Comment un groupe de musique surtout instrumentale, fusion de soul, jazz, afro, funk et latin, à la carrière relativement confidentielle dans son pays, peut-il arriver à se créer une place sur la scène internationale et graver son dernier album sur l’étiquette londonienne Strut? Eh bien, il faut accepter de passer énormément de temps sur la route, réunir des musiciens fous de leur art et développer un son unique. Le compositeur, claviériste et percussionniste de formation classique Pierre Chrétien, 33 ans, originaire de Sudbury, confie avec son inimitable accent du nord de l’Ontario :

« Tout est arrivé graduellement. Les gens de Strut Records nous connaissaient par la radio anglaise, entre autres grâce au légendaire animateur radio anglais Gilles Peterson de la BBC Radio 1 qui nous a fait tourner pas mal. D’ailleurs, la planète funk/soul étant quand même assez petite, tout le monde connaît tout le monde. Le label londonien voulait faire un remix d’une chanson d’un artiste des années 70, Horace Andy, un chanteur reggae jamaïcain. N’étant pas des DJ, on l’a recomposée et réenregistrée en studio. “Watch We” est sortie en single et a connu du succès. Le personnel de Strut Records a tellement aimé notre travail qu’ils nous ont demandé un album. Ça a donné Rising Sun. »

Également gérant et agent de tournées au Canada pour le groupe, Pierre Chrétien précise leur modus operandi : « Nous préférons signer nos contrats pour un seul album à la fois. On enregistre les albums nous-mêmes et on paie tous les coûts. On conserve les droits de la bande maîtresse et on donne des licences (entre un et sept ans) à des maisons de disques pour l’exploitation [Freedom No Go Die est paru en 2006 et Manifesto en 2008, tous deux sur le label torontois Do Right!]. Aucun de nous n’a une formation en marketing ou affaires, mais on a appris les trucs du métier soit dans les livres, soit auprès d’autres artistes au cours des 10 dernières années. »

Le groupe s’est beaucoup modifié au fil des ans : « On s’est tous rencontrés il y a longtemps à Ottawa, Steve (Patterson) est là depuis nos débuts en 2002, lorsqu’on était un trio avec un batteur qui a quitté depuis. Il a été remplacé par Philippe Lafrenière, puis nous sommes devenus un quatuor avec Ray Murray, puis Zak Frantz, un Américain s’est joint à nous, et enfin Marielle Rivard. Ça prenait une fille! Depuis cinq ans, le groupe est stable. » Tous les musiciens ont des formations différentes, qui en jazz, qui en soul ou en musique latine, et tous adorent improviser sur scène.

« J’ai une formation classique, une maîtrise en composition et théorie musicale de l’université d’Ottawa, poursuit Pierre Chrétien, mais j’ai tout de suite été intéressé par la musique africaine, les rythmes, le jazz et son improvisation. Parmi mes sources d’inspiration, je dirais Fela Kuti, créateur de l’afrobeat (alliage de funk, de jazz, de highlife et de musique yoruba). James Brown, Pharoah Sanders, Mulatu Astatqé, Duke Ellington et Maurice Ravel sont d’autres grandes influences.

« On a joué de centaines de spectacles au Canada, dans toutes sortes de festivals et de salles de spectacles, de Calgary à Halifax, énumère Pierre. Virgin Music Festival, Toronto Downtown Jazz Festival, Toronto Beaches Festival, Toronto NuJazz Festival, Ottawa Bluesfest, Ottawa Jazz Festival, Ottawa Folk Festival, London Sunfest, Guelph Jazz Festival, Kingston Jazz Festival, Jazz Sudbury Festival, Atlantic Jazz Festival (Halifax), Harvest Jazz and Blues Festival (Fredericton), Stewart Park Festival (Perth), Westport Music Festival, Afrikadey (Calgary), le Festival International de Jazz de Montréal, le Festival d’été de Québec, Festi Jazz Rimouski, et j’en passe. On a aussi joué lors de certains des plus grands festivals au monde : Glastonbury Festival (Grande-Bretagne – 180 000 spectateurs), le Festival Solidays (Paris, France), Fiest’a Sète (France), etc., mais aussi dans les clubs (Les Bobards, Le Divan orange). Notre musique est dansante, et on s’amuse beaucoup ensemble et avec les spectateurs. »

En plus de ses responsabilités d’organisateur, Chrétien est le seul compositeur du groupe mis en nomination pour le prix Juno de l’Album instrumental de l’année 2011. Où trouve-t-il le temps? « C’est quand je peux. J’ai tout le temps quelque chose en tête, je conserve des papiers à partition dans mes poches, je suis très low-tech. Et dans les trains, en tournée, je compose les arrangements et je les écris. C’est assez rapide. J’ai écrit environ 200-300 chansons à ce jour. Quand on arrive pour enregistrer, le groupe et moi on en teste et on choisit une dizaine de celles qui nous plaisent le plus à ce moment-là. »

La dimension internationale de leur carrière est importante : « En Europe et aux États-Unis, nous avons des agences de promotion et ça marche fort. Là nous revenons d’Europe où pendant un mois nous avons fait une tournée en France, Angleterre, Allemagne, Autriche, Suisse, Grèce et Belgique. Nous sommes au Canada jusqu’à la mi-juin puis nous retournons en Europe pour un autre mois, dans des endroits comme la Croatie, la Turquie, etc. Visitez notre site, tout est là! »

Comme si ce n’était pas assez, le groupe se produit aussi dans une autre configuration. « On commence un autre projet avec les mêmes musiciens, plus un bassiste et un trompettiste, pour accompagner un musicien qui s’appelle Slim Moore. Il est Jamaïcain d’origine, mais né à Overbrook, en Ontario. On vient d’enregistrer un album, Introducing… Slim Moore and the Mar-Kays. C’est encore moi qui compose les chansons, de style très soul. On va le donner en licence pour qu’il sorte prochainement. À l’automne, on fera une tournée au Canada ainsi qu’aux États-Unis et en Europe avec cette nouvelle formation, » promet l’infatigable Chrétien, qui malgré ses horaires implacables, conserve une attitude cool et relaxe. Une soul attitude, quoi.