Quiconque a déjà emprunté les transports à commun à Montréal sait que le métro a sa propre musique. Le vent déplacé par l’arrivée de la rame sur le quai, l’avertisseur de fermeture des portes, les annonces incompréhensibles dans les haut-parleurs de chaque station et ces fameuses notes (dou-dou-douuuu) qui marquent le départ du train… autant de sons qui meublent les déplacements quotidiens de milliers de Montréalais qui semblent pourtant insensibles à leurs charmes.

Robert Normandeau, lui, a plongé tête baissée dans cet univers sonore. Le compositeur de musique électroacoustique est habitué à recueillir toutes sortes de sons pour créer ses œuvres, mais il ne s’attendait pas à ce que la Société de Transport de Montréal, de concert avec l’OSM, fasse appel à lui pour souligner les 50 ans du métro. « Honnêtement, lorsque j’ai entendu le message sur mon répondeur, ma première réaction a été… de ne pas rappeler. Ça me semblait complètement improbable, je croyais à une blague » se souvient le compositeur.

On peut comprendre ses doutes tant il s’agit d’un geste audacieux de la part de l’OSM, qui a aussi commandé une œuvre orchestrale au compositeur José Evangelista pour cette célébration de l’anniversaire du métro, qui sera présentée lors de 3 concerts à la fin du mois d’octobre. Audacieux, car c’est probablement la première fois qu’un orchestre commande à un compositeur une œuvre… qu’il ne pourra pas jouer. Tunnel Azur est en effet une œuvre électroacoustique multiphonique interprétée par une douzaine de haut-parleurs. L’orchestre ne sera donc pas sur scène lors de sa création.

Presque tous les sons que vous entendrez ont été captés par Normandeau dans métro. 

« C’est étonnant, mais ça témoigne, d’une part, du fait que Montréal est une ville très active sur la scène électroacoustique, explique Robert Normandeau. D’autre part, je pense qu’il faut aussi souligner l’incroyable ouverture de l’orchestre et surtout de son chef, Kent Nagano. »  Le compositeur a d’ailleurs eu l’idée de faire un double clin d’oeil à l’orchestre et à son chef, en citant dans sa composition des passages de la Neuvième Symphonie de Mahler, sa préférée (qu’il avait entendu Nagano interpréter alors qu’il était à Berkley il y a des années). Il a aussi mis à contribution un instrument hallucinant récemment offert par un mécène à l’OSM : l’octobasse, sorte de gigantesque contrebasse qui fait près de quatre mètres de haut.

Pour le reste, tous les sons que vous entendrez ont été captés par Normandeau dans métro. « J’ai visité le métro de jour, avec tous les bruits de portes et de foule, mais aussi de nuit, alors que tous les ouvriers s’affairent à entretenir les équipements. Au départ, ils me regardaient d’un drôle d’air, mais très vite, les employés se sont intéressés à mon travail et ils me proposaient toutes sortes de sons que faisaient leurs équipements ».

Certains d’entre eux seront d’ailleurs dans la salle afin d’entendre leur univers quotidien réimaginé par un artiste d’avant-garde. On aimerait pouvoir recueillir leurs commentaires à la sortie !  « J’espère qu’ils vont aimer ! J’avoue que j’étais un peu hésitant au moment de présenter l’œuvre pour la première fois, se souvient Robert Normandeau. Les gens de l’OSM, même s’ils ne sont pas des adeptes de l’acousmatique, travaillent dans la musique et sont plus familiers avec cette démarche. Mais les gens de la STM ? Je leur ai présenté deux versions une avec des images et une sans. À ma grande surprise, ils m’ont dit d’abandonner les images parce que la musique portait l’histoire en elle-même. »

Il faut dire que Normandeau s’est spécialisé dans ce qu’on appelle le « cinéma pour l’oreille », au sens où l’on trouve une véritable trame narrative dans ses œuvres. « C’est de la musique électroacoustique qui raconte une histoire, précise Robert Normandeau. Pour l’auditeur il s’agit d’une pièce très référentielle : presque tous les gens qui sont passés par Montréal vont reconnaître les sons. Et puis c’est comme un parcours, un voyage… »

Parlant de références, on entendra bien sûr ces trois petites notes si caractéristiques qui marquent le départ de chaque rame. Ce qui est fascinant, c’est que cette petite musique est un sous-produit purement accidentel du fonctionnement du système électrique des rames. Un mécanisme appelé « hacheur » alimente les rails en « paliers » successifs plutôt que d’envoyer des centaines de volts d’un seul coup. C’est ce processus qui crée le dou-dou-douuu (pour une explication plus technique, consultez cet article). Difficile de trouver un meilleur exemple de musique concrète !

Contrairement à un trajet normal à l’heure de pointe, le voyage dans le Tunnel Azur se fera en première classe, puisqu’il s’agira du premier concert électroacoustique donné à la Maison Symphonique. Normandeau sera d’ailleurs le premier à utiliser les haut-parleurs de la salle, dont certains dormaient encore dans des cartons jusqu’à tout récemment. Présentée les 20, 22 et 23 octobre 2016, en complément de pièces de Schumann, de Strauss et de la création de José Évangelista, l’œuvre sera aussi rattachée au festival Akousma, qui se tient en même temps.

Détails sur l’événement Kent Nagano célèbre le métro de Montréal.