Cette année marquait le 20e anniversaire de la maison d’édition Ad Litteram par Guillaume Lombart et son partenaire d’affaires d’alors, l’éditeur David Murphy. L’occasion de souligner l’événement en mesurant le chemin parcouru, non seulement par l’éditeur et les artistes qu’il représente, mais aussi par le métier au Québec qui a dû s’adapter, lui aussi, aux bouleversements induits par la révolution numérique.

Ad LitteramEn plus d’avoir créé Ad Litteram, Guillaume Lombart fut également du noyau de fondateurs de l’Association des professionnels de l’édition musicale (APEM) en 2002, aux côtés de cinq autres éditeurs indépendants, Daniel Lafrance, Sébastien Nastra, Carol Ryan, Jehan V. Valiquet et feu Christopher J. Reed – depuis 2013, un prix portant son nom est décerné annuellement par l’association à un éditeur musical « dont la contribution pour l’exercice et la reconnaissance de la profession […] est exceptionnelle ».

Or, signe des changements survenus ces dernières années au sein du métier, au moment de sa création, l’APEM ne regroupait que sept éditeurs québécois indépendants; ils sont aujourd’hui une cinquantaine dans l’industrie, « et ça, j’en suis très fier, abonde Guillaume Lombart. C’était vraiment la volonté première de l’APEM : il fallait que l’on structure et que l’on fasse connaître le métier. C’était un métier en développement » qui, s’il a toujours eu son importance des rouages de l’industrie musicale, semble aujourd’hui détenir davantage de poids.

Une situation qui reflète la direction prise par l’industrie de la musique, estime l’éditeur : « Avant, ce qui importait, c’était la chanson. Une bonne chanson pouvait être reprise par tout le monde. Désormais, c’est le contraire : les artistes tiennent à garder l’exclusivité d’une bonne chanson. Ce faisant, [l’industrie] a mis l’interprète de l’avant, reléguant les auteurs et compositeurs à l’arrière-scène; il est donc légitime et normal que les éditeurs, qui représentaient les auteurs et les compositeurs, soient aussi mis dans l’ombre. La situation a changé maintenant d’une part parce que les auteurs-compositeurs-interprètes sont davantage au-devant de la scène. Donc, en tant qu’éditeur, nous sommes amenés à les accompagner, dans leur travail d’écriture, bien sûr, mais aussi dans l’ensemble de leurs activités », production d’album, de concert, de tournées, « ce qui a beaucoup transformé notre travail. »

Éditeur 2.0

Car si le métier d’éditeur consistait à gérer les droits et les redevances sur les œuvres d’un créateur, aujourd’hui la fonction s’est considérablement transformée, croit Lombart qui, au fil des ans, a fait croître Ad Litteram pour en faire une structure de production de disques, de spectacles, sans compter l’entreprise-sœur LiveToune qui offre un service de captation et diffusion audiovisuelle sur le web.

Évidemment, la dématérialisation des œuvres musicales enregistrées et la complexité des transactions en ligne conséquentes ont également redonné du poids au métier d’éditeur. « Oui, tout ça a compliqué le métier d’éditeur. Parce qu’un nouveau média qui émerge ne fait pas disparaître les autres – tout ça s’accumule. Par exemple, l’éditeur qui m’a appris le métier, lui, fonctionnait avec des compositeurs à son bureau; il faisait faire des chansons, faisait faire les partitions, et les envoyait aux orchestres. Ses revenus provenaient des droits d’exécution publics. Après est arrivée la radio, lui a alors commencé à produire en plus des disques – en France d’ailleurs, pour parler des étiquettes de disque, on emploie le terme « édition phonographique ». Aujourd’hui, j’ai plutôt tendance à parler globalement d’édition audiovisuelle, qui comprend le contenu diffusé sur internet. »

« Un nouveau média qui émerge ne fait pas disparaître les autres – tout ça s’accumule. » – Guillaume Lombart, Ad Litteram

« Je considère que l’administration [du catalogue d’œuvres représentées par l’éditeur] doit, comme dans n’importe quelle entreprise, représenter 15% du travail. Le reste, c’est du développement d’artistes, c’est de la promotion. Seulement, lorsqu’on est éditeur, la difficulté est qu’on ne peut pas tout faire. Y’a certains projets qu’on ne peut pas réaliser, par exemple parce qu’on ne possède pas l’infrastructure nécessaire. Souvent, pour la production d’un disque, disons, on aide pour les maquettes, on cherche du financement, mais on se tourne vers une maison de disques pour nous aider. Pareil pour les spectacles. » La solution, aux yeux de Lombart, allait de soi : devenir à la fois éditeur, producteur de disques et producteur de spectacles.

C’est, admet-il, la partie du métier qui le passionne le plus : le développement, « c’est l’essentiel. Cependant, toutes ces activités – le disque, le spectacle, la production audiovisuelle-  demeurent des moyens de générer des [revenus d’édition], c’est-à-dire que l’activité principale d’Ad Litteram demeure l’édition. Voilà notre modèle d’affaires. »

Plus d’une trentaine d’artistes et de groupes dépendent aujourd’hui des six employés du bureau d’Ad Litteram pour la gestion de leurs droits d’éditions, parfois aussi pour la production de spectacles, de disque et la gérance : Pilou/Peter Henry Phillips, Steve Hill, Renard Blanc, Simon Kingsbury, Moran, Gilles Bélanger et le projet Douze Hommes Rapaillés, entre autres et auxquels se sont récemment ajoutés Florence K et Martin Deschamps. Son job, « c’est de donner aux auteurs et compositeurs les moyens financiers, humains, technologiques dans certains cas, de réaliser leurs projets. La difficulté dans notre métier, c’est d’arriver à se constituer un catalogue d’œuvres assez important pour qu’il rapporte de façon récurrente des sommes que l’on peut ensuite réinvestir dans de nouveaux projets. »

La vingtième année d’Ad Litteram en fut une de grandes décisions, affirme Guillaume Lombart. D’abord, conclure une entente avec un partenaire allemand pour que soit représenté le catalogue d’éditions de la maison partout sur le continent européen – l’éditeur montréalais avait déjà une telle entente pour le marché français et gère d’ailleurs en sous-édition au Québec les catalogues des Éditions Beuscher Arpège (Édith Piaf, Nino Ferrer, etc.) et Melody Nelson Publishing (Serge Gainsbourg), entre autres. Ensuite, développer le même genre de partenariat avec un éditeur américain, « pour justement développer sur 2019 et 2020 de nouveaux projets aux États-Unis. C’est un gros travail, mais ce dont je suis le plus fier, c’est que les artistes d’Ad Litteram restent avec nous. »