Matt HolubowskiLorsqu’on le joint au téléphone, Matt Holubowski se trouve dans son endroit préféré : la van de tournée. Il a beau ne pas être très loin de Montréal (le concert qu’il donne ce soir-là a lieu à Sorel), le seul fait de prendre la route, ne serait-ce que pour quelques kilomètres, le remplit d’aise. Grand amoureux du voyage depuis toujours (il s’est promené, parfois dans des entreprises humanitaires, sur plusieurs continents), il commence à peine à réaliser que son métier de chanteur pourrait l’amener à découvrir des lieux auxquels il n’a même jamais pensé. « Oh my God, si tu savais… c’est mon rêve. Pour l’instant, je me consacre surtout à des shows au Québec alors on part rarement plus de quelques jours, mais j’adorerais pouvoir passer des semaines, voire des mois sur la route. »

Et on imagine très bien que la musique de Matt Holubowski puisse faire le tour du monde. Son folk rock planant, qu’on a souvent comparé à la musique de Patrick Watson, a quelque chose d’universel et d’intemporel. D’autant qu’au moment de notre conversation, les chanteurs folk avaient la cote, puisque Bob Dylan venait tout juste de remporter le Nobel de littérature ! « Drôle de hasard, on était justement en train d’écouter Desire de Dylan dans la van. Je te mentirais si je disais qu’il n’a pas été une influence majeure ! Pour moi, il est tout en haut, sur un piédestal, un modèle pour tous ceux qui veulent écrire des chansons… »

C’est d’ailleurs avec une chanson de Dylan qu’il s’est fait le plus remarquer lors de son passage à La Voix en 2015. Non pas avec un choix évident comme Like A Rolling Stone ou Knocking on Heaven’s Door, mais avec la ballade Girl from the North Country. « C’est drôle que tu me rappelles ça parce que ce que je voulais vraiment faire, c’était A Hard Rain’s A-Gonna Fall, mais c’est une toune plus dure et elle fait près de sept minutes. Alors on m’a suggéré Girl from the North Country, plus connue à cause de la version avec Johnny Cash. On m’a dit que ce cliquerait mieux avec le public. »

On comprend que ce genre de considérations ne l’inquiètent guère aujourd’hui. Pour la création de son album Solitudes, les gens d’Audiogram lui ont laissé carte blanche, sans songer à rendre Matt plus « radio friendly » ou plus commercial. « Je n’ai rien contre la pop légère, explique-t-il, mais pour moi, une chanson doit avoir une certaine profondeur. T’es pas obligé de faire du Baudelaire, mais tu peux quand même aller plus loin que « baby-baby »… Encore là, c’est peut-être l’influence de Dylan, mais pour moi, le texte est primordial ; c’est d’ailleurs toujours la chose que je remarque en premier chez d’autres artistes ».

S’il existe un thème unificateur aux chansons de Solitudes, c’est celui de l’identité. Celle de l’artiste qui se questionne sur la notoriété (sur L’imposteur, l’une des deux chansons en français du disque) et celle du jeune Québécois né d’un père immigrant polonais et d’une mère franco-québécoise et bercé par une culture presque exclusivement anglophone alors qu’il grandissait à Hudson. Le titre du disque fait d’ailleurs référence au roman Two Solitudes, de l’auteur Hugh MacLennan, qui fut longtemps son livre de chevet. Holubowski évoque même une troisième solitude, la sienne, celle du québécois bilingue assis entre deux chaises… « Ça peut sembler bizarre, mais c’est à l’étranger que je suis mis à réfléchir sur l’identité d’ici, notamment lors d’un voyage en Serbie où, on s’entend, la question de l’identité nationale est plus lourde de sens! »

Mais l’identité est une chose mouvante. Si, de son propre aveu, Matt ne connaissait pas grand-chose à la chanson québécoise francophone jusqu’à tout récemment, il est actuellement en mode rattrapage et en consomme de façon quasi boulimique. « Mon premier contact avec la musique, c’était Eminem et je pense qu’il a influencé mon écriture. Je me trouve vraiment moins bon en français, mais je commence à apprécier de plus en plus la langue à travers des artistes comme Richard Desjardins, dont les textes me jettent à terre. J’écoute aussi beaucoup de Martin Léon – ce gars est un vrai génie des arrangements – et puis Safia Nolin, Philippe Brach, Antoine Corriveau… »

Risque-t-on d’entendre encore plus de français dans ses futurs albums ? C’est possible, mais pour l’heure, Matt espère faire voyager ses chansons, peu importe la langue. Et si on se fie aux réactions favorables qu’il suscite jusqu’à présent, notamment au Canada anglais, il semble peu probable qu’il soit condamné à une vie de solitude.