Quand Dustin Bentall avait 12 ans, il passait ses étés en compagnie de ses parents dans leur chalet de Cariboo Country, au centre de la Colombie-Britannique. C’est là que son père, Barney Bentall, un vétéran de la scène musicale canadienne, lui a enseigné à jouer de la partition de guitare de la pièce « Mary Jane’s Last Dance » de Tom Petty. Dustin adorait la chanson et la jouait sans arrêt. Puis, un jour, son père l’a emmené avec lui au centre-ville, et ils se sont arrêtés dans un magasin d’instruments de musique pour qu’il essaie de jouer la chanson sur une guitare électrique avant de poursuivre leur chemin jusqu’à son studio de North Vancouver.

Dustin se souvient : « Quand nous sommes arrivés au studio, tous les musiciens de mon père étaient là. Il m’a dit : “prends cette guitare et joue-leur la chanson que tu connais.” J’étais intimidé et très hésitant. Mais j’ai quand même commencé à jouer et, soudainement, ils ont tous commencé à jouer avec moi. Je ne m’en doutais pas, mais mon père avait tout arrangé à mon insu. C’était tellement cool, je n’en revenais pas. J’ai joué la pièce au complet avec les Legendary Hearts comme musiciens. »

C’est là que Dustin a eu la piqûre de la musique. Son père, toutefois, ne l’a jamais poussé à aller plus loin que ça. Ses études complétées, la musique est devenue secondaire, tandis que Dustin a préféré gagner sa vie dans le domaine de la construction. Tout a basculé en 2004 à la suite d’un accident de voiture. « Mon ami et moi avons miraculeusement survécu à une collision frontale », raconte Dustin. « C’est ce qui m’a poussé à écrire des chansons et qui m’a mis sur la voie de la création de mon premier album. Depuis ce jour, je n’ai aucun regret. »

Et ce qu’à vécu Dustin — outre le grave accident de voiture — est plutôt fréquent chez les enfants des artistes et membres de la SOCAN les plus en vue. La plupart d’entre eux nous ont dit que leurs parents avaient entretenu leur intérêt pour la musique, mais sans jamais les y pousser activement. Certains d’entre eux ont demandé conseil à leurs parents tandis d’autres ont pris leur distance afin de préserver leur indépendance. Quelques-uns ont commencé leur apprentissage de la musique à un très jeune âge, mais la majorité, à l’instar de Dustin, se sont mis à la musique sur le tard, après avoir complété leurs études ou un certain temps sur le marché du travail.

Puis il y a le cas d’Adam Cohen, le fils de Leonard Cohen. Après avoir lancé deux albums sous son nom puis un troisième avec un groupe appelé Low Millions, toujours en prenant bien soin d’éviter toute comparaison avec son légendaire paternel, Adam a finalement décidé de simplement accepter son ADN musical. Son dernier album, intitulé Like a Man, est profondément empreint de ce qu’il nomme « les affaires de famille », et plusieurs chansons font écho au style de son père.

Tout comme Adam, d’autres filles et fils de de grands noms de la scène musicale ont des carrières musicales bien établies. Rufus Wainwright et sa sœur Martha Wainwright sont, depuis belle lurette, sortis de l’ombre de leurs illustres parents, Kate McGarrigle et Loudon Wainwright III, pour se faire leur propre place au soleil. Tal Bachman, le fils de Randy Bachman, a connu un succès international avec sa chanson « She’s So High » tirée de son album éponyme paru en 1999, bien que, dans son cas, il n’ait rien fait paraître après son deuxième album lancé en 2004, Staring Down the Sun. Ailleurs, Ariana Gillis, la fille du musicien et producteur David Gillis, n’a que 21 ans, mais elle a déjà lancé deux albums acclamés qui ont été salués par le parolier Bernie Taupin (Elton John) et le vétéran américain de la critique musicale, Dave Marsh.

Les sœurs B et Carly McKillip n’ont quant à elles jamais cherché à cacher leurs racines musicales. Leurs parents œuvrent tous deux dans l’industrie de la musique : papa, Tom McKillip est un musicien et producteur, tandis que maman, Lynda McKillip, est auteure-compositrice. Les filles ont formé un duo country nommé One More Girl et elles ont fait appel à leur père pour produire leur premier album Big Sky (2009) et elles ont également fait appel aux connaissances créatives de leur mère. Elles ont commencé leur carrière en tant qu’actrices, et ce, dès le plus jeune âge, en plus d’apprendre le piano dès l’âge de 4 ans. Elles insistent toutefois sur le fait que rien ne leur est jamais arrivé tout cuit dans le bec.

« Personne ne nous a donné quoi que ce soit sur un plateau d’argent », affirme Carly. « Au début, en fait, le nom McKillip rendait les choses plus difficiles, car les gens nous jugeaient et nous critiquaient plus durement, car ils voulaient dissiper toute apparence de népotisme. »

Même son de cloche du côté de Kandle Osborne qui a trouvé très difficile d’établir sa propre identité en grandissant à Vancouver, là où la réputation de son père était la plus importante. Ce père, Neil Osborne, est le leader du célèbre groupe 54-40 et bien qu’il ait tout fait pour soutenir les aspirations de sa fille, peu de gens de la scène musicale locale lui accordaient une quelconque crédibilité à ses débuts. « Je n’étais que la fille de Neil », dit-elle, « cette petite fille qu’ils avaient vue grandir. »

Elle a enregistré un premier album sous le nom de Blue Violets en compagnie de sa sœur, Coral Osborne, et de Louise Burns, avant de se diriger vers Montréal. Elle a depuis enregistré un album solo de 6 chansons originales sous la direction artistique de son père et est partie en tournée en Ontario, au Québec et en Europe. « Les gens de la côte ouest se sont mis à m’écouter sérieusement après que je me sois installée au Québec et entourée d’une nouvelle équipe », raconte Kandle.

Alors, est-ce que le talent musical est une affaire de gènes ou d’éducation?? « Je ne crois pas que ce soit dans nos gènes », dit-elle. « Ça a beaucoup à voir avec la façon dont on est élevés et par qui. » Elle renchérit, en riant : « Je ne crois pas que je serais musicienne si mes parents avaient été des avocats. »

Devin Cuddy, le fils du leader de Blue Rodeo, Jim Cuddy, partage le même avis. « Mon amour du jazz vient directement de l’imposante collection de disques de mon père », affirme Devin, avouant du même souffle qu’il a détesté qu’on le contraigne à prendre des leçons de piano lorsqu’il était enfant — jusqu’à ce qu’il découvre les CD de stride et de boogie-woogie de papa et qu’il apprenne à jouer dans ces styles.

Le premier album de Devin — un hybride entre country, blues et musique de La Nouvelle-Orléans — doit paraître cet automne et le jeune homme avoue sans ambages qu’il n’a pas toujours été fan du travail de son père. « Quand j’étais à l’école secondaire, je ne voulais surtout pas qu’on m’associe au travail de mon père », confie-t-il. « Je traversais une phase punk et je me rebellais contre tout et n’importe quoi. »

Tout ça a bien changé. « J’ai récemment eu une épiphanie et j’ai réalisé qu’il était temps que j’accepte à bras ouverts tous ces avantages dont je bénéficie?; ce serait stupide de ma part de ne pas en profiter. » Ainsi, il a joué du pianoi sur plusieurs des pièces du plus récent album solo de son père, Skyscraper Soul, en plus d’enregistrer son propre album au studio Blue Rodeo, et il a également demandé des conseils sur sa carrière à l’imprésario de Blue Rodeo, Susan de Cartier.

Sam Cash est un de ceux qui n’a pas hésité à tirer plein profit des contacts de ses parents. Son premier album, Teenage Hunger, paru en 2011, propose des collaborations avec des artistes tels que Hayden, Serena Ryder et Josh Finlayson des Skydiggers. Sam, qui est le fils du musicien et député Andrew Cash et de l’imprésario Sandy Pandya, affirme que tout s’est déroulé de manière tout à fait naturelle. « J’ai grandi dans une communauté totalement dédiée à la musique. Je voyais mon père en compagnie de membres des Skydiggers et d’autres bands tandis que ma mère gérait les carrières de Hayden, Serena et Hawksley Workman », raconte-t-il. « Ces gens sont comme des membres de ma famille pour moi. »

Ici encore, même si ses parents lui ont offert tout leur soutien, ils ne l’ont jamais contraint à se consacrer à la musique. « Au contraire, je crois qu’ils avaient un peu peur que je devienne musicien, car ils sont bien placés pour savoir à quel point il peut être difficile d’en vivre », dit-il avec lucidité. « Ils auraient probablement préféré que je devienne médecin ou un truc du genre. »

Privilégiés ou pas, tous les enfants de vedettes de la musique doivent pouvoir livrer la marchandise. « En fin de compte, tout ce qui compte, c’est la musique », croit Dustin Bentall. « Je suis reconnaissant de toutes les opportunités que le monde de mon père m’a fournies, mais j’ai quand même dû travailler aussi fort que tout le monde. Je dois me bâtir un auditoire, une personne à la fois. »