« Je suis un raté en tant qu’auteur-compositeur. »

Si quelqu’un d’autre – votre barista, voire votre dentiste – vous lançait cette affirmation, cela n’aurait rien de bien surprenant. Mais lorsque c’est Randy Bachman qui la fait, on doit marquer un temps d’arrêt.

Après tout, Randy Bachman est un membre fondateur de non pas un, mais deux légendaires groupes rock canadiens – The Guess Who et Bachman-Turner-Overdrive – et il est l’auteur ou le coauteur de nombreux classiques du répertoire, dont notamment « Takin’ Care of Business », « These Eyes », « American Woman », « You Ain’t Seen Nothing Yet », Let It Ride », « Undun » et « Looking Out for No.1 ». Pas exactement le pedigree d’un auteur-compositeur raté.

« Personne n’a jamais décidé d’enregistrer une de mes chansons après l’avoir simplement entendu en version démo ».

De toute évidence, il blague. Évidemment. Mais seulement à moitié. Commençons donc par nous pencher sur la portion « blague » de cette affirmation.

Bien entendu, la blague c’est que Randy Bachman fait sans aucun doute partie du club très sélect des plus grands auteurs-compositeurs. Il a vendu plus de 40 millions d’exemplaires de ses disques à travers le monde, a participé à l’écriture de plus de 120 albums et simples certifiés Or et a atteint le sommet des palmarès dans plus de 20 pays.

Et c’est sans parler de son étagère à trophées qui n’a rien à envier à celle de Wayne Gretzky. Bachman est lauréat de 11 prix Juno et d’une douzaine de Prix Classique de la SOCAN chacun soulignant plus de 100 000 exécutions à la radio. Il a reçu l’Ordre du Canada et le Prix du gouverneur général pour les arts de la scène (en compagnie de Guess Who). Il a été intronisé à deux reprises à l’Allée des célébrités canadiennes – en tant qu’artiste solo et en tant que membre de Guess Who. Il est également le seul artiste à être doublement intronisé au Panthéon de la musique canadienne : une première fois en 1987 avec The Guess Who puis une deuxième, en 2014, avec ses collègues de BTO.

Et n’allez pas croire que ces honneurs sont limités au territoire canadien. En 2014, il a été accueilli au sein du Musicians Hall of Fame de Nashville et en 2011 l’ASCAP (American Society of Composers, Authors and Publishers) lui a remis son Global Impact Award. Si pour vous tout cela signifie qu’il rocke, personne ne pourrait vous dire que vous vous trompez.

Son plus récent honneur lui a été remis en juin 2015 alors que la SOCAN lui remettait son Prix Hommage 2015 lors du volet anglophone des Prix SOCAN. « C’est bien d’être honoré pour mes classiques – et je ne me plains pas, je dois bien en compter 12 ou 15 – grâce à ce prix », explique le musicien, « mais moi je suis toujours à la recherche du prochain hit. J’aurais préféré recevoir le prix que MAGIC! a reçu – Chanson de l’année –, car pour moi tout ce qui compte c’est la chanson. Je suis et serai toujours un auteur-compositeur et je compte bien continuer à écrire des chansons exceptionnelles. »

Mais, voici la moitié sérieuse de son affirmation initiale. Bachman est un peu frustré par son talent d’auteur-compositeur : bien que ses classiques aient été interprétés par des artistes aussi variés que Lenny Kravitz et Mavis Staples, pratiquement personne n’a interprété les chansons de son répertoire en tant qu’artiste solo.

« Personne n’a jamais décidé d’enregistrer une de mes chansons après l’avoir simplement entendu en version démo », se désole Bachman. « Il faut toujours que je l’enregistre moi-même, que je mousse son succès, et alors seulement d’autres artistes en font leur propre version. Mes chansons les plus reprises sont “These Eyes”, “American Woman” et “You Ain’t Seen Nothing Yet”, mais elles ont toutes été des hits avant que quelqu’un d’autre les chante. »

Il serait normal de croire qu’avec le pedigree de Bachman, les artistes se bousculeraient à sa porte pour savoir ce qu’il a en stock pour eux. Pourtant, à chaque fois qu’il affiche son panneau « auteur-compositeur au travail », à l’instar de Lucy et de son kiosque de psychiatre dans Peanuts, rien de tout cela ne s’est produit. Pendant toute la période de la fin des années 80 à la fin des années 90, il se rendait fréquemment à La Mecque des auteurs-compositeurs, Nashville, afin de tenter de percer dans ce cénacle de la musique. Pas de pot.

Cette expérience a laissé Bachman assez perplexe. « Aucune des chansons que j’ai écrites – et il y en avait d’excellentes – n’a jamais été enregistrée ou reprise par qui que ce soit », laisse-t-il tomber. « Ça n’est simplement jamais arrivé. J’ai fini par jeter l’éponge. »

Cela ne signifie pas pour autant qu’il abandonne. Difficile d’arrêter de vouloir écrire des hits quand on a goûté à ce genre de succès.

« J’aimerais vraiment écrire une chanson pour Céline Dion – quelle chanteuse vraiment incroyable – ou ce genre de truc », explique-t-il. « J’ai écrit ce genre de chansons, très classe, ultra émouvantes, pour les meilleures voix avec un registre de trois ou quatre octaves que je serais incapable de chanter moi-même. J’en ai plein les poches et je n’attends qu’une occasion de les jouer à quelqu’un. »

Mais alors, aurait-il perdu sa touche magique? Il n’est pas de cet avis. En fait, il considère être un meilleur auteur-compositeur maintenant qu’à l’époque où il a écrit tous ces hits. « Je m’améliore constamment », dit-il avec enthousiasme. « Il n’y a aucun doute que je suis vraiment, vraiment, vraiment meilleur aujourd’hui qu’à cette époque. »