Evangeline Gentle commence chacun de ses spectacles avec la même petite chanson a capella.

« Il n’y a rien de plus vulnérable que d’être sur une scène et de chanter sans musiciens devant une foule de gens », croit l’auteure-compositrice-interprète d’origine écossaise désormais établie à Peterborough. « Même quand le vie tente de nous endurcir, demeurer doux est ce qui nous rapproche. C’est comme ça que je me sens avec mon auditoire. »

L’idée d’embrasser sa vulnérabilité comme forme d’épanouissement est un thème central de premier album éponyme de Gentle. Paru en septembre 2019, l’album propose des chansons intimistes qui traitent avec candeur d’automédication à l’alcool, d’insécurité dans les relations amoureuses et de faire face à la dépression.

L’artiste a consacré trois ans à cet album en compagnie du producteur Jim Bryson qui lui a proposé d’enregistrer des démos après l’avoir vu sur scène. « J’étais aux prises avec des problèmes de santé mentale durant la première année d’écriture. Ça s’entend clairement sur certaines pièces », dit l’artiste. Exemple ? Sur « Even If », Gentle chante avec nostalgie « I smoke enough to kill me, and I drink enough to drown » (je fume assez pour me tuer et je bois assez pour me noyer).

« J’étais aux prises avec des problèmes de santé mentale durant la première année d’écriture. »

Carole King et le Dixie Chicks ont été autant d’influences de jeunesse qui ont inspiré Gentle à écrire ses premières chansons et à apprendre à jouer de la guitare et, plus tard, qui ont informé le son folk de l’artiste. « J’écoutais beaucoup d’auteures-compositrices-interprètes et je voulais émuler leur son », explique Gentle. « Mais au fil des ans, j’ai commencé à explorer d’autres genres. »

Cette exploration est évidente sur « Ordinary People » ou le banjo et la guitare sèche tricotent autour de scintillantes couches de synthés. Pour son prochain album, Gentle entend poursuivre ces explorations, notamment en combinant arrangements pop et textes engagés.

Pour Gentle, la musique n’est pas qu’une façon de communiquer des messages importants à un vaste public ; c’est aussi le point d’ancrage de l’interdépendance. C’est une chose que l’artiste a réalisée après avoir vu une prestation de l’artiste canadien Rae Spoon au secondaire.

« Je regardais autour de moi et je voyais tous ces autres gens queer et je trouvais ça cool. C’est une communauté, pour moi », dit Gentle. « J’ai réalisé l’impact que peut avoir un artiste sur son public et que ma musique pourrait sans doute avoir le même effet sur les gens. »



« La teinte de cet album, c’est celle de l’amitié », résume une Mara Tremblay confinée dans les Cantons de l’Est. La couleur des retrouvailles, celles avec son vieux complice Olivier Langevin (Galaxie, Gros Mené, Fred Fortin); ensemble, ils forment depuis plus de vingt ans l’une des plus fertiles collaborations de l’histoire musicale québécoise. Ce huitième album, Uniquement pour toi, est l’œuvre d’un duo, assure Mara, auquel s’est joint un nouvel ami : l’auteur, compositeur, interprète et cinéaste Stéphane Lafleur.

Mara TremblayL’album débute avec Je reste ici, une « lettre d’amour à Nashville » où la musicienne a séjourné en résidence d’écriture à l’automne 2018 grâce à la SOCAN. « Un voyage initiatique », comme elle le décrivait au moment de quitter la ville. « J’étais dans une période ultra-fragile, se rappelle-t-elle. Je suis partie toute seule et j’ai trippé ma vie ! Je me suis sentie forte d’y être allée seule, et je me suis sentie faible en même temps », et très remuée d’avoir croisé son idole Gillian Welsh dans la rue, après être allée s’acheter une guitare neuve dans l’est de la ville.

Dans la « Music City », phare de l’industrie musicale américaine au même titre que New York et Los Angeles, « j’ai vu beaucoup de femmes, beaucoup plus qu’au Québec. Des batteuses, des ingénieures de son, des éditrices, y’en a beaucoup dans le milieu. » Mara a profité de l’occasion pour y inviter ses amis Sunny Duval et Marie-Anne Arsenault : « On a jammé ensemble, ça a donné Je reste ici ».

Une chanson qui ne sonne pas du tout country, le style musical associé à Nashville autant qu’aux premiers albums de Mara. C’est même tout le contraire : dès les premiers coups de tambour assénés par Robbie Kuster, on se croirait plutôt aux studios United Western Recorders d’Hollywood dans les années ‘60 avec le Wrecking Crew enregistrant les pistes de Pet Sounds des Beach Boys !

« On savait qu’on voulait l’enregistrer live, avec Robbie et François [Lafontaine, piano] », mais le résultat l’a tout de même surprise. « Tant qu’on n’a pas commencé à jammer la chanson, on ne sait jamais trop où elle s’en va… C’était intéressant de voir cette chanson se développer. Robbie a apporté énormément à l’ambiance. Une fois la piste de drum enregistrée, on n’y a plus touché. On s’est dit : c’est peut-être exagéré, mais on aime ça! » C’est d’ailleurs la méthode de travail privilégiée par Mara et son complice : « En studio, Olivier et moi, on se regarde en se demandant : est-ce qu’on est allé trop loin avec cette idée ? Si la réponse est oui… ben on la garde ! »

« Lorsque j’ai commencé à travailler avec Olivier, il avait 17 ans. Il m’amenait ailleurs, musicalement, je l’amenais ailleurs de mon côté. Je pense qu’on s’est vite compris à cette époque, y’a plus de 20 ans… Et sans avoir l’air de prendre la grosse tête, je dirais que ce qu’il aime en travaillant avec moi, c’est que je le pousse [à ses limites]. Je lui laisse toute la liberté, on se relance toujours la balle. »

Le résultat de cette joute créative est splendide sur Uniquement pour toi, un disque aux orchestrations denses, un disque traversé par l’urgence – « Je suis bonne là-dedans, l’urgence. J’aime juste mettre [sur mes disques] les chansons qui veulent vraiment dire quelque chose », commente Mara -, un disque en montagnes russes, d’abord joyeux et pimpant sur Je reste ici, Si belle et l’électropop de Paris, « la première chanson sur laquelle on a travaillé » et l’une des deux seules qui n’a pas été composée par Mara à Nashville. « J’avais pitché plein de tounes à Olivier, envoyé mes carnets, il a accroché sur celle-là, qui est en fait un collage de quatre chansons différentes dont il a composé le bridge. Celle-là, on l’a faite ensemble; on avait aussi envie d’écrire les paroles ensemble, ce qu’on n’avait jamais fait auparavant. »

« Je n’ai jamais même voulu être chanteuse en tant que telle. »

Puis arrive le creux de vague. On verra demain, une chanson qui craque sous le poids de la vie, écrite lorsque Mara broyait du noir. « Je m’étais toujours donné la mission de finir les chansons sur une note positive, explique Mara, sur l’espoir. Mais est arrivé un moment où j’ai simplement eu besoin d’écrire : ça va pas bien. Ça arrive à tout le monde, après tout… Faut alors juste respirer, prendre ça cool et attendre que ça passe. C’est important que les gens aient une chanson pour se référer à ce mal-être-là. »

Après les tristes On verra demain et Le plus beau des désastres, retour à la lumière avec un duo de compositions signées Stéphane Lafleur (Avec pas d’casque), comme une main tendue par un ami pour la sortir de sa torpeur. « Parfois, j’ai du mal à écrire ce genre de mots là, dit-elle. On dirait que Stéphane, lui, a réussi à trouver cette fraîcheur ». Dans les remerciements du livret, elle le remercie d’avoir « compris mon cœur ».

« Quand Le jour va où tu le mènes arrive ensuite, c’est vraiment le retour du printemps, un nouveau souffle, le bonheur qui s’installe, et ça correspond à ce qui m’arrive depuis dix mois. Y’a quelque chose qui s’est calmé à l’intérieur de moi et ça fait du bien. » L’album se termine avec une des plus belles chansons du répertoire de Mara, Comme un cadeau, écrite pour un de ses fils qui traversait alors une période de dépression : « C’était la chose la plus difficile que j’ai vécu… »

Après plus de trente ans de carrière (déjà?), Mara Tremblay savoure la parution de cet album en dépit de la crise que nous traversons tous. « Reporter sa sortie? On s’est posé la question une fois, admet-elle. Mais, tu sais, je n’ai jamais été un produit, je n’ai jamais fait de la musique pour faire des hits, je n’ai jamais même voulu être chanteuse en tant que telle. L’aspect marketing, ce n’est pas moi. Ma carrière a toujours super bien été même si certaines radios ne m’ont jamais joué, même si je suis restée underground pendant trente ans. »

« Sérieusement, j’ai cinquante ans, crise ou pas, ça ne change rien. Mon seul but est que ma musique se rende aux gens. La tournée ? Je suis rendue à un point de ma carrière où je trouvais ça fou. Ça fait 32 ans que j’ai le cul dans un truck et que je couche dans des motels, ça ne me dérange pas de donner moins de concerts. Là, pour la première fois, je sens que je me repose. »



Récipiendaire du prix Fondation SOCAN de l’auteure-compositrice autochtone de l’année remis lors du gala des Indigenous Music Awards au printemps 2019, Anachnid a lancé son premier album Dreamweaver à la toute fin du mois de février. Elle n’en est encore qu’à l’aube de son aventure musicale, amorcée à l’été 2018 avec une poignée de chansons disséminées sur la toile… aventure qui devra prendre une pause forcée par la crise sanitaire. « Je devais participer à un camp d’écriture de la SOCAN… », échappe, résignée, la musicienne.

AnachnidAu moins, le confinement n’effraie pas Kiki Harper, à l’abri dans son appartement du Quartier latin, à Montréal. « Vivre le confinement comme tout le monde en ce moment, c’est quand même assez facile pour moi : quand j’ai fait mon album, je n’ai pas bougé pendant deux mois et demi ! » À cause d’un bête accident survenu en Finlande : en se pressant pour rejoindre une amie, elle a eu un faux pas sur le rebord d’un trottoir. Crac ! Triple fracture de la cheville. « J’ai même dû apprendre à ramper avant de pouvoir réapprendre à marcher », rigole-t-elle aujourd’hui. « Il ne faut jamais se presser pour personne… »

L’accident a laissé sa trace sur Dreamweaver, un album souvent soucieux, fait de chansons introspectives aux couleurs synthétiques tamisées, où la voix d’Anachnid se fait tantôt menaçante, tantôt à fleur de peau. Il s’agit là de l’expression des énergies masculines et féminines qui cohabitaient en elle depuis ces fractures, illustre-t-elle : « Le climax de ça, c’est la chanson Anachnid, en plein milieu de l’album », qui fait allusion à ses longues semaines d’immobilité.

En chantant et en rappant, Kiki Harper y revendique son identité « d’autochtone urbaine », alors que la house, les breakbeats, la dance-pop et le trap façonnent un univers musical très bien cerné, malgré l’éclectisme des rythmiques : « Travailler avec seulement deux compositeurs-réalisateurs [Ashlan Phoenix Grey et Emmanuel Alias] m’a permis de réaliser quelque chose de cohérent » sur le plan des sonorités. « La sortie de mon premier album m’encourage à en faire encore plus, dit-elle. Ce disque me permet de prouver que je suis capable de faire plusieurs styles de musiques, mais en gardant le même esprit. »

Son approche de la composition musicale est à l’image de son disque, moderne et spontanée. « J’écris mes textes sur place, dans le studio, en puisant dans mes émotions. J’ai l’idée d’un type de son qui me donne ensuite des idées pour le texte ; si je sens l’envie de danser, j’imagine un beat plus house, et ensuite j’entends des notes dans ma tête. J’appelle ça « downloader » la chanson, de ma tête au papier, au studio. Ensuite, on créé nos propres échantillons sonores, qui sont intégrés dans la composition », esquisse la musicienne, qui profite du confinement pour apprendre à composer toute seule la musique à l’ordinateur.

La musique l’habite depuis son enfance, la sculpture sur pierre et la peinture aussi, passions héritées de sa mère, artiste et entrepreneure. « Quant à mon père, il a un talent naturel avec la guitare », raconte l’artiste issue de la nation Ojib-Cree qui aborde les thèmes de l’identité, de la différence, de l’intégration (puissantes Windigo et America), voir de l’ostracisme (Braids).

« J’écris des chansons depuis que je suis toute jeune ; ma mère me poussait à l’époque à m’inscrire dans des camps d’art où on faisait des films et moi, la musique. Je fais de la musique depuis longtemps, mais je suis quand même introvertie. Au début, chanter devant un public, c’était un défi pour moi. J’avais du mal à faire entendre ma voix et communiquer avec les gens ; de plus en plus, je comprends ce que je fais et pourquoi je suis là. »

« J’ai appris à chanter avec les loups », avance Kiki en évoquant les liens serrés qui l’unissent à son parrain et sa marraine, en grandissant « dans le bois. Ils me gardaient lorsque ma mère allait travailler ; ce sont eux qui m’ont enseigné que si tu réponds en chantant au loup dans la forêt, il te répondra pour évaluer à quelle distance tu te trouves de lui. Si tu chantes et que tu l’entends te répondre, tu sais alors qu’il ne s’approchera pas à moins de 2 km de toi pour te laisser un territoire de chasse. C’est une sorte de musique de la nature… »