Monk.E semble excité, quelque peu essoufflé, quand on le rejoint au téléphone un mardi après-midi dans son Ouganda d’adoption. La journée s’annonce spéciale, car en plus de mettre le point final à un périple de six mois en Afrique, elle marque la fin de l’enregistrement d’un album en collaboration avec Nutty Neithan, star de la scène musicale de Kampala et étoile montante du dancehall à l’international.

« On a déjà huit chansons, et en ce moment, on est en train d’enregistrer les deux dernières. Ça va super bien à date, car on est vraiment sur le même vibe. Il est dans un mindset spirituel et philosophique très influencé par la culture rasta. On connecte beaucoup là-dessus. »

Il y a quelques mois, c’est avec un autre chanteur en pleine ascension, Zex BilangiBilangi, que l’artiste montréalais a connecté. Paru en mai dernier, Souffrir avec le sourire aux lèvres, un album en français, en anglais, en luganda et en espagnol au croisement du dancehall, de l’afrobeat et du rap, est le résultat de ce coup de foudre culturel et humain.

« Dès qu’on s’est rencontrés, on s’est mis à freestyler. C’était magique. Il m’a introduit à de nouvelles formes musicales, que je n’aurais probablement jamais explorées dans d’autres circonstances. Sans tomber dans le cliché, j’ai l’impression qu’il y a quelque chose de divin dans cette rencontre-là. Organiquement, la musique m’a amené à avoir une discussion avec Zex et sa culture. Et, comme pour chacune de mes collaborations, j’ai adapté mon discours à l’autre. »

Dans ce cas-ci, l’adaptation a été tout un défi pour le rappeur et graffeur trentenaire qui, en huit albums solos, nous a surtout habitués à des textes lucides et avisés, empreints de réflexions sociales, politiques et spirituelles, en phase avec ses nombreux voyages. « Disons que je n’étais pas habitué de parler autant de la gent féminine… Mais avec Zex et la direction dancehall, ça s’y prêtait bien pour un album. »

La mise en marché a aussi été un laboratoire de découvertes. « Le marketing à Kampala, c’est à des kilomètres de ce qu’on connait au Québec. Le nombre de streamings, ça veut pas dire grand chose. Tout se gère dans la rue, notamment par l’entremise de clés USB qui se passent de café Internet en café Internet et [dont on télécharge le contenu] sur des cellulaires. Tu mets pas de l’argent sur des vidéoclips, mais tu en donnes à des promoteurs et à des DJs pour qu’ils jouent ta musique. »

Et le rappeur a su profiter habilement de ses « nouvelles portes d’entrée » pour faire entendre sa musique un peu partout à Kampala. « J’ai vu des gens répéter les syllabes de mes paroles en pleine rue. C’est assez drôle et surprenant, car le français est à peine compris ici », soulève-t-il, mettant l’accent sur le côté universel de la musique et sur le lien de proximité entre son état d’esprit et celui de ses concitoyens. « J’ai l’impression que je peux m’exprimer davantage ici, même si on n’a pas la même langue. Les Ougandais sont colorés, ils font tout de façon passionnée. J’en ai dérangé beaucoup au Québec avec mon haut niveau d’expression, mais ici, tout le monde cultive ce genre d’excentricité. »

Monk.ELe bon vieux Monk.E, celui qui passe des messages avec intensité et mordant dans ses chansons, on le retrouve en partie sur Le changement, pièce d’ouverture de Souffrir le sourire aux lèvres. Un titre qui annonce autant les nouvelles couleurs musicales de l’artiste que son point de vue sur la situation politique internationale, et tout particulièrement sur celle de l’Ouganda.

« On doit plus que jamais se questionner, autant sur ce qu’on est que sur notre façon d’interagir avec la planète. C’est un peu plus tabou d’en parler ici, mais le président est en place depuis plus de 30 ans (NDLR: 1986, Yoweri Museveni). La population a faim, elle veut du changement, et Zex, lui, il milite activement pour ce changement. »

Surnommé « le premier ministre du ghetto », Zex BilangiBilangi a de très grandes affinités avec Bobi Wine, figure marquante du dancehall et de l’afrobeat ougandais, qu’on surnomme « le président du ghetto ». Depuis trois ans, ce dernier est l’un des plus jeunes députés du parlement ougandais, en plus d’être le chef d’un parti d’opposition à Museveni (People Power, Our Power).

C’est d’ailleurs dans le studio de Wine, toujours actif en musique, que Monk.E et Zex ont enregistré leur album. « J’ai peint trois ou quatre fois pour lui et, en échange, il m’a laissé enregistrer chez lui », explique le Montréalais qui, en raison de cette alliance, a déjà connu quelques ennuis durant son passage précédent en Ouganda. « Certains pensaient que ma musique était financée par l’opposition… Et c’est un peu pour ça qu’en parlant avec des gens du domaine, j’ai bien compris que je me devais de garder cette relation avec Bobi Wine uniquement artistique. Je dois faire attention à ne pas inclure son parti politique là-dedans. »

Bref, après sept voyages, Monk.E commence à se familiariser avec l’Ouganda, qu’il qualifie dorénavant comme sa maison. « Je suis tellement heureux des choix que j’ai faits. J’ai grandi artistiquement, socialement et humainement ici. J’aime me sentir soutenu par le public. On m’ajoute sur les réseaux, on me reconnaît souvent dans la rue… Toute cette reconnaissance, ce partage et ces amitiés nourrissent ma créativité et animent mon art au grand complet. J’espère que c’est ce qui m’attend aussi au Québec. »