DERNIÈRE HEURE ! Quelques heures à peine après la publication de cet article le 30 avril, nous apprenions que JP Saxe et Julia Michaels venaient tout juste de lancer une vidéo pour « If The World Was Ending » pour venir en aide à Médecins Sans Frontières dans le cadre de sa réponse à la COVID-19. La vidéo met en vedette Alessia Cara, H.E.R., Keith Urban, Kesha, Niall Horan, Sam Smith, Anthony Ramos, FINNEAS et plusieurs autres.

L’auteur-compositeur-interprète torontois et son amoureuse Julia Michaels ont co-écrit « If the World Was Ending » le 20 juillet 2019, jour de leur rencontre. La pandémie de la COVID-19 donne à leur histoire une dimension particulière.

Le vidéoclip de 2019 – visionné à plus de 74 millions de reprises sur YouTube – débute sur les mots : « Nous interrompons votre programmation. Ceci est une urgence nationale. » Le couple vient tout juste de lancer, le 15 avril 2020, un nouveau vidéoclip de la chanson qui a été filmé chez Julia, où les deux artistes se sont auto-isolés.

« Ça été une des expériences les plus magiques de ma vie », affirme Saxe en parlant de la co-écriture  de ce succès avec l’artiste-interprète et vedette multi-platine Julia Michaels (Keith Urban, Justin Bieber, Gwen Stefani), qui l’avait contacté à L.A., où il habite, après avoir entendu sa chanson « 25 in Barcelona ».

« C’était deux semaines après le tremblement de terre de Los Angeles », se souvient-il. « Nous nous racontions où nous étions à ce moment-là, ce que nous faisions et ce que nous pensions, et la conversation est tout naturellement devenue une chanson. Nous l’avons écrite en à peu près deux heures, puis nous l’avons enregistrée la journée même avec piano et voix.»

Saxe, qui est descendu à Los Angeles pour la première fois en 2013, estime avoir écrit « probablement des milliers » de chansons avant d’en arriver au lancement, en février 2020, de son premier EP de six chansons Hold It Together chez Arista. « Je soutiens que la seule façon d’écrire de bonnes chansons, c’est d’en écrire un tas de mauvaises », affirme-t-il en citant une réflexion qu’on entend souvent.

« J’ai seulement commencé à sentir davantage que mes chansons parlaient de moi quand j’ai eu l’impression de parler à mes amis. »

Au piano à la maison ou à la guitare en voyage, Saxe utilise l’application de journalisation Day One pour noter des idées qui pourraient devenir des paroles de chanson. « C’est connecté à mon téléphone et à mon portable, et une ou deux fois par année, l’application m’envoie un livre illustré du journal qui documente même où j’étais dans le monde au moment où je l’écrivais. C’est vraiment génial », s’exclame-t-il.

Saxe a co-écrit toutes et chacune des chansons de Hold It Together : le premier titre « Sad Corny Fuck » , « 3 Minutes » et « Explain You » avec son partenaire créatif Ryan Marrone; « 25 in Barcelona » avec Marrone et Khris Riddick-Tynes; « Hold It Together » avec Benjamin Rice; et la chanson susmentionnée « If the World Was Ending » avec Julia Michaels.

Il a également co-écrit le duo sur les « saines relations » de « Golf On TV » avec la membre SOCAN Lennon Stella – en compagnie de deux autres collaborateurs, Ruslan Odnoralov et le co-auteur de multiples succès et membre SOCAN Simon Wilcox – et lancé un vidéoclip de la chanson au début d’avril.

Les chansons de Saxe sont toujours « personnelles ». Il peut prendre une situation émotive compliquée, bonne ou mauvaise, et la décrire telle qu’elle au lieu de la faire entrer de force dans un moule plus simple, mais sans originalité.

Sa chanson « 25 in Barcelona », par exemple – celle qui a amené Julia Michaels à lui envoyer un texto – a été écrite en mars 2018 alors que ses amis Matthew Takes (le réalisateur) et Marrone l’avaient emmené en Espagne après une rupture « pour éviter qu’il fasse des folies le jour de son anniversaire ».

Ce qu’il y a de particulier dans ces paroles, c’est qu’elles racontent son histoire à lui, pas celle d’un autre, même s’il y a des gens qui peuvent vivre des expériences qui se rapprochent des siennes.

Il chante : « I thought you woulda called yesterday  / I said I didn’t want you to, but I still thought you would / I don’t know what I expected you to say / But I turned 25 and had in my mind you’d be part of that in some way  / I’m half way round the world with all these people / Happy in a foreign language where they don’t know a thing about you / I’m half way round the world in Barcelona / Trying not to think you’d love this / This wasn’t supposed to be about you »

« J’ai seulement commencé à sentir davantage que mes chansons parlaient de moi, de quelque chose que je voulais partager, quand j’ai eu l’impression de parler à mes amis, à un partenaire ou n’importe quoi », explique Saxe. « Je tenais vraiment à ce que la voix que j’ai dans mes chansons et celle que j’ai dans la vie ne soient pas dissemblables. »

Il mentionne qu’il s’est rendu compte pour la première fois avec les deux premières chansons qu’il a sorties, « Changed » (2017) et « The Few Things » (2018) – qui remontent à la même période – que c’était « la voix que je voulais faire entendre dans mes chansons parce que ça me ressemble. Je ne veux pas faire des chansons qui ressemblent à des chansons. Je veux qu’elles ressemblent à des confidences. »

« J’aime vraiment ça quand une chanson évoque un moment d’une conversation dont tu te souviens le lendemain, le moment où tu parles à un ou une amie et que, peut-être une heure après avoir entamé un sujet sérieux, tu mentionnes quelque chose et, tout d’un coup, tu te dis “merde, c’est exactement ça que je vous lais dire”. C’est une conversation entre moi et un instrument. »

Les projets de tournée de Saxe sont suspendus pour l’instant. Depuis l’éclosion de la pandémie du coronavirus, en plus du vidéoclip tourné avec Julia Michaels chez elle, il a fait une version spanglish de « If the World Was Ending » avec la Vénézuélienne Evaluna Montaner ainsi qu’un vidéoclip en mode divisé tourné dans leurs pays respectifs. « J’envisage de sortir un album cette année, mais la situation est un peu précaire actuellement », explique-t-il. « Mon plan à court terme est de m’isoler et de rester seul avec mes pensées et ceux que j’aime. »

 

« Golf On TV » : la collaboration JP Saxe-Lennon Stella

« Elle et moi sommes sur la même longueur d’ondes musicalement. On parlait d’écrire depuis un moment, et on a fini par faire une tournée ensemble en Europe. Nous [les quatre auteurs de la chanson] sommes entrés en studio une quinzaine de jours avant la tournée.

« On réalise chacun de notre côté la chance qu’on d’aimer quelqu’un parce qu’on reconnaît qu’il est de plus en plus rare, de nos jours, de trouver la bonne personne, surtout pour les jeunes qui veulent faire l’expérience d’une variété de relations intimes. À chacun son goût, ça ne me dérange pas, tant mieux si ça fonctionne. Mais, dans cette session, c’était quelque chose du genre, mais de façon un peu mieux articulée, un peu plus concise. »

« J’ai dit “Je comprends que ça plaise à certaines personnes, mais y’a du monde qui regardent du golf à la télé, et ça, je comprends pas.” On a tous trouvé à très drôle. Puis on a décidé d’écrite une chanson sur la monogamie et de lui donner “Golf On TV” pour titre. »



Jason SharpEn ces temps de crise, toutes les conversations semblent commencer et finir en parlant de la Covid-19; et ma discussion avec le saxophoniste et compositeur montréalais Jason Sharp n’a pas fait pas exception à la règle. « Tous mes concerts sont annulés jusqu’en octobre et je devais être en studio au moment où on se parle pour enregistrer mon troisième album, explique-t-il. Le mieux que je puisse faire, dans les circonstances, c’est de prendre du recul pour réfléchir à mon travail et tenter d’affiner ma technique en attendant de pouvoir me remettre à la tâche. »

Ironie du sort, c’est une épidémie de maladie respiratoire qui a interrompu les activités de ce musicien qui a mis le souffle au cœur de sa démarche. Il n’y a évidemment rien d’étonnant à ce qu’un saxophoniste s’intéresse à la respiration; mais Sharp a développé une pratique qui transcende l’utilisation traditionnelle des instruments à vent. Sur son premier album, A Boat Upon Its Blood, paru chez Constellation en 2016, Jason déployait un système électroacoustique ingénieux qui transformait son souffle et ses battements cardiaques en matériau sonore de base, faisant de son corps un métronome imprévisible. À l’aide de quelques collaborateurs, dont le violoniste Jesse Zubot ainsi que le guitariste Joe Grass, il a su créer un univers sonore d’une richesse inouïe. À la fois radicalement expérimental et profondément évocateur, il propulse le saxophone vers des contrées inédites, puisant dans ses différentes expériences dans l’improvisation jazz, la musique actuelle ou la musique de film.

Avec Stand Above the Streams, paru deux ans plus tard, il a approfondi l’aventure électroacoustique en compagnie d’Adam Basanta, spécialiste de l’installation sonore, développant des textures sonores qui demeuraient liées au corps. « Ce qui me plaît avec cette approche c’est que les tempos et les dynamiques varient sans arrêt, explique Jason. Ça oriente complètement le processus de composition, car si je veux faire une pièce au tempo rapide, je dois jouer quelque chose qui demande un certain effort physique, alors que si je veux créer quelque chose de méditatif, il faut que je calme mon corps. Et en répétition, mon rythme cardiaque se situe généralement à 110 bpm et au moment de monter sur scène, avant même de jouer la moindre note, je suis déjà à 145 bpm. Chaque interprétation est forcément différente ce qui garde les choses intéressantes pour moi. »

Originaire d’Edmonton, Jason a vécu à Vancouver, Toronto, New York et Amsterdam, mais c’est dans la métropole québécoise qu’il a trouvé le terreau idéal pour cultiver son éclectisme musical. En plus de diriger avec sa femme Nada Yoga, un studio où l’on pratique une méditation basée sur le son, il butine de projet en projet avec un plaisir évident.

« Ce que je trouve vraiment formidable de la scène musicale montréalaise, c’est que je peux jouer avec des grands de la musique actuelle comme Jean Derome ou Lori Freedman tout en collaborant avec des artistes rock comme Joe Grass, Plants and Animals ou Elisapie. Imagine, j’ai même joué sur dernier album de Leonard Cohen! Les gens sont ouverts à la différence et on encourage beaucoup le mélange des genres et des personnalités. »

C’est cette ouverture d’esprit, qu’il estime propre au milieu culturel montréalais, qui a amené Jason à créer de la musique pour le cinéma. Après avoir travaillé avec le cinéaste expérimental Daïchi Saïto, il vient de signer la bande originale du film Jusqu’au Déclin, réalisé par Pascal Demers pour le compte de Netflix. Une première incursion dans le monde du cinéma plus commercial qui a surpris le principal intéressé.

« J’avoue que j’étais un peu sceptique lorsqu’on m’a contacté, d’autant que le réalisateur ne m’avait jamais vu jouer. Mais il avait fait ses devoirs, il connaissait bien mon travail et il voulait que le son du saxophone basse soit au cœur de l’esthétique sonore du film. Ç’a m’a ouvert à une tout autre façon de travailler et je crois que mon expérience dans la musique plus expérimentale m’a bien préparé à créer pour accompagner l’image. Et puis, puisqu’on parlait de pandémie, je trouve que c’est une drôle de coïncidence de me retrouver à travailler sur un film qui parle de survivalistes et de fin du monde! »

 



Catapulté sur les plateformes d’écoute en continu le 28 février dernier, l’album Blue devait vivre sur scène dès le début avril. Finalement, ce printemps, Rosie Valland fera plutôt un jardin.

Rosie Valland« Les shows et la promo se sont arrêtés du jour au lendemain. C’était super intense, puis mon agenda s’est complètement vidé. […] En ce moment, mes plans ce n’était pas de nettoyer ma cour et faire mes semis. »

Contre le micro de son cellulaire, les petites rafales du vent trahissent l’endroit qu’elle a choisi. Toutes les entrevues se font à distance et au téléphone par ces temps de quarantaine. Rosie Valland a pris l’appel depuis sa terre de Rigaud, non loin de La Blouse et de la ligne ontarienne, à 50 minutes en voiture du Lion d’Or, à Montréal, la maison des Francouvertes qui nous l’a révélée il y a déjà une demi-décennie.

Autant d’années se sont écoulées depuis la sortie de Partir avant, sa deuxième parution dans les faits, mais certainement la plus notoire jusqu’ici. C’est ce bouquet de chansons paru sous étiquette Duprince qui lui a permis de se faire connaître du plus grand nombre, de l’industrie et de la presse très certainement. « Quand je réécoute Partir avant, j’ai pas de regret, mais je suis pleine d’empathie pour la personne qui a fait ça. C’est des premières tounes, c’est quelque chose de brut, c’est pas abouti et je ne sens pas que je m’étais trouvée. »

Sans dire qu’elle renie Olympe et les autres compositions dudit disque, l’autrice-compositrice-interprète avoue percevoir Blue comme le fondement véritable de sa carrière, un réel commencement. Elle s’est aussi accordé le droit de toucher à la réalisation dans la foulée. Cette fois, elle cosigne cette part du travail avec Jesse Mac Cormack, son complice des premiers instants. C’est un réel partage entre les deux.

« Même si la vie de Blue sera peut-être écourtée à cause de la pandémie, cet album-là m’a beaucoup apporté. Avant de me mettre les mains dedans, je ne connaissais pas les logiciels et tout ça. Je me suis donné tellement de temps pour le faire que j’ai appris à m’enregistrer. Je vivais déjà de ma musique, mais là, j’ai davantage de cordes à mon arc. Je sens que je vais pouvoir vieillir dans ce milieu-là parce que je vais pouvoir faire plein d’autres choses que mon projet à moi et en mon nom. »

Ces jours-ci, justement, la Rigaudienne d’adoption en est à honorer un contrat pour La Fabrique Culturelle, la plateforme de Télé-Québec. C’est elle qui signe l’habillage musical de Proxémie depuis la première saison, un balado articulé autour d’artistes exclusivement féminines et animé par l’actrice Sophie Cadieux. Les contraintes de la commande l’amènent à explorer un territoire tout autre, résolument bien loin des pages de son journal intime.

« Tu crées un mood et, en même temps, faut jamais que ça surplombe quoi que ce soit. C’est une équipe hors pair donc je suis vraiment contente de faire ça, surtout en ce moment. Je suis reconnaissante d’avoir ça. […] C’est de la musique instrumentale, je n’avais jamais fait ça et je me découvre aussi là-dedans. »

Une seconde chance à la première impression

Arrangements bonifiés, mélodies bien ficelées, voix moins triste et éraillée… La progression est telle que Rosie Valland aurait presque pu se coiffer d’un nouvel alias. Avec Blue, l’ancienne Montréalaise revêt un nouveau son et amorce un autre cycle.

« Automatiquement, c’était plus folk avant parce que je composais avec ce que j’avais chez nous, dans mon 2-½, ce qui n’était pas grand-chose. […] Les chansons sont peut-être un peu plus riches parce que je peux partir d’un beat, d’une idée de synth et non pas toujours d’une guitare. »

Ouvertement inspirée par la pop rock des années 1990 (« ça me ressemble plus »), la femme-orchestre admet s’être offert un hommage à Smashing Pumpkin sur Chaos et quelques clins d’oeil à la Céline Dion de l’album D’eux.

« J’aime tellement le traitement de ses voix, les reverbs, la façon dont elle chante. Moi, ça me fait rire les matantes et les mononcles sur internet qui écrivent ‘’on n’entend pas ce que tu dis’’. J’ai envie de leur répondre : ‘’écoute une toune de Céline et dis-moi si tu comprends quelque chose !’’ On n’entend rien, elle n’articule pas non plus, il y a vraiment un abandon. Moi j’ai jamais compris le texte et je veux pas le savoir. Je trouvais que ça me ressemblait dans ma façon de voir mes voix. Comme un instrument. »