Elle a créé un nouveau modèle, pavé la voie pour tous ces blogueurs et influenceurs qui caressent des rêves de scènes dans le monde réel. Candide et terriblement lucide, la musicienne fait le point avant d’entamer son second chapitre.

Roxane Bruneau est seule dans sa catégorie. La blonde chanteuse aux stretchs noirs et à la monture de lunettes reconnaissables entre mille s’est fait Big Brother de sa propre téléréalité, par le truchement de vidéos YouTube tournés comme en huis clos avec elle-même, avant d’ajouter la musique à son arc. D’un coup, sa populeuse armée de fans la découvrait sous un angle tout autre, mais foncièrement identique dans les faits, aussi vraie et authentique que d’habitude. Cette fois, seulement, ses états d’âmes et autres chroniques du quotidien s’écoutent en char et les vitres baissées. Sa voix accompagne et en dehors des écrans. Les gens vivent à travers elle.

Sortie de nulle part pour les uns, au paroxysme de la célébrité québ pour des centaines de milliers d’autres, la Montérégienne a créé la surprise l’automne dernier en remportant le plus récent Félix de la Chanson de l’année pour Des p’tits bouts de toi, un titre pourtant paru en 2017 et avec le reste du répertoire de Dysphorie, une ritournelle guitare-voix rythmée et diablement sincère écoutée plus de 1,5 million de fois en ligne, rien que sur Spotify et dont le clip a depuis largement dépassé les 6 millions de visionnements sur YouTube. C’est dire à quel point elle rejoint du monde.

Pourtant, au début, l’autrice-compositrice-interprète-youtubeuse n’y croyait pas tellement. « Moi je pensais vendre une centaine de CDs à mes abonnés sur Facebook et sur YouTube et que ça allait s’éteindre tranquillement. »

« Pour une job de 9 à 5, t’as qu’un patron. Moi, j’en ai 100 000 patrons. »

La reconnaissance de l’industrie et des foules qu’elle n’espérait même pas vient néanmoins avec son lot d’appréhensions, cette crainte de redescendre aussi vite qu’elle est montée. En entrevue, Roxane s’avère d’une brutale honnêteté et se livre sans détour. Quand elle empoigne le stylo, forcément, c’est pareil.

« Sur mon prochain album, c’est omniprésent dans à peu près toutes les chansons, ça, la peur de perdre le public, t’sais. C’est vraiment un sujet qui plane dans l’album… Je suis consciente que je suis un peu esclave de l’amour des autres. Si les gens nous aiment plus, on n’existe plus dans le métier. C’est vraiment ça. Les salles ne se remplissent plus, tu ne vends plus d’albums… C’est spécial, pareil, quand on y pense. Pour une job de 9 à 5, t’as qu’un patron. Moi, j’en ai 100 000 patrons. »

Propulsée par une pièce intitulée J’pas stressée, la parolière aura, ironiquement, d’abord été trop anxieuse pour reprendre la plume. « Je me suis fait envahir par la pression de faire des succès, des tounes qui passent à la radio. À cause de ça, j’étais plus capable d’écrire pantoute. Avant, je savais pas c’était quoi une bonne chanson, je savais pas c’était quoi une chanson radio… Je faisais juste écrire pour écrire et c’est ça qui a fait que les gens ont aimé. En réalisant ça, je me suis dit ‘’fuck les succès radio” et j’ai repris exactement là où j’avais laissé. »

Émancipée de ses propres attentes, l’artiste s’apprête, une fois de plus, à assumer toutes les facettes de la direction artistique en vue de son album à naître au printemps.  « Je sais pas comment ça se passe ailleurs, mais moi je dois être l’artiste la plus gâtée pourrie au monde dans le sens que mes producteurs me font 100% confiance. Ils vont jamais me demander d’entendre ce sur quoi je travaille, jamais me demander de changer des affaires. […] Eux autres, ils ont comme compris que ce qui marchait c’était la petite fille, c’était Roxane Bruneau. Ils vont pas commencer à changer mon linge, changer ma face, changer mon discours, changer mon contenu, mon contenant. »

Maître de son truc, pleinement indépendante, Roxane Bruneau ne se laissera vraisemblablement jamais marcher sur les pieds. Elle réalise ses vidéoclips et les monte, elle n’engage pas de styliste. Toutes les décisions lui reviennent. « Plus ça va, plus je côtoie d’autres artistes qui me parlent de leurs gigs, qui me parlent de leur milieu et moi je suis comme ‘’ah ok, c’est pas toi qui a choisi tes souliers à soir ? C’est une joke ou quoi ?’’ Ça va juste que là, t’sais. »