle politique avant de passer le reste de sa carrière à écrire des paroles qui oscillaient entre des thèmes généraux et des sujets très pointus. « Oh, c’est sûr, et c’est une chose que j’aime chez lui », admet William Prince. « Je songe au nombre d’albums qu’il a faits – quelque chose comme 27, non ? Et nous parlons de moi : “Oh, c’est ton deuxième album? Que c’est mignon.” J’espère avoir un catalogue de 20 albums derrière moi avant de commencer à ralentir. »