Avec ses récits touchants et hyper réalistes, Matiu creuse son propre sillon de chanson engagée, loin des grandes théories politiques et proche de ce qui habite les gens de sa communauté de Maliotenam.

« Ce qui m’intéresse, c’est le côté humain des personnes. Je constate ce qui se passe autour de moi et je raconte mon petit point de vue, de la manière la plus humble et sincère possible », explique l’artiste innu de 32 ans, qui chante en français, anglais et dans sa langue maternelle sur son premier album Petikat (« lentement » en innu).

Avec sa plume brute et décomplexée, Matthew Vachon est d’un naturel désarmant, en entrevue comme en musique. Rampe de lancement de Petikat, Jean-Guy témoigne de son talent de parolier, de son aisance à raconter son quotidien. Clin d’œil à un cousin aux prises avec des problèmes de consommation (mais qui s’en est sorti depuis), la chanson reflète le dilemme qui habite bien des gens de sa communauté, une réserve de 1300 habitants située à une quinzaine de kilomètres de Sept-Îles.

« C’est de choisir entre rester dans la réserve ou aller voir du pays. Ici, on est confinés dans un rayon de 2 km2, on voit pas grand-chose… Et souvent, les gens sont même pas conscients de leur potentiel. Tout ce qu’ils voient, c’est la job en menuiserie, dans les mines ou au Wal-Mart. Il pourrait y avoir un jeune qui tripe sur les jeux vidéo, mais pour lui, ça va rester juste un jeu vidéo. On lui a jamais dit que ça pourrait être lui, le concepteur du jeu ! »

En quelque sorte, Jean-Guy est également une discussion que Matiu a eue avec lui-même. Captivé par la musique depuis qu’il s’est acheté une guitare au début de la vingtaine, il a mis du temps avant de croire en ses capacités. « Je savais pas où aller, à quelles portes aller cogner… J’étais pas mal déconnecté. »

Soutenu par des amis, qui l’ont constamment félicité et encouragé, l’auteur-compositeur-interprète a participé à la deuxième saison de l’émission Le Rythme, « un genre de Star Académie pour les Autochtones » diffusée sur le canal APTN en 2016. L’un des trois juges lors de cette compétition était Steve Jolin, fondateur et directeur des étiquettes 7ième Ciel et 117 Records. « Il a vraiment accroché à ce que je faisais. Il m’a rien fait signer sur le coup, mais il a continué de me suivre », se souvient celui qui, dans les mois suivants, s’est illustré au Festival international de la chanson de Granby et au volet Chansons rassembleuses de Petite-Vallée. « Il a vu que la musique me tentait, que mon intérêt était vraiment fort, donc j’ai signé avec 117, et on a eu notre subvention… À partir de là, on n’avait pus le choix de faire un album ! »

« J’appelle ça du folk bipolaire. »

Révélé par son premier EP homonyme en août 2017, Matiu a passé les derniers mois à plancher sur la création de Petikat. Pour un menuisier de métier, père d’une petite fille de cinq ans de surcroît, les défis ont été nombreux. « Dans la vie, mon métier, c’est de faire des rénos avec mon sac à clous pis mes caps d’acier. Disons que je suis pas habitué à m’ouvrir le cœur de même ! Là, je devais écrire des textes et je savais même pas s’ils étaient bons ou, même, pertinents… En plus, je voulais pas froisser personne de ma communauté ou, même, tomber dans la grosse revendication. Oui, y’a un engagement dans mes chansons, mais y’a pas d’extrémisme ni de hargne. »

Réalisé en collaboration avec Luc Charest, un membre de la défunte formation Kalembourg qu’il avait rencontré « dans une autre vie » (lorsqu’il travaillait comme technicien de scène à Sept-Îles il y a plus d’une décennie), ce premier opus a une couleur folk rock nord-américaine bien assumée. « J’appelle ça du folk bipolaire », résume-t-il. « À la base, je suis un gars très ‘’guit-voix’’, car j’ai été élevé avec du Cat Stevens et du Neil Young. Mais quand est arrivé le moment de me trouver un style pour l’album, j’ai pas voulu cacher mes autres influences. Ça passe de ZZ Top sur Nuitsheuakan à Red Hot Chili Peppers sur Far Away. »

Et jusqu’à maintenant, le folk bipolaire de Matiu a surtout des échos chez les jeunes dans son village. Autrement, sa proposition ne résonne pas encore avec une forte intensité dans les communautés avoisinantes – du moins pas autant que l’a fait, il y a maintenant 30 ans, une autre formation originaire de Maliotenam, Kashtin. « Dans mon coin, les gens qui vont voir des spectacles au centre communautaire, c’est pour danser. Je vois rarement des shows avec des chaises ou des contextes qui se prêtent à mon genre de musique. En fait, c’est comme si j’arrivais avec un nouveau style. On me dit souvent que ce que je fais est ‘’rafraîchissant’’. »

Tout juste de retour d’une tournée de quatre dates en quatre jours, comprenant un spectacle de lancement à Montréal dans le cadre de Coup de cœur francophone, Matiu reste terre-à-terre quant à ses ambitions. « Pour vrai, j’ai pas vraiment d’attentes et, de toute façon, j’ai pas beaucoup de temps libres pour partir dans une longue tournée. Le plus important pour moi, c’est de rester proche des miens et des paysages qui m’inspirent. »