Urvah Khan veut lever une armée. L’auteure-compositrice-interprète torontoise d’origine pakistanaise a baptisé son mélange particulier de rock, rap et musique du monde du « scrap » et elle entend bien transmettre sa musique et son message d’indépendance à « toutes les filles à la peau brune à travers le monde qui ont envie de faire du rock. »

Néa à Karachi et élevée à Dubai, elle est arrivée au Canada avec ses parents à l’âge de 12 ans. Aujourd’hui âgée de 31 ans, elle est récemment retournée dans son pays natal pour y donner ce que la presse locale a qualifié de premiers concerts par une artiste punk. (Elle avait assemblé un groupe de musiciens locaux via une vidéo sur Facebook où elle disait chercher « des guerriers rock sur la même longueur d’onde », groupe qu’elle a depuis baptisé la Scrap Army.) Avec son mohawk délavé, ses tatouages et ses « piercings », elle cause toujours une commotion bien avant de mettre les pieds sur scène.

« J’étais dans un rickshaw et prise dans le trafic », se souvient-elle. « Lorsque je me suis étiré le cou pour voir ce qui se passait, j’ai réalisé qu’on était arrêté parce que les gens bloquaient la circulation pour me prendre en photo. Après mes spectacles, je n’arrivais même pas à me rendre dans ma loge tellement il y avait de gens qui voulaient prendre un “selfie” avec moi. »

Mais il n’y pas que son look d’enfer qui attire l’attention ; toute sa personnalité y contribue. Khan est une personne hautement énergique. Elle parle rapidement et avec la confiance d’une personne qui est sa propre gérante, agente et publiciste. En 2010, elle a convaincu le guitariste et réalisateur Ruben Huizenga (Glueleg, Edwin, David Usher), qu’elle avait rencontré lors d’un spectacle, de l’aider à faire la transition de rap au rock.

« J’écrivais des paroles rap, mais j’expérimentais toujours avec ma propre sonorité », explique-t-elle. « J’ai fait la connaissance de Ruben et je lui ai dit “je veux faire une chanson rock.” Il m’a dit “tu ne peux pas juste faire une chanson rock. Tu dois étudier le rock et comprendre ce qu’il signifie.” »

« Je me suis dit “Je n’ai jamais entendu parler d’une Pakistanaise qui fait du rock”, et j’avais vraiment envie d’être cette femme-là. »


« Je l’ai invité à venir me voir en spectacle », poursuit-elle « Il était impressionné par mon énergie et m’a offert la chance d’écrire une chanson rock avec lui. Mais la première chanson qu’on a faite ensemble était super Western. J’avais de la difficulté à m’y identifier. C’est là qu’on a décidé de nous servir du rock comme base, mais d’y incorporer des instruments du monde. Une sorte de rock qui plairait à d’autres jeunes d’Asie du Sud-est. »

Le premier enregistrement de Khan, un EP intitulé Universal Rhythm Venture est paru en 2011 et témoignait d’une jeune artiste qui clamait « I am me, I’ll always be! » (Je suis moi et je le serai toujours) en même temps qu’elle était toujours au stade de l’expérimentation pour trouver sa propre voix. Lorsque son premier album, The Wrath of Urvah Khan, est paru en 2013, elle avait suivi les conseils de Huizenga et était devenue une étudiante de… Black Sabbath. Au beau milieu de ses créations rap rock, punk, bhangra et calypso sur les thèmes de l’émancipation et de l’indépendance, on retrouvait une reprise d’une des pièces du groupe metal, « N.I.B. »

« Lorsque j’ai entendu Black Sabbath, j’ai été vraiment impressionnée », confie la jeune artiste. « Les riffs de Tony Iommi, la voix d’Ozzy – y’en a pas deux comme ça, n’est-ce pas ? Mon héritage musical c’est beaucoup de chansons Bollywood, la musique indienne. Je trouve que Black Sabbath a un côté très cinématographique. J’en suis tombée follement amoureuse. Je me suis dit “Je n’ai jamais entendu parler d’une Pakistanaise qui fait du rock”, et j’avais vraiment envie d’être cette femme-là. Je ne veux pas être la deuxième dans quoi que ce soit. Je veux être la première de quelque chose. »

Lorsqu’on lui demande si par « deuxième », elle fait référence à M.I.A. Les comparaisons avec la superstar britanno-Tamile peuvent sembler faciles en apparence, mais cela est davantage dû au manque d’exposition et de références aux femmes dans le domaine de la musique d’Asie du Sud-est qu’à d’actuelle similarités entre les deux artistes.

« Lorsque j’ai commencé à rapper et donner des spectacles, je travaillais avec des producteurs de musique électronique, et les comparaisons à M.I.A. ont commencé », avoue-t-elle. « Ne vous méprenez pas. Elle m’inspire beaucoup. Mais il n’était pas question pour moi d’être la prochaine M.I.A… Je voulais proposer quelque chose d’original, quelque chose qui représente mon propre parcours. »

Et c’est ainsi qu’est né son désir ardent de créer sa Scrap Army. Inspirée par ses spectacles au Pakistan, Khan vient d’entreprendre la création du EP qui succèdera à Rock Khan Roll, paru en 2015. Ce disque s’adressera directement à son nouvel auditoire pakistanais avec du matériel en anglais et en urdu. Elle collabore de nouveau avec Huizenga pour la création et la réalisation (il est également guitariste dans son groupe de scène), et elle a également travaillé avec l’auteur-compositeur pakistanais de renom Sohail Rama, qui est maintenant établi à Mississauga. Lorsque la création sera terminée, elle retournera au Pakistan où elle entend non seulement donner d’autres spectacles, mais également mettre sur pied une série de concerts visant à encourager les groupes punk et rock avec des leaders féminines.