« Si mon album avait été celui d’un blanc francophone, on le qualifierait de musique électro. S’il était de Beyoncé ou Kanye West, on parlerait de pop ou de hip-hop, » lance Pierre Kwenders avec un sourire en coin.

Déménagé au Québec à l’âge de 16 ans, le Congolais d’origine vise juste. Après deux maxis remarqués autant par les radios étudiantes que par Radio-Canada (Kwenders est l’une des Révélations musicale 2014-2015), son premier disque complet, Le dernier empereur bantou, est difficile à catégoriser. Ses rythmes électro ne sont pas complètement dansants. Les racines africaines du chanteur sont présentes, mais elles vivent dans ses textes et non dans des sonorités world typiques. Et même si on y sent un désir d’explorer, les refrains rassembleurs ne sont jamais bien loin, sans pour autant parler de musique pop.

« Faut pas avoir peur de bousculer les gens. »

Un fil conducteur se dégage tout même du disque composé avec les beatmakers Nom de Plume (cerveau derrière les musiques de Radio Radio), Samito et Poirier. Avec sa voix légèrement cuivrée, son chant près de l’incantation et les thèmes abordés dans ses textes en français, en anglais, en lingala et en tshiluba (deux langues congolaises), Pierre Kwenders donne une identité singulière à son œuvre.

« Lorsque je travaille avec un réalisateur, je ne lui donne pas de contrainte de style. J’aime me faire surprendre et me laisser porter par le son. En studio, Nom de Plume et Samito me présentent différents rythmes, et dès que je tombe en amour, on travaille la pièce ensemble. Ça rend les choses moins prévisibles. »

En contrepartie, Kwenders sait ce qu’il ne veut pas faire: piger dans tous ces clichés que le Québec associe à la musique du monde. « Je ne dis pas que les artistes world d’ici ne sont pas bons, certains font de l’excellent travail. Sauf que bien des créateurs peinent à se détacher de leur héritage. Ils reproduisent ce qu’ils ont entendu pendant des années sans chercher à faire avancer les choses. Faut pas avoir peur de bousculer les gens. » L’association du compositeur avec Nom de Plume et Jacobus de Radio Radio (sur la pièce Ani Kuni) paraît ainsi toute naturelle. Comme Pierre Kwenders, le groupe rap acadien a fait fi des puristes et a planté ses racines dans une modernité salutaire. « Ce n’est pas ce qui nous a réuni à la base, mais c’est vrai, » rétorque celui qui a rencontré Radio Radio après un concert du groupe.

Prévisible. Voilà donc un mot à proscrire autant lorsqu’on décrit la musique du Montréalais que son parcours. Élevé seul par sa mère au Congo jusqu’à ce qu’elle immigre au Québec pour y préparer le déménagement de sa famille, José Louis Modabi alias Pierre Kwenders, a attendu un an avant d’aller la rejoindre de ce côté-ci de l’Atlantique. Il la considère aujourd’hui comme sa principale source d’inspiration. « Elle m’a donné l’exemple d’une personne travaillante, d’une battante. Elle m’a encouragé dans tout ce que j’ai entrepris dans la vie. Il faut aussi dire que l’esprit de famille est très fort chez les Bantous. »

S’étendant du Cameroun aux Comores et du Soudan à l’Afrique du Sud, l’immense Empire bantou s’est divisé lors de l’époque coloniale au 19e siècle. Deux cents ans plus tard, l’envie d’unir à nouveau le peuple bantou n’est pas étrangère au costume de scène que porte Pierre Kwenders et au titre de son album. « Je souhaite faire connaître cet empire dont on ne parle pas beaucoup comparé aux empires ottoman et britannique. Peu importe le pays où ils se trouvent, les Bantous conservent des similarités : leur ouverture à la culture, leurs bonnes valeurs et leur joie de vivre. Je souhaite les interpeller avec mes chansons qui abordent autant leur histoire que la présente situation en Afrique. La pièce Ali Boma Ye fait référence au combat de Muhammed Ali à Kinshasa, en 1974. Kuna Na Goma parle de ces femmes qui se font violer encore aujourd’hui dans les plantations de coton. Cadavere dénonce la guerre et les enfants soldats. En même temps, je veux donner une nouvelle vision de l’Afrique. Ma chanson Popolipo explique aux Occidentaux que leur connaissance du continent africain ne peut se limiter à ce qu’ils entendent aux nouvelles. »

À l’image du disque de Pierre Kwenders, le peuple bantou est trop riche pour être réduit à quelques clichés.

Tourner la page
« J’ai dû tourner la page fréquemment dans ma vie, mais je me souviens d’une situation particulièrement difficile, alors que j’ai déçu deux familles: la mienne et celle de ma blonde de l’époque avec qui je devais me marier. Le grand jour approchait. Tout le monde était heureux et excité à part moi. J’ai rompu avec elle peu de temps avant le mariage. J’ai mis un an à m’en remettre, à me donner à fond dans mes études parce que j’étais incapable de m’engager dans quelque relation que ce soit. »